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Un îlot de bonheur de Chabouté

Par Laurent Benosa

Laurent Benosa avait pris contact avec nous il y a quelques temps, suite à une chronique en ces pages de planches qui lui valurent un prix. Il souhaitait partager avec nos lecteurs son attachement pour Chabouté et notamment pour son album Un îlot de bonheur. Cet ouvrage, édité par Paquet en 2001 était depuis longtemps introuvable. Alors que les éditions Vents d'Ouest vont le ressortir ces jours-ci, dans un volume de la collection "Mini Integra" le groupant avec Quelques jours en été, il nous a semblé qu'il était temps de dérouler ici la très minutieuse analyse de Laurent (Thierry Groensteen, prends garde à toi !):

Avec cet album de Christophe Chabouté, les éditions Paquet nous invitent à passer un vrai moment de bonheur. Le petit format utilisé introduit une proximité rassurante qui se transforme vite en complicité. Le premier contact est agréable, avec une couverture satinée où une vignette extraite de l'album a été retouchée pour la circonstance : elle introduit des nuances de gris et se détache sur un fond de feuilles d'automne, saison à laquelle se passe l'action. La continuité graphique des feuilles à cheval sur première et dernière de couverture incite à retourner l'album au verso duquel on découvre un harmonica, accessoire narratif essentiel.

Si ces "feuilles mortes qui se ramassent à la pelle" font peut-être penser à la chanson de Prévert, c'est sur une autre musique que celle de Kosma que Chabouté nous conte, dès les premières pages d'Un îlot de bonheur, une histoire familiale à la fois simple et dramatique. Elle met en scène peu de personnages – une famille réduite (le père, la mère, un garçon d'une douzaine d'années) et un clochard atypique – dans un nombre restreint de lieux. Les personnages secondaires – policiers, professeur, élèves, quelques promeneurs – contribuent au réalisme par leur courte apparition.  La profondeur de cette œuvre réside essentiellement dans l'entrelacement pertinent des dimensions psychologiques et sociales révélées par les choix graphiques de l'auteur. Cette position scénaristique inscrit cette œuvre dans les mouvements héritiers du réalisme socialiste : Néo-réalisme, Nouvelle vague, Cinéma novo...

Avec finesse, les éléments constitutifs du système de la bande dessinée sont ici mis à contribution dans un dessein (dessin) précis, empreint de toute l'humanité de Chabouté. Si les lecteurs pressés d'albums de bandes dessinés semblent parfois inconscients des richesses spécifiques du neuvième art, se contentant d'une narration souvent efficace, parfois plus recherchée, ils auront tout intérêt, sur le plan plastique, à ne pas s'arrêter aux seules qualités du trait. En restant aveugle aux subtilités des ellipses mises en place par les intervalles entre les vignettes, appelées "gouttières" par les anglo-saxons – cet "espace intericonique" mentionné par Peeters[1] et dont l'analyse a été formalisée par Groensteen sous le terme d'arthrologie[2] – le lecteur risque de perdre de vue la substance même de la bande dessinée en tant que création artistique.

Nous allons essayer, comme le clochard, "D'OUVRIR LES YEUX SUR CE QUE LES GENS NE SAVENT PLUS VOIR".

La bande son

Ce qui frappe à la première lecture, c’est la grande économie de la bande sonore. Les phylactères ne fournissent que peu d’informations précises sur les protagonistes ou la situation de l’action. On connaît l’âge du gamin, la situation familiale du clochard et en assemblant les informations, le lecteur peut également déduire la situation professionnelle du père, sans doute ouvrier spécialisé dans le bâtiment.  Quelques textes présents dans le dessin nous apprennent la classe du gamin et la faiblesse de sa maîtrise de la langue écrite, tandis que la situation géographique de l’action nous est fournie en page 123 («

à 6 heures de train de Nice

»), et la période (postérieure à 1998) par le maillot de la page 33.  On ne connaît rien d’autre de ces personnages (nom, prénom, résidence...) sauf pour le fils du clochard, Thomas, et d’ailleurs nous reviendrons plus tard sur ce fait qui nous semble loin d’être anodin.

Mais cette discrétion ne signifie pas un désinvestissement de l’auteur pour la composante textuelle du neuvième art, cette bande son « on » et « off ». Au contraire, Chabouté compose avec les nuances que permet le texte en les mettant au service d’une palette d’émotions variées

[3]

. Nous allons essayer d’analyser les échanges féconds qui naissent dans cet album de la juxtaposition des images et du texte.

Ainsi, les difficultés de communication entre les parents se traduisent par deux manifestations graphiques opposées.  

Elles sont d’abord rendues par les séries inattendues de cases silencieuses. En premier lieu pendant un repas qui d’emblée ne manque pas de sel (pages 5 à 8) : quoi de plus surprenant en effet que cette réunion familiale plongée dans le mutisme le plus complet ?  

Par un glissement de sens de la nutrition, les repas permettent soit une mise en scène des rapports sociaux soit des rapports psychologiques qui existent entre les personnages.

« Tout parle dans un repas, et pas seulement les acteurs. L’alimentation est le besoin le plus quotidien, le plus fondamental qui soit. Un repas en commun est donc un lieu hautement privilégié où se rencontrent les besoins fondamentaux de la physiologie individuelle et ceux, non moins fondamentaux de l’échange culturel, social, collectif. A table, se dévoilent les différences psychologiques et sociales entre les individus, les hiérarchies qui organisent leurs rapports, mais aussi parfois leurs ressemblances, leur fraternité. A table s’échangent les deux seuls besoins fondamentaux : le pain et la parole. » [4]

Dans cette séquence d’Un îlot de bonheur, la combinaison de la gestion des raccords entre les cases et de l’absence de texte développe immédiatement l’aspect oppressant de cette relation où l’enfant est désigné tout de suite comme la victime, et la mère comme le bourreau, point sur lequel nous reviendrons plus tard.

Mais ces difficultés de communication se visualisent également avec des bulles carrées aux flèches agressives.

Ces bulles envahissent peu à peu les cases jusqu’à former une quasi vignette dans laquelle s’inscrit le gamin, coincé entre les mots (les maux!) de ses parents (pages 9 à 13, 29 à 30) puis comme un feu d’artifice nocturne en page 87 et 88.  

Même la calligraphie est ici mise à contribution par la graisse et la taille des caractères.  

Seule la fuite physique ou psychique permet à l’enfant d’échapper à cette logorrhée. La fuite de l’enfant à l’extérieur de la maison (dernière case de la page 13) permet dès la page suivante un retour absolu au silence. Silence qui finit pourtant par devenir pesant tant il est inhabituel par rapport au caractère urbain des cases concernées (pages 14 et 15). La désorientation du gamin est ici admirablement rendu par l'apparente incohérence des changements d'axe du point de vue qui brise la linéarité du déplacement.

En plus des séries de vignettes muettes, les silences ménagés par un grand nombre de cases isolés participent au rythme particulier de cet album. C’est essentiellement lors des échanges entre le gamin et le clochard que ces silences prennent une signification particulière. Contrairement à ce qui se passe d’habitude dans la lecture de bandes dessinées où le texte ralentit la progression de vignette à vignette en imposant de passer plus de temps sur certaines cases, ne serait-ce pas ici les silences qui incitent le lecteur à s’arrêter ? Cette pause est indispensable pour saisir les émotions qui surgissent.  

Ces deux amis ne parlent pas pour rien dire. Le gamin, tout comme le dialoguiste Chabouté, n’a « pas été croisé avec un perroquet ». Mais s’il n’est « pas très causant »,  il exprime de nombreux sentiments par ses silences : la circonspection des pages 37 et 38, la compréhension en page 52, l’attente interrogative réciproque en haut de la page 77, la réflexion page 79, la tristesse page 80, l’accablement en haut de la page 81 et la surprise plus bas, l’amitié page 84 par exemple. Encore est- il difficile de n’attribuer qu’un seul sentiment à chacune de ces cases. Les pages 95 à 99 offrent ainsi six cases magnifiques par la tension provoquée par ces interruptions entre des répliques souvent en contrepoint :

Le clochard : " TU SERAIS FIER D'AVOIR UN PAPA CLOCHARD, TOI ? "

silence,  

Le gamin : " MON PERE C'EST UN SUPER HEROS " (page 96)

Le clochard : " IL FAUT DU COURAGE POUR ETRE UN BON PAPA, TU SAIS !!"

silence

Le gamin : " EN TOUS CAS, MOI JE SERAIS FIER D'AVOIR UN PAPA QUI VIT SOUS LES ETOILES..." (pages 97-98)

Le clochard : " ILS (tes parents) ONT FAIT LEURS CHOIX... TOI TU VAS FAIRE LES TIENS..."

silence

Le gamin : " VOUS AVEZ DES ENFANTS VOUS ?" (pages 80-81)

De telles cases, on le comprend aisément, sont rares entre les membres de la famille. On n'en compte

que deux : l'une au début de l'album en page 10 lorsque l'enfant réalise avec appréhension qu'une

scène se met en place entre ses parents, l'autre à la fin de l'album (page 111) lorsque la

communication  semble enfin s'établir de façon sereine entre le père et son fils, en l'absence semble-t-il de la mère, ce qui demande quelques éclaircissements apportés plus loin.  

Remarquons également que l'harmonica qui joue un rôle important dans la rencontre entre le clochard et le gamin, et permet un transfert de communication du clochard au père, demeure silencieux.

Personne n’en joue. Non utilisé, cet instrument introduit un élément scénarique qui ne relève pas de la musique : par un glissement phonétique [harmoni-ca], il symbolise l’harmonie invitée enfin dans cette famille déchirée. Il restaure le lien avec les générations précédentes puisque le grand-père en jouait à son fils. Le gamin s’inscrit alors dans une continuité générationnelle, source d’une espérance dans l’avenir.

L’identification

Grâce aux phylactères, un phénomène important est à l’œuvre dans cet album. Chabouté tire profit de l’ambiguïté quant à l’attribution de telle ou telle parole. Par un usage judicieux de la présence verbale d’un personnage situé dans un hors-champ visuel, il introduit une confusion fertile en sens.  Le problème psychologique crucial auquel est confronté le gamin réside dans la difficulté de s’identifier à son père. Il se traduit graphiquement par une confusion dans les possibilités d’identification ou de reconnaissance qui lui sont offertes.  

Dans ces vignettes, l’enfant semble prendre pour lui les remarques que sa mère adresse à son père.  Dans la dernière case de la page 12, le père est situé dans un hors champ à l’intérieur de la case, juste derrière le gamin. Les mots « TOI AUSSI TU M’EMMERDES !!! » semblent prononcés à la fois par le père et son fils.

Mais cette case permet également une autre lecture tout autant plausible que riche d’enseignements :

les mots seraient adressés au gamin. Cette lecture avec confusion de destinataire est confirmée dans la page suivante puisque le destinataire des paroles y est justement absent.  Tandis que le gamin ouvre la porte, n’entend-il pas « TU VAS LA FERMER OUI ?! ». Et que penser de la réplique suivante « çA FAIT DOUZE ANS QUE TU M’EMMERDES ! », lorsque l’on considère que la période incriminée semble correspondre à l’âge de l’enfant ?

Le processus d’identification au père, indispensable au développement du fils, est ici bloqué par la crise que traversent les parents.

La première case de la page 29 est plutôt édifiante. Par sa taille, elle s’impose dans toute la double page offerte au regard. Ensuite, l’immobilité et le silence du gamin tranchent avec les autres cases.  Mais le plus surprenant, c’est l’agencement particulier des éléments de cette case. Le gamin est positionné exactement dans le prolongement du copeau de bois produit par le travail du père. Tout se passe comme si l’enfant attendait d’être sculpté par son père. Pour prendre forme ?  Toujours est-il qu’il y a du Pinocchio dans ce gamin.

Cependant, à la fin de cette page, ce n'est pas la bonne fée qui intervient, mais la "méchante" maman.

Elle scinde l'espace de la case en deux parties, par sa personne et par les bulles qui lui sont associées. Le père et le fils se retrouvent séparés, chacun à une extrémité de la case, la ligne de leurs regards interrompue par l'intervention de la mère.

Chabouté offre alors au gamin une issue merveilleuse grâce à la rencontre d'un autre adulte.

Ce personnage va permettre une nouvelle identification. Elle intervient d'ailleurs avant que l'on découvre le clochard, par un emploi judicieux de la position particulière de la dernière case de la page 19.  

Le gamin s'est peu à peu décalé vers la droite de la case horizontale, créant de façon déséquilibrée un espace vide qui réclame une présence.  

La parole qui surgit off semble vraiment s'adresser à lui, et non au clochard que l'on ne voit d'ailleurs pas encore :  

— ON T'A DEJA DIT QU'ON VOULAIT PLUS TE VOIR ICI !!

Ainsi, dès son introduction, ce personnage sans domicile fixe semble voué à permettre l'identification.

Dans la page suivante, une case est construite de telle sorte que les policiers encadrent le gamin et semblent donc s'adresser à lui :

— PAS DE CLODO ICI !!

— TU DEGAGES !

On retrouve cet artifice page 99, où les deux amis sont réunis dans la même case ("ENCORE TOI !!!").

Par cette identification, le gamin agit comme si le clochard, barbu également, devenait son père.  

La ressemblance entre le gamin et Thomas, le fils du clochard, est visible en pages 88 et 89, accentuée par la mise en double page particulière, et la direction du regard sur la photo de Thomas.

Les deux cases supérieures et les deux cases inférieures sont construites à l'identique, dans un effet de symétrie. Le clochard semble penser au gamin en page 88, et à son fils en page 89. D'ailleurs, si le clochard l'aide  à retrouver son père en abandonnant la barbe qui le lui faisait ressembler, et en transférant l'harmonica symbolique, autant le gamin l'incite à retrouver son fils.  

Revenons sur le fait que nous ne connaissons qu'un seul prénom, celui de ce fils. Sans doute le choix du prénom Thomas fait-il référence inconsciemment au besoin de voir pour croire, de voir son père pour croire à son existence. Mais ce prénom n'a t-il pas aussi pour fonction de bloquer une possible adoption spirituel ? Son prénom confère à ce fils une existence plus réelle que celles des autres personnages : il en devient plus précis que le gamin. Ce dernier peut donc difficilement prendre sa place. Le lecteur ne peut à aucun moment envisager qu'il s'en aille avec le clochard. L'issue est attendue au sein de la famille du gamin, et plus spécifiquement du côté paternel.  

D'ailleurs, ne trouve-t'on pas systématiquement une porte ou une fenêtre dessinée dans la même case que le père ?

Le découpage : rapport au temps, rapport à l'espace

Nous allons maintenant tenter d'analyser une opposition qui n'est qu'apparemment contradictoire entre la précision chronologique et les traitements irréalistes de certains passages.  

L'époque est donnée dès la couverture, et précisée par de nombreux indices narratifs. Il s'agit tout d'abord de la copie du gamin qui associée à une consultation des calendriers récents - en partant d'un principe de réalisme en accord avec la tonalité documentaire de cet album - donne bien comme date de départ de l'histoire, le premier jour de l'automne de l'année 1999.

Ensuite, l'articulation des différentes journées est assurée précisément par les dialogues : "pour l'autre jour", "A demain", "Demain, on est dimanche", "tu n'es pas venu hier"...

Diagramme chronologique

Mis à part cette précision, la gestion de la durée par Chabouté interpelle le lecteur attentif : il ne peut que constater que le traitement du temps n'est pas homogène sur l'ensemble des journées.  

Ainsi la position identique des mains des parents d'une case à l'autre des pages 6 et 7 fige le déroulement de cette séquence. Cette immobilisation correspond au passage des deux oiseaux, dont la récurrence sera abordée plus loin.

Ensuite, nous remarquons que les quatre premières journées coïncident avec les chapitres, ceux-ci se terminant sur la phase nocturne.  

Mais le lundi marque une rupture à plus d'un titre. Plusieurs chapitres sont nécessaires pour couvrir cette journée ainsi que celle du mercredi. De plus, c'est la dernière journée dont on verra la nuit. Et quelle nuit ! Alors que la lune se présente dans son premier quartier dans la nuit du samedi, la pleine lune est visible dès le surlendemain, alors qu'elle ne devrait survenir qu'une dizaine de jours après !

Cette lune en avance est nécessaire pour éclairer au sens littéral comme au sens figuré la scène conjugale en la connotant sexuellement. La grande taille de la case de la page 88 insiste sur son importance symbolique.

Ce sera la dernière nuit présentée : sans doute le problème fondamental des parents étant désormais

clairement exposé à la conscience du gamin, les soirées ne sont-elles plus nécessaires à la dramatisation des relations familiales.  

Le choix des endroits où se déroulent les rencontres est également très intéressant : les lieux choisis relèvent essentiellement des sphères psychologiques de l'individu. Il n'y a aucun lieu de loisirs, aucun site de travail productif - le collège faisant davantage référence à l'activité éducative.  

La ville est peu présente graphiquement : ce manque de précision géographique participe de la caractérisation psychologique des lieux, même si Chabouté n'apprécie pas dessiner la ville :

"Dans une ville, je ne vois pas la ligne d'horizon, cela m'oppresse et il n'y a pas suffisamment d'arbre. La ville ne me fait pas vibrer. Après tout il faut aimer les choses qu'on dessine."

[5]

On peut également remarquer que deux psychologies se rencontrent.

La maison et le collège sont à la fois des lieux de rencontre et de réflexion, d’introspection. Ils sont en accord avec la situation psychologique du gamin, empreinte de dépendance à la double référence familiale et éducative.

Les lieux associés au clochard sont liés à l’errance du sans domicile fixe. Le clochard apporte les germes d’un ailleurs plus humain. Les oiseaux - qui vont en couple, faut-il le souligner ! - que le gamin envie à trois reprises (pages 5, 45 et 62) ne peuvent représenter un avenir potentiel, à moins de croire en la réincarnation.

Les deux naufragés de l’existence vont s’offrir l’un à l’autre une chance de salut sur l’îlot que représente ce banc - en bois, comme le radeau de tout naufragé- au milieu du parc municipal.  Il y a même un arbre. En effet, l’enfant que tout lecteur a été ne dessinait-il pas un îlot avec un arbre planté en son centre ? En s’approchant de ce banc, on sent presque le sable crisser sous les semelles ! Même les requins rodent et mettent en danger cette belle amitié.

La dimension sociale

Le discours de Chabouté n’est absolument pas déconnecté d’une réalité sociale lourde de conséquence. Les difficultés financières d’une classe ouvrière qui même si elle est parvenue à la propriété, est confrontée à une certaine précarité. Le père est obligé de faire des heures supplémentaires, provoquant une absence qui est néfaste à sa vie de couple. Sa femme ne se plaint-elle pas d’être « la boniche ».  

 Il semble qu’elle soit la seule à veiller à la propreté vestimentaire, aux respects des heures de sommeil, etc.  Toujours est-il qu’elle a le rôle le plus ingrat dans cet album. Faut-il y voir une critique de la condition de femme au foyer, situation archaïque dans le monde actuel, mais parfois imposée par les circonstances économiques : chômage, garde d’enfant, trajet domicile/travail ?

La taille de la première vignette de la page 10, qui occupe toute la hauteur de la page permet à la mère d’y exprimer ses revendications.

L’impact social des problèmes de cette famille se retrouve dans les relations qui existent entre le gamin et le milieu scolaire. Davantage que sa rédaction à l’orthographe médiocre, la première case du chapitre 2 traduit graphiquement l’accablement de cet enfant sous le joug de l’établissement scolaire.  

On se demande tout de même pourquoi l’enseignante ressemble étrangement à sa mère : coupe et couleur de cheveux, sourcils, boucles d’oreilles.  

Une analyse de l’image de la femme dans l’œuvre de Chabouté, en dehors de son album Sorcières, où elles n’apparaissent vraiment pas sous leur meilleur jour, mériterait d’être menée !

[1] Lire la bande dessinée, Peeters, Champs Flammarion 1998. .

[2] Système de la bande dessinée, Groensteen, PUF formes sémiotiques, 1999.

[3]Dans un entretien d’octobre 2008 – CaseMate n°8 – Chabouté précise : « Mes cases silencieuses parlent autant que les autres. Peut-être même plus »

[4]L'écriture cinématographique, Pierre Maillot, éditions L'Harmattan, 1997.

[5]Itinéraires dans l'univers de la bande dessinée, éditions Flammarion, 2003.