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LE SOUFFLE DU VENT DANS LES PINS

Malgré ma propension à batailler jusqu'à l'épuisement sentimental pour mes quelques coups d'amour, je me questionne toujours autant sur ma capacité à décrire, raconter, analyser ces titres.

Le Souffle du vent dans les pins par exemple est le dernier titre en date qui a piqué mon petit cœur d'esthète timide. J'ai bien envie de vous en parler mais il faut dire que cet album m'intimide beaucoup. Il est magnifique mais me revient-t'il d'y déceler des affiliations ? Suis-je seulement capable de dérouler le fil exact qui a amené à un tel récit sans pouvoir investiguer plus loin que le bout de mon nez pointant au bout de mon corps coincé au bout de ma petite chaise de libraire parisien ? Si je devais vous décrire la magnificence de ce récit, ne confesserais-je pas mon impuissance si je décidais en toute simplicité de vous en montrer les tenants graphiques ? De vous abreuver d'images plutôt que de mots ? Parce que décortiquer son trait sous ma plume ne lui ferait sûrement pas honneur, voici de quoi vous en mettre plein les mirettes:

Le point fort de cet album réside indéniablement dans cette claque oculaire. On ouvre le Souffle du vent dans les pins comme on ouvre une porte finistérienne , en s'attendant avec délice à ce que la bourrasque nous écarquille les yeux d'un brusque coup dénué d'animosité. Car comme le vent, Zao Dao (à ne pas confondre avec Golo zao) ne nous veut aucun mal. Comme le vent, sans plus qu'un sifflement, Zao Dao veut seulement nous emmener à sa suite. Et comme face au grands vents du nord, on se laisse aisément porter. Voilà le principe même de sa narration, voilà sa façon de paver le chemin de son personnage et d'emmener ses lecteurs à sa suite.

Nous voici alors en quête avec le personnage principal. Un pas après l'autre, une situation après l'autre, un instantané d'importance après l'autre.Le texte narratif minimaliste et sibyllin maintient cet état de voyage nébuleux, qui fait passer le récit d'aventure parfois épique à fable véritable.

Il semblerait que Zao Dao soit une sacré célébrité. Pas une pop star mais à l'instar d'un Kim Jung Gi devenu presque omniprésent ces temps-ci, une artiste dont le nom et le trait réveille bien des choses dans l'âme de spectateurs initialement bien loin d'être des afficionados de l'art graphique plus ou moins séquentiel. Pour preuve, je cite l'extrême facilité que nous avons à trouver ses dessins sur les portails généraux des plateformes tumblr et pinterest, hérauts de communautés geek et hipster autocentrés. Mieux, la rapidité à laquelle apparaissent ces deux sites lors d'une simple recherche internet sur l'auteur.

Un poil Matsumoto ou pô ?

Yohan Radomski livre pour un site d'actualité français une interview de l'auteur très intéressante. M. Radomski vivant depuis maintenant de nombreuses années en Chine, il a le privilège de côtoyer des auteurs et de pouvoir les aborder avec un certain naturel. Ça nous donne une entrevue pleine de petites révélations. Voici en vrac ce qu'on y apprend d'important:

  • Zao Dao a 25 ans, c'est impressionnant.

  • Zao Dao est autodidacte. (Damnit)

  • Zao Dao s'inspire principalement de ses lectures d'enfance et des titres traditionnels au style marqué que ses parents lui ont transmis mais elle cite tout de même tous les grands auteurs marquants de sa génération. (Matsumoto, Otomo, Mizuki, Moebius...) En effet, certaines de ses illustrations font un fort écho à Matsumoto tandis qu'on aperçoit quelques monstres moebusiens dans ses carnets mais une rapide recherche google nous fait comprendre qu'elle ne mentionne pas négligemment Dai Dunbang.

  • Zao Dao n'est pas une artiste commercialement mineure. Son album s'est très bien vendu en chine malgré un précédent désaveu du marché face à son style. C'est une grosse surprise pour elle et une grosse réussite pour tous.

  • À l'origine, le livre est muet. C'est Mosquito, son éditeur français qui a insisté pour rajouter des pistes de lectures. On peut regretter le fait que ça perturbe le travail de mise en place visuelle de l'auteur, parfois jusqu'à gêner à la vision d'une très belle planche, mais on peut aussi concéder que ces mentions apportent un contexte parfois salvateur.

  • Zao Dao signifie "riz précoce". Voilà un détail qui vous resservira peut-être un jour en société.

À force d'enchainer les envolées vagues, je me rend compte que je n'ai même pas décris la trame du récit. Un hardcore fan pourrait m'envoyer au visage qu'il me suffit de flâner dans l'histoire et l'auteur elle même vous dirait qu'elle préfère vous impacter avec ses images mais tant pis, il manquerait quelquechose si je ne mentionnais pas ce qui habituellement fait toute la force d'un titre moins maitrisé. Pour 20 euros, pendant 117 pages, Yaya, un jeune garçon va voyager d'aventures en aventures, de rencontres en affrontements, de questions en réconforts. Au final, rien de plus à révéler puisque c'est la manière dont l'auteur nous dit son récit qui impressionne. Cette quête qui semble avoir pour but une affirmation de soi nécessaire permet à l'auteur d'amener son héros absolument là ou elle le désire en évitant la majorité des contraintes de cohérence habituelles.

Zao Dao multiplie les effets de styles en jouant sur de subtiles variations: changement du papier à dessin, changement de la proportion de couleur dans ses fresques, changement du pinceau à la plume, décors foisonnants puis grands blanc... Maintenues dans une bulle stylistique cohérente et complexe, ses planches se réinventent sans cesse. Un environnement modulable couplé à un découpage très illustratif nous balade dans un ensemble de photographies graphiques, saisissant au vol de fugaces moments englobés d’éternité.

Et pourtant il me semble maladroit de passer aussi vite sur les pérégrinations de Yaya. Permettez moi de vous citer son incroyable combat contre Rakshasa et ses sbires, sa rencontre fortuite avec une fée des montagnes, son doux rétablissement aux cotés de la fille de l'apothicaire et la fête célébrée en son honneur par moult villageois. Voyez qu'il s'en passe des choses.

N'hésitez pas à passer brièvement sur le site des éditions Mosquito pour de nouveaux aperçus de la maestria de l'auteur. Si je pouvais vous en montrer plus, je finirai par vous révéler l’entièreté de l'album. je vais donc choisir de m’arrêter là et d’espérer que toute cette apologie vous aura touché, vous poussant à aller chercher l'album dans une boutique quelconque (de préférence Aaapoum Bapoum tout de même) pour profiter du bonheur de le feuilleter physiquement.

À noter que la reliure des éditions mosquito tient admirablement bien puisque j'ai scanné une grosse partie de mon exemplaire à l'occasion de cet article, sans réel dommage. Autre point de précision, si ces scans rendent suffisamment hommage au travail de l'auteur, attendez vous à de grosses marges blanches autour de la majorité de ces illustrations. Un mal bien  inévitable puisque la racine du problème vient du format des illustrations elles-mêmes, tellement disparates qu'elles en sont impossible à compiler uniformément.