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Trondheim à l'Institut Finlandais

Par Stéphane

Animant hier soir à l’Institut Finlandais une conférence sur Célébritiz, album de Lewis Trondheim et Ville Ranta aux éditions Dargaud, je rencontrais pour la première fois l’auteur des célèbres carottes. Des années durant j’ai imaginé ce moment que je savais inévitable, gravitant de plus en plus haut dans le monde interlope de l’édition BD. J’allais être face à un homme que l’on décrit comme imbu, prétentieux, ou pire…méprisant. Qu’allais je faire, moi qui avait longtemps cultivé pour son travail une vraie passion, allant jusqu’à l’intégrer comme objet de recherche universitaire dans ma jeunesse (Qui osera dire que les études supérieures ne servent à rien ?). A force de cogiter, j’en étais venu à éprouver une forme d’anesthésie émotionnelle totale. Et c’est presque blasé que j’arrivais ce soir pour animer la conférence. « Avec Lewis, il faut s’attendre à tout ! Soit il fait l’idiot et parasite tout, soit il coopère et se comporte plutôt calmement » me rappela l’éditeur. Un geste gentil, mais à vrai dire à ce stade je m’en fichais, j’étais détaché.

Quelle erreur de jugement je n’avais pas fait là. Non seulement je redécouvrais un artiste que les quolibets avaient esquinté dans mon cerveau de crétin influençable, mais plus encore un humain complexe, assez plaisant. Lewis répondait aux questions avec beaucoup de tact et d’à propos, détaillant sa petite mécanique créatrice humblement, expliquant par exemple qu’il ne relisait que très rarement ses livres une fois publiés, préférant passer à autre chose une fois ce qu’il avait à dire achevé. Il expliqua aussi ses errances de scénariste, laissant son écriture dériver pour le plaisir de faire réapparaître un personnage, alors que ce n’étais pas prévu, juste parce qu’il est surpris par le dessin que son collaborateur a produit depuis ses indications…. Bref, un agréable moment, riche et didactique, avec un homme qui visiblement renonce à toute reconnaissance sociale pour mieux se concentrer sur ses besoins d’expression.

PS : Et l’album me direz vous… et bien pas terrible. L’esthétique audacieuse de Ville Ranta -entre école de la ligne crade et minimalisme-, et les retrouvailles avec certains thèmes absents depuis belle lurette des livres de Trondheim (la double personnalité, l’homme comme fraude ou usurpateur, l’engagement politico social), ne font pourtant pas décoller cette chronique absurde à laquelle il manque ce soupçon de pertinence et d’audace qui fait la différence, et que l’on trouve notamment dans la série Lapinot auxquels pourrait presque appartenir Célébritiz.

Toute la soirée j'eut le sentiment d'être "the ennemi", comme le disent si bien les rockstars en parlant des journalistes dans le film Presque Célèbre de Caméron Crow