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LES GARÇONS DU TRAIN

Parce que oui, ils sont plusieurs!

Densha Otoko, l'homme du train en japonais, est un conte urbain moderne dérivé d'une histoire vraie. Une histoire des années 2000 qui résume bien la romance contemporaine nippone en lui créant au passage un nouveau canon.

Le personnage principal est un otaku quelconque, correspondant si on en croit toutes les adaptations au fabuleux cliché habituel de la banalité. Pour combler ses mornes journées  de fanboy il zone sur 2 channel, un forum japonais crée en 1999 précurseur notable du célèbre et non moins peu recommandable 4chan. Incapable de se prendre en main et encore moins de côtoyer la gente féminine, ce garçon se mêlera toutefois impulsivement à une altercation verbale qui dégénère sous ses yeux. Dans un train bien entendu, ce qui déterminera son pseudo internet pour tout le reste de l'histoire et lui permettra de devenir à la fois iconique et fantasmé sous couvert d'anonymat. À l'aide des ses e-amis il tentera d'affronter ses blocages psychologiques en recontactant la jeune femme qu'il a précédemment sauvé. En la courtisant, il s'érigera lentement en être humain, sortant de sa dégradante condition d'otaku pour enfin, de ses propres mains, atteindre le statut d'Homme.

Une histoire comme on a l'impression de l'avoir entendue mille fois. C'est normal, c'est bien cette histoire ci que nous avons entendu mille fois. En 2005, le densha otoko était sur toutes les lèvres. Sites web dediés, drama, film, livre, manga, à tel point que certains préfaciers français perspicaces se demandent si l'histoire supposément vraie utilisée à la base ne pourrait être qu'un habile coup marketing, un buzz launcher précoce, une mystification à but commercial bien préparée. Il est vrai que personne ne connait l'identité des protagonistes de cette aventure, internet oblige.

Sans savoir ni avoir vécu tout ça, j'ai longtemps été intrigué par le fait que deux éditeurs français (Kurokawa et Taïfu) aient pu publier de trois façons différentes cette même histoire. Trois dérivés de la même histoire, trois séries complètes en trois tomes chacune dans un paysage éditorial ou la nouveauté et la différence fait tout. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant que ces histoires avaient toutes été publiées la même année au japon! Vous à qui je viens tout juste de parler de la ferveur densha otoko, vous ne cillerez même pas. Mais si on excepte l'engouement japonais pour se replacer dans le prisme d'un lecteur français lambda qui pénètre un rayon bien fourni de librairie, ça fait bizarre.

La première mouture éditée en France est de Hidenori Hara, l'excellent auteur de Gokudo girl et de Regatta.La seconde de Wataru Watanabe, "d'après l'oeuvre originale de Hitori Nakano" et la troisième de Daisuke Dôke sur un scénario du même Hitori Nakano. Étonnant. Et encore bien plus quand on sait qu'il a aussi scénarisé un one shot inédit en France, sur le même sujet, la même année. Ça ne fait pas un peu beaucoup?

Mais non, car ce Hitori Nakano n'existe pas. C'est un pseudonyme, forgé à partir du terme Naka no Hitori , en gros "l'un d'entre eux", englobant tous les utilisateurs de forums tels que 2chan. Il est logiquement utilisé pour personnaliser le garçon du train, dont l'identité est toujours secrète.

Les trois séries sont en arrêt de commercialisation. La hype n'aura pas duré longtemps par içi. La flamme vacillante de l'amour d'un otaku dans un train n'est elle vouée qu'à s’éteindre? Relançons la machine: à l'occasion de l'arrivée des trois séries complètes en rayon rue serpente, j'ai pu me faire une petite idée sur le contenu des différentes éditions. Peut-être cela vous aidera-t-il à opter pour une version plutôt qu'une autre.

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Densha Otoko, l'homme du train

Hidenori Hara, kurokawa;3 tomes série complète, 20€

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Cette version est la plus adulte de toutes. Je l'ai même vu classée en seinen quelque part. Elle choisi d’ailleurs de garder comme titre densha otoko alors que Taïfu préfèrera traduire en français, travestissant au passage l'homme en garçon. Ça veut tout dire.

L'histoire glisse subtilement du récit d'un gros lourd qui se fait des films à un entrechat de sentiments propulsé avec finesse. Le point fort de ce titre réside dans cette finesse et une justesse qui s’avérera nostalgique ou tendrement rêveuse selon votre propre expérience de la chose.  D'ailleurs dessin et scénario s'en partageant le mérite à parts égales.

Un internaute au sein du manga fait durant l'une des péripéties sentimentales du héros une réflexion extrêmement pertinente: il se remémore ces magnifiques moments de tension amoureuse liés à la découverte de l'autre, à son approche et son apprivoisement. Toutes ces prémices, il les chérie et nous aussi.  Voila tout le sel, tout le piquant ainsi que toute la douceur et l'habileté de ce Densha otoko. Faire  vivre par procuration ou revivre ce frisson de l'idylle naissante. Le faire ressentir.

Même si Kurokawa ne tient pas toutes ses promesses en matière de post-face (elle en annonce une qui ne viendra jamais), celles-ci surprennent par leur pertinence et une analyse très probe. De même l'effort d'explication du vocable internet est fort louable, bien qu'incomplet. AFAIK, les noobs ne se feront donc pas mentalement kick/ban d'office du récit mais ça pourrait coincer sur certains détails.

Au final on pourrait très bien considérer que cette histoire, dans ce traitement précis, n'a pas besoin du schéma narratif que lui impose le background de la réalité. L'auteur arrive à faire voler ce je-ne-sais-quoi romantique totalement indispensable à tout flirt. Même l'humour est surjoué légèrement en dehors des canons du genre. C'est d'ailleurs la série au travail narratif et de découpage le plus marquant.

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Le garçon du train, moi aussi je pars à l'aventure

Wataru WatanabeTaïfu, 3 tomes, 20€

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Pourquoi toi aussi? Qui est parti à l'aventure avant toi? On peut le savoir? Non? Bon. Très bien.

Ha! Mais peut être que ce titre sous-entend que le protagoniste de l'histoire n'est pas le garçon du train originel mais un autre jeune homme, qui vit dans un univers ou cette histoire de densha otoko existe (celle dont je parle plus bas, par exemple) et qui répète le même schéma existentiel! Je n'ai absolument pas la patience de revenir à nouveau sur cette série en scrutant des indices de cette théorie alors je vais éviter de l'approfondir.

J'ai souligné précédemment la finesse de l'histoire décrite par Hidenori Hara. Comme prévu, cette version de Watanabe apparait bien plus pataude en comparaison. Il force le trait. Dans tous les sens du terme. Les réactions sont globalement plus adolescentes mais c'est normal, on sent que le public ciblé n'en n'est qu'aux balbutiements de son romantisme personnel et qu'il faut tout enrober de codes rassurants. Puisque de nombreuses réactions sont caricaturées pour correspondre aux clichés habituels, on lit bien mieux les angoisses de l'otaku. La romance est aussi factice que peut l'induire un titre aussi humoristique toutefois ce rapprochement vers la puberté donne notamment l'occasion  à l'auteur de développer légèrement plus longtemps le caractère de son personnage principal.

De même, l'utilisation de 2chan, qui n'est pas vraiment claire dans les deux autres récits, est bien introduite. Watanabe étend graphiquement l'univers du forum, en rendant biologiques des réactions informatiques. Il utilise des smileys qui ont pris vie dans un univers médian vide de toute autre forme, à mi-chemin entre la chambrée du densha otoko et les terminaux informatiques de ses collaborateurs internet. C'est une bonne idée pour créer de la proximité entre ses personnages mais à l'inverse, être témoin d'une vie virtuelle d'émoticone nous coupe de l'attachement que nous aurions dû développer pour le casting de second couteaux.

Petit bémol tristounet: les tasses Hermès offertes au garçon du train, précieuses et chères, point de départ d'ébahissement et d'intrigues, qui créent quasiment toute l'histoire, sont içi moches et banales. Ça ne change rien du tout mais c'est un peu dommage de ne pas avoir fait d'effort sur leur représentation.

De la même façon, Densha otoko (le garçon du train, je le précise à nouveau) et Hermès sont les pseudonymes donnés à deux inconnus dont les internautes ont suivit l'histoire derrière leur écran. Il était nécessaire de différencier ces deux anonymes dans ce fleuve de message ininterrompu qu'est un tel forum. Mais nous, les lecteurs, nous suivons pas à pas la progression des deux protagonistes, à leurs cotés. Dans notre usage quotidien du net, ces pseudos apparaissent légitimes mais dans un manga, il faut le justifier. Ne serait-ce que par une ligne de dialogue. Une pensée. Une simple annonce. Une action visuellement reconnaissable. Il faut qu'entre cet homme dont nous partageons la vie et l'iconique densha otoko, la transition soit explicitée, actée. Elle ne l'est pas. C'est un point de détail qui ne nuit véritablement à rien mais c'était pourtant si simple et crucial... tant pis.

À l'inverse, l'auteur a la bonne idée de faire récapituler l'histoire par un de ses personnages en cours de route. Celui ci essaye en effet de résumer à un ami les pérégrinations des deux tourtereaux. C'est plutôt malin, surtout si on tient compte de la densité des rebondissements qu'ils vont vivre.  Enfin, il offre quelques interprétations assez osées, nous renvoyant à la liberté de création que lui offre malgré tout un récit lourdement balisé. C'est couillu, avais-je écrit dans mon brouillon et une part importante de l’intérêt de ce titre. Watanabe replace les seconds rôles au sein d'une histoire en canon, et n'en fait pas la simple 5e roue du carrosse. La double fin informatique et sentimentale fait d'ailleurs spécialement sens.

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Le garçon du train, sois fort garçon!

Daisuke Dôke;Taïfu, 3T, 20€

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Cette dernière version est assez rafraichissante. Et après la lecture des deux titres précédents à la suite, c'est soulageant. Là ou la première était très sensuelle et la seconde très exagérée, celle ci apporte de nouveaux éclairages bienvenus sur l'histoire, notamment en développant le point de vue du personnage principal féminin jusqu'à présent totalement occulté.On y ressent de ce fait bien plus les extrapolations, surtout quand les protagonistes de 2chan déballent leurs vies. Tandis que Watanabe rajoutait carrément des péripéties entières, faisant se mouvoir toute la communauté d'internautes différemment, Dôke se concentre lui sur les backstories.

L'auteur a commis l'infamie de réutiliser des dialogues et scènes absolument identiques à l'autre version parue chez Taïfu (ou peut être est-ce imputable au traducteur) toutefois si vous ne lisez que celle-ci, cela ne devrait pas vraiment vous choquer. Il se mélange aussi un peu les pinceaux sur certaines chronologies de faits établis logiquement immuables. Ces décalages temporels se révèlent finalement assez mineurs, rehaussant plutôt une toute autre vision des évènements.

Un très bon point qu'il est impossible de relever à la lecture des deux autres séries: le garçon du train est réellement moche. Comme dans la version drama. Et bien que durant les premières pages, ça choque carrément notre sens esthétique et notre incessante recherche -socialement induite- du beau, l'auteur est finalement le seul à arriver à exprimer un des messages fondamentaux de cette histoire. L'otaku qui voit sont rêve amoureux lentement se réaliser, se transcende grâce à ses efforts et à sa rigueur mentale. Il n'est pas un "beau qui s'ignore" cher aux adolescents qui fantasment sur leurs transformations physiques à venir ou aux paresseux de la mode. Il n'est pas un délabré par simple manque d'attention corporelle, un homme à qui il suffit d'une nouvelle veste et d'un peu d'assurance pour devenir Georges Clooney.

Il casse efficacement, comme le voulait à l'origine toute cette histoire, le mythe du vilain petit canard qui se transforme en cygne par action divine. Grâce à ses efforts, grâce à cette certaine forme de courage qu'il montre pour surmonter sa timidité, il devient quelqu'un qui n'est plus repoussant a priori et qui séduit, non pas par son aura physique soudainement flamboyante mais par son humanité et toutes les qualités dont il ne pouvait faire montre précédemment. C'est quand même plus honnête et plausible.

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TL;DR?

Le garçon du train est une histoire emblématique du début du siècle qui tombe déjà en désuétude.  Elle porte en elle les bourgeons d'un grand classique romantique que de nombreux auteurs ont fait pousser de manières différentes, obtenant des buissons de fleurs sentimentales distinctes. Chaque fragrance se vaut, il faut juste que vous sachiez ce que vous avez envie de sentir. Plus mature pour le premier, plus bourru pour le second et plus transversal pour le troisième. Et peut être bien que le coté OGM des transplants du tendre matériau qui est à la base de densha Otoko a contribué à épuiser l'intérêt du public à un rythme bien plus rapide que la normale. Lesdits buissons ont beau ne plus être ardents, votre lecture devrait continuer à l'être encore un peu dans nos rayons grâce aux packs de ces séries introuvables.

Pour vous féliciter d'avoir lu jusqu'au bout, voici un petit cadeau: Lors de votre achat d'un pack de densha otoko (n'importe quelle version) chez nous, nous vous ferons 5 € de réduction sur nos packs séries complètes de  G. Gokudo girl ou de Regatta. Allez, c'est le moment de découvrir le travail d'Hidenori Hara.

Et si un jour vous avez besoin d' "aide pour concrétiser vos histoires, vos coups de foudre ou plus généralement", rappelez vous que l'esprit densha otokoa fait bien des émules.