Micheluzzi et les tons intermédiaires...
Dans la brume tous les chats sont gris
Attention, ci-après la démonstration que nous sommes des commerçants pratiquant une forme supérieure de retape : nous vous donnons une chance d'échapper à nos suggestions d'achats en n'hésitant pas à souligner certains défauts des objets de nos engouements.
Cela ne manque pas d'ironie. Voilà un maître du neuvième art — Attilio Micheluzzi — un majestueux conteur qui n'hésite pas à traîner ses personnages dans la boue des civilisations, un scénariste malicieux qui dépeint des caractères ambigus et des situations inattendues et incertaines, un subtil dessinateur au pinceau aérien, qui a précisément des difficultés pour transcrire les tons intermédiaires entre le noir et le blanc. Pourtant dans Marcel Labrume (un nom qui est un programme de l'indistinct) il essaie sans cesse d'atténuer le constraste caniffien (NDLR : de Milton Caniff, quoi), sur lequel il a bâti son style, à l'aide de tactiques diverses : petits points pour les collines lointaines... hachures diverses... croisillons. Aucune ne me paraît satisfaisante, surtout dans la première partie, ou d'abondants croisillons malhabiles semblent faire du remplissage hâtif des surfaces nocturnes.
En lisant ces planches je réussis à m'extraire de leur captivante intrigue grâce à la résurgence opportune d'un souvenir de cours de fac. Il y a une quinzaine d'années, je me souviens que le sarcastique Séra, qui élargit mon horizon bédéïque comme celui de tas de couillons d'étudiants parisiens, répétait devant nos planches tâtonnantes : “les hachures croisées, ça ne sert qu'à une chose : à représenter des grillages !“.
Bon sans déconner, je vous attends demain soir pour discuter de tout ça entre autres.
En plus les planches que Madame Micheluzzi nous a très gentiment prêtées (grâce au pouvoir de persuasion de Michel Jans) sont splendides et parfaitement dénuées de remplissage. À pleurer si on n'était pas de vrais hommes plein de morgue, ayant endossé une panoplie de solitaire élimée par les vents du désert.
Marcel Labrume, Éditions Mosquito, 150 pages d'aventures, d'espionnage, de guerre, d'amours interrompues, de regrets sans repentirs. Tout ça en noir et blanc et pour 20 €.