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Un taxi nommé Nadir, Gilles Tévessin & Romain Multier

Lescanons ont la vie dure ; la bande dessinée ne fait pas exception.

Par Stéphane

Je me souviens, il y a quelques années, dans l’immense sous sol de la librairie Album du 84 boulevard St Germain, je cherchais une bonne heure et demi durant de l’iconographie sur Paris en bande dessinée à la demande d’Antoine de Caunes,tout droit sorti d’un film où il montrait ses jolies fesses et en pleine préparation de son premier long métrage à la réalisation. Un besoin de documentation jamais assouvi, l’homme connaissant déjà et sur le bout des doigts le moindre des dessins publiés par Tardi.

À l’époque, je m’étais dit qu’il y a vraiment peu de bandes dessinées prenant la capitale pour cadre, et m’étais trouvé un peu vexé de n’avoir réussi à exhiber mon savoir devant cette célébrité. Hors depuis, je n’ai jamais découvert de vision originale, novatrice ou intéressante de Paris, elles n’existaient donc pas, ou étaient bien cachées.

C’est donc avec un bonheur indicible que j’ai vu débarquer, pour la première fois,une démarche artistique en rupture avec les vingt-cinq ans de cette domination esthétique du maître Tardi ; le pire étant les répétitions vulgaires à l’infini, réalisées le plus souvent par des tacherons de première. Après le splendide Roi cassé de Nicolas Dumontheuil, qui renouvelait en début d’année dernière l’imaginaire et les courbes des tranchées de la première guerre mondiale (un autre de ses terrains de domination), voici Un taxi nommée Nadir, de Gilles Tévessin et Romain Multier, édité par mon vieux pote T.G, qui repeint Paris aux couleurs de ce nouveau siècle.

Enfin fini ce noir et blanc des clichés désuets d’une capitale du passé, trop souvent sous-entendue comme à son meilleur - le détestable Amélie Poulain en tête. Là est le grand mérite de cette bande dessinée, évider enfin l’imagerie anachronique et franchouillarde de ville musée, incapable de ce renouveler dans son architecture et dans son imaginaire,les pieds pris dans le béton pavé du vingtième siècle.

En plus d’apporter un peu de neuf esthétique, les deux auteurs dégomment la déjà canonique et pompeuse forme du reportage en bande dessinée initiée par JoeSacco. Ce dernier certes y excellait, mais là encore il faut voir ce que ces suiveurs ont produit comme déchets. Tévessin et Multier montrent que le documentaire a une histoire, de nombreux modèles à adapter.

Proche des portraits de professions réalisés par Alain Cavalier (à la tendresse sublime et récemment réédités chez Arte au passage, mon préféré «la dame lavabo»), leur promenade parisienne en compagnie d’un chauffeur de taxi, as de la conduite et guide de la nuit, ne cherche que la fluidité du récit et des décors, provoque la proximité par l’abondance de variations narratives et d’effets qui se veulent discrets.

Novateur à tellement d’égard au point de renouveler dans sa chair la bande dessinée, astucieux dans le détails de la voix et du trait tant et si bien que plusieurs lectures sont nécessaires,joyeux comme un drille et humaniste comme pas deux, ce livre est assurément l’un des plus grands moments éditorial de l’année 2006.