La colère est vilaine conseillère : Tuniques bleues 34
No more heroes anymore
Les lecteurs réguliers de ce blog savent bien que j'ai du mal avec la maltraitance des animaux. Pour les nouveaux lecteurs, je place en hyperliens discrets deux archives, l'une concernant Spirou, l'autre Blake et Mortimer.
Depuis quelques jours je suis plongé dans les Tuniques Bleues, en raison d'une proche actualité : un mauvais album 53 juste derrière nous et devant nous une exposition à Angoulême, sous la responsabilité érudite du nécessaire Christian Marmonnier, et un bel album hommage à sortir fin janvier chez Dupuis.
Au sein de ces près de deux milles planches, relues pour la vingtième fois pour certaines, découvertes pour d'autres, une vignette a choqué ma sensibilité exarcerbée. Deuxième case du second strip de la planche 3A de l'album trente quatre. Vlan ! Ou plutôt "PAF". Blutch frappe son cheval sur la tête. Oui. Paf sur Arabesque.
Consternation et déception.
Déçu par Blutch qui se montre si indigne du pinacle où je le plaçai lors de mes jeunes années, ô mon héros aspirant déserteur et malingre, ô mon champion de l'humour qui désarçonne et désarme les brutes à l'esprit étroit ?
Ou déçu par Willy et Raoul, se montrant indignes de leur création, à force de répétition ? Pauvres artisans auto-esclavagés, ayant signé de piètres contrats dans leur jeunesse et depuis enchaînés à leur table à dessin et à leur divan... Ayant oublié dans le flux des corvées répétées la pureté des pulsions qui les motivaient au premier jour...
Et si...
Est-il possible que ces deux messieurs ne se soient pas rendus compte de ce qu'ils faisaient ? Plus de dix ans après cette case, dans la savoureuse monographie qui lui est consacrée au éditions Toth, Lambil ne confiait-il pas :
"J'ai toujours été très écolo (...) j'ai toujours été préocuppé par le sort des animaux, et surtout par celui de la faune sauvage"
.
Quant à Cauvin, ne fait-il pas ce bel aveu de pacifisme dans cet ouvrage à sortir chez dupuis :
"je ne suis pas anti-militariste, je suis anti-guerre"
Ces deux créateurs prolixes et talentueux, précurseurs de l'auto-fiction dans la BD avec
Pauvre Lampil, une série peu rentable mais si marquante, ces deux piliers de la BD franco-belge de qualité et de tradition sont-ils deux nigauds inconscients ?
Non.
Cela ne saurait être. Cette scène de maltraitance sur un animal innocent a donc été sciemment conçue et dessinée.
Que nous raconte donc ce trente-quatrième album intitulé Vertes années ? Précisément l'enfance et la jeunesse malheureuse de Blutch.
Blutch comment ? Blutch tout court.
Si Cornélius (oui comme l'éditeur) est le prénom de Chesterfield, Blutch n'a pas de prénom ou pas de nom, il est juste Blutch (oui comme le bédéaste président d'Angoulême). Blutch orphelin. Blutch servant de béquille à un pauvre alcoolo sur les chemins déjà désenchantés de l'Amérique. Blutch comme un hobo sans famille. Oui
Sans Famille, comme Rémi de Hector Malot. C'est à pleurer tout ça. Et vous croyez quoi ? qu'on peut avoir une vie de merde comme ça, être né sous la malfortune et tout, essayer de s'en sortir par le travail en montant sa petite entreprise tout seul et se retrouver déporté sur les champs de bataille dégoulinant des tripes de ses semblables, le tout sans en être affecté et en gardant sa belle morale pacifiste sans jamais faillir ? Et bien non. Toute cette merde pèse sur nos épaules. Même les saints ont leurs faiblesses. Il arrive que le sympathique Blutch laisse sortir la brute qui est en lui. Un salopard capable de taper son fidèle destrier entre les oreilles, parce qu'il est en colère, parce qu'il s'est fait engueuler par un plus gradé que lui... Un pauvre type frustré qui se défoule sur une bête.
C'est sûr, c'est dur à encaisser. Presque aussi dur que ce même Blutch essayant d'assassiner froidement ce pauvre naïf de Cornélius dans le dernier opus
Sang bleu chez les bleus : l'ayant assommé dans son sommeil et ligoté, il le balance en pleine nuit du haut d'un pont dans la rivière...
Les Tuniques bleues, une série qui oscillait entre réalisme et humour... avant d'être de moins en moins drôle.