Publications dans Décembre 2009
La colère est vilaine conseillère : Tuniques bleues 34
 

No more heroes anymore

Les lecteurs réguliers de ce blog savent bien que j'ai du mal avec la maltraitance des animaux. Pour les nouveaux lecteurs, je place en hyperliens discrets deux archives, l'une concernant Spirou, l'autre Blake et Mortimer.

Depuis quelques jours je suis plongé dans les Tuniques Bleues, en raison d'une proche actualité : un mauvais album 53 juste derrière nous et devant nous une exposition à Angoulême, sous la responsabilité érudite du nécessaire Christian Marmonnier, et un bel album hommage à sortir fin janvier chez Dupuis.

Au sein de ces près de deux milles planches, relues pour la vingtième fois pour certaines, découvertes pour d'autres, une vignette a choqué ma sensibilité exarcerbée. Deuxième case du second strip de la planche 3A de l'album trente quatre. Vlan ! Ou plutôt "PAF". Blutch frappe son cheval sur la tête. Oui. Paf sur Arabesque.

Consternation et déception.

Déçu par Blutch qui se montre si indigne du pinacle où je le plaçai lors de mes jeunes années, ô mon héros aspirant déserteur et malingre, ô mon champion de l'humour qui désarçonne et désarme les brutes à l'esprit étroit ?

Ou déçu par Willy et Raoul, se montrant indignes de leur création, à force de répétition ? Pauvres artisans auto-esclavagés, ayant signé de piètres contrats dans leur jeunesse et depuis enchaînés à leur table à dessin et à leur divan... Ayant oublié dans le flux des corvées répétées la pureté des pulsions qui les motivaient au premier jour...

Et si...

Est-il possible que ces deux messieurs ne se soient pas rendus compte de ce qu'ils faisaient ? Plus de dix ans après cette case, dans la savoureuse monographie qui lui est consacrée au éditions Toth, Lambil ne confiait-il pas :

"J'ai toujours été très écolo (...) j'ai toujours été préocuppé par le sort des animaux, et surtout par celui de la faune sauvage"

.

Quant à Cauvin, ne fait-il pas ce bel aveu de pacifisme dans cet ouvrage à sortir chez dupuis :

"je ne suis pas anti-militariste, je suis anti-guerre"

Ces deux créateurs prolixes et talentueux, précurseurs de l'auto-fiction dans la BD avec

Pauvre Lampil, une série peu rentable mais si marquante, ces deux piliers de la BD franco-belge de qualité et de tradition sont-ils deux nigauds inconscients ?

Non.

Cela ne saurait être. Cette scène de maltraitance sur un animal innocent a donc été sciemment conçue et dessinée.

Que nous raconte donc ce trente-quatrième album intitulé Vertes années ? Précisément l'enfance et la jeunesse malheureuse de Blutch.

Blutch comment ? Blutch tout court.

Si Cornélius (oui comme l'éditeur) est le prénom de Chesterfield, Blutch n'a pas de prénom ou pas de nom, il est juste Blutch (oui comme le bédéaste président d'Angoulême). Blutch orphelin. Blutch servant de béquille à un pauvre alcoolo sur les chemins déjà désenchantés de l'Amérique. Blutch comme un hobo sans famille. Oui

Sans Famille, comme Rémi de Hector Malot. C'est à pleurer tout ça. Et vous croyez quoi ? qu'on peut avoir une vie de merde comme ça, être né sous la malfortune et tout, essayer de s'en sortir par le travail en montant sa petite entreprise tout seul et se retrouver déporté sur les champs de bataille dégoulinant des tripes de ses semblables, le tout sans en être affecté et en gardant sa belle morale pacifiste sans jamais faillir ? Et bien non. Toute cette merde pèse sur nos épaules. Même les saints ont leurs faiblesses. Il arrive que le sympathique Blutch laisse sortir la brute qui est en lui. Un salopard capable de taper son fidèle destrier entre les oreilles, parce qu'il est en colère, parce qu'il s'est fait engueuler par un plus gradé que lui... Un pauvre type frustré qui se défoule sur une bête.

C'est sûr, c'est dur à encaisser. Presque aussi dur que ce même Blutch essayant d'assassiner froidement ce pauvre naïf de Cornélius dans le dernier opus

Sang bleu chez les bleus : l'ayant assommé dans son sommeil et ligoté, il le balance en pleine nuit du haut d'un pont dans la rivière...

Les Tuniques bleues, une série qui oscillait entre réalisme et humour... avant d'être de moins en moins drôle.

 
La Genèse, Robert Crumb, édition luxe...
 

Y'en aura pas pour tout le monde.

Nous avons reçu, hier, l'édition luxe de la Genèse, reliée plein cuir et marquée à l'argent, limitée à 200 exemplaires, numérotés et signés, accompagnés d'une estampe en taille-douce reprenant l'image expurgée de l'édition courante (Le serpent tentateur pinçant le téton d'Eve), avec un prix de vente de 250 euros.

D'après BDSpirit, qui diffuse le livre, l'équivalent américain se serait retrouvé épuisé en moins de deux jours et s'arracherait sur Internet pour la coquète somme de 2000 dollars. Amateurs, soyez avertis.

Ci-dessous, la critique publiée dans Les Inrockuptibles par Stéphane et quelques photographies.

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Ilfaut, avant toute chose, surmonter la vision d'un Robert Crumb respectueuxdevant Dieu. Vingt ans auparavant, cette tête de proue de lacontre-culture américaine n'aurait pas su entrer dans ce texte autrement quepar la porte de l'impolitesse, animé de gaudriole et de transgression (il avaitpar ailleurs pris l’habitude de parodier des dévots habités par la bêtise etune religion plus simpliste que les mécréants qui s'en sont détournés). Rien,vraiment, ne laissait supposer une adaptation de la Genèse qui soit bienveillante. Alors il faut se faire une raison :peut-être est ce là l’éternel succès d'une éducation américaine pour laquellela bible échappe à toute critique ? D'autant plus que le poids de l'âge se faitpeut-être sentir sur l'écriture.

Cetteadaptation de la Genèse, en effet, au delà de tout intérêt pour le texte,témoigne surtout de cela, d'un état avancé de la vie où la colère et la révoltefont place à une expression apaisée. Pour le reste, Crumb appliquetoujours au récit ce traitement qu'il appliquait jusqu'alors à son dessin,c'est à dire la recherche d'un sentiment qui, derrière le masque, s'exprime parla nuance. Un émoi, fragile et précis à la fois, qui pourrait se résumer à ceconseil donné à son fils dans le documentaire qui lui était consacré : « trouve ce qui t'émeut dans cette personne,et surligne le légèrement ».

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Legeste décélère et gagne en minutie, le trait s’écourte et se multiplie en unematière minérale, l’imaginaire s’adosse à la longue tradition iconographiquesur le sujet divin… mais ces changements esthétiques ne peuvent empêcher l’humanitémythologique de cette Genèse de ressembler à celle, grossière et naine, que Crumb s’estamusé à dépeindre au long de sa vie. Les prophètes grimacent, les corps s’enlacent avec passion, la vieillesse se fait mesquine et la nudité frontale, sensuelle, sans jamais susciter le désir. La Genèse trouve unechair, incarnée, bouillonnante, respectueuse des dogmes mais nettoyée de toutenaïveté, plus encore de la béatitude. 

Car unefois encore, Crumb confirme cette capacité magique à produire des portraits dont le caractère exagéré accentue, non pas une dimension caricaturale,mais au contraire  le réalisme. Son dessin, qu'il soit au service d’êtrescharismatiques comme aujourd'hui, ou orduriers comme hier, amplifie cettequalité jusqu'à une forme de satire qui va curieusement convoquer, dans unmouvement contraire, la beauté de leur condition humaine. Magnifique paradoxe,mais c’est à cette dualité esthétique, ce don qui permettait à Crumb  hierde représenter ses pires fantasmes sexistes et racistes sans susciter ni colèreni dégout, que la Genèse doit aujourd’hui, dans une application inverse, cesupplément de corps et d’humanité.

La Genèse, édition luxe, scribes anonymes et Robert Crumb(Denoëlgraphic), 220 pages,  200 ex. N°/signé + estampe, 250 €

 
Marcel Labrume d'Attilio Micheluzzi
 

Par Stéphane. 

Ok, ok, je recycle pas mal ces derniers temps sur le blog. Mais je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire en ce moment. Mes camarades non plus, d'ailleurs, accaparés par le raz-de-marée des clients venus spécialement pour la Noël et les multiples palettes de livres que nous venons de recevoir (pour la même occasion évidemment).Bref, voici une critique de Marcel Labrume, parue dans le Chronic'art du mois de novembre. Au sujet de Chronic'art, je vais en profiter pour faire un peu de retape et vous dire que ce mois-ci c'est numéro double avec 8 pages d'interview et de photographies sur le président d'Angoulême, le jeune et déjà célébré Blutch, que l'on aime beaucoup à AAAPOUM. Quant à Marcel Labrume, il est à vendre dans nos modestes échoppes pour un prix public de 20 euros. Soit deux fois moins que l'édition originale, moins belle, que nous vendons également.

Attilio Micheluzzi fait partie des grands oubliés, des maîtres qui n’ont jamais eu la reconnaissance qu’ils méritent. Contemporain de Pratt, cet ancien architecte reconverti sur le tard en auteur de bande dessinée a pourtant lui aussi marqué son époque par la qualité de ses récits d’aventure et la finesse de son trait. Dommage que l'œuvre n’ait pas survécu à la mort de son auteur. Jusqu'à une époque récente, les amateurs devaient écumer les AAAPOUM BAPOUM pour trouver à prix d’or des ouvrages d'époque, le plus souvent mal fabriqués. Or, depuis quelques années, les éditions Mosquito ont entamé une politique de réédition soignée, avec photogravure fine et traductions refaites. Après Rosso Stenton et Afghanistan, cet hiver dernier, c’était au magnifique Petra Chérie, pavé de 300 pages contant le crépuscule d’une aristocrate perdue dans la tourmente de la première guerre mondiale, d’être à l’honneur avec presque 70% d’inédit. Et aujourd’hui, c’est au tour de Marcel Labrume. Il était temps, ce chef d’œuvre primé à Angoulême comme meilleur livre de 1984 était paradoxalement indisponible depuis une quinzaine d’années. Il se dit souvent que la bande dessinée n’a que faire de sa propre histoire… comment ne pas le croire après de tels manquements. 

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Bref, Marcel Labrume, c’est le héros typique chez Micheluzzi, une caisse de résonnance de son époque plus qu’une figure à suivre ou à adorer. Journaliste français exilé au Moyen Orient pour fuir la défaite de son pays et les magouilles qui lui collent aux fesses, Marcel vend ses services au plus offrant, sans distinction, qu'il soit nazi, musulman, juif…. L’atmosphère qui baigne le récit évoque inévitablement le film Casablanca, auquel le livre doit beaucoup, que ce soit pour le thème d’un Orient comme carrefour où se croisent les lâches et les vermines européennes exilées loin de la guerre, comme pour son esthétique, tout en ombres et en lumières jouant dans le décor sur les motifs de la prison. 

 L’une des grandes qualités de Micheluzzi, en effet, outre son sens du récit et ses héros complexes qui se rangent du bon côté de la barrière par un coup du sort plus que par sens moral, c’est son immense talent graphique. Comme beaucoup d’italiens de cette époque, et Hugo Pratt le premier, Micheluzzi goûte le sublime trait noir et blanc des grands maîtres de la bande dessinée américaine d’après guerre. Or, seul Pratt et lui vont s’inscrire dans cette esthétique élaborée pour la simplifier, l’épurer des détails inutiles au récit. Chez eux, les formes vont devenir synthétiques, les outils graphiques rudimentaires : une ligne, quelques hachures, et des masses de noir vont faire l’affaire, l’un préférant le pinceau épais (Pratt), l’autre le pinceau fin ou la plume. Marcel Labrume, en plus d'offrir deux épisodes mélancoliques et exotiques, marque l’un des sommets de cette esthétique, où cadrages, onomatopées et ombrages, se placent au service de l’efficacité narrative. L’aventure, encore et toujours, avant tout.

 
Les déserteurs de Christopher Hittinger, éditions Hoochie Coochie

 

Par Stéphane,

Hier, en sortant de la conférence de presse du festival d'Angoulême, j'ai croisé les éditions Hoochie Coochie. Et en discutant, j'ai découvert que Les déserteurs ne s'était vendu qu'à 350 exemplaires, en plus de ne pas être sélectionné à Angoulême. Or, ce livre mérite franchement plus de succès.  C'est l'un des deux livres les plus inventifs que j'ai lu cette année avec les Noceurs de Brecht Evans. Et quant je dis inventif, je ne parle pas d'épate narrative. Non, je dis inventif car sa forme particulière supporte totalement le comique et le message du récit. Alors je publie à nouveau ici la critique que j'avais écrite pour les Inrockuptibles du 30 juin. Nous avons encore trois exemplaires en magasin, à serpente.

Christopher Hittinger a du sang américain dans les veines et ça se voit. Ses deux premiers livres s’attachent à confronter l’homme aux « grands espaces », et les formes qu’il choisit servent tout particulièrement à mettre en relief cette opposition. Sauf que, modernité oblige, ses récits épousent bien plus naturellement la peinture ironique des frères Cohen que l’héroïsme classique de John Ford. Les vastes étendues de Hittinger ne produisent pas des héros mais des crétins, ou tout du moins des êtres suffisamment persuadés de maitriser leur destin pour que l’on s’amuse du spectacle de les voir s’égarer.

Les déserteurs, donc, sont trois pieds nickelés décidés à échapper à leur devoir militaire, sillonnant le monde sans jamais s’y accrocher, à la recherche d’un asile ou d’un havre de paix. Bien sûr, ce paradis n’existe pas et nos compagnons finiront exactement là où tout a commencé (Mais ceci est une autre histoire). En attendant, chaque page est un espace (prison, plaine, arène ou champ de bataille) surchargé de détails qui témoignent d’une société tourmentée. L’Empire Romain, en toile de fond, est au bord du gouffre : ingouvernable de par son territoire sans cesse repoussé, ses frontières interminables de plus en plus complexes à sécuriser, il y prospère désormais des dissensions politiques et religieuses. Tout écho à notre monde moderne n’est pas fortuit, à n’en pas douter.

Après Jamestown, son précédent ouvrage, Hittinger continue donc de se jouer de l’histoire et des formes pour développer à sa manière une peinture de l’homme voué à "L’Eternel retour". Ce qui ne serait pas en soi très original si l’auteur ne s’appuyait pas sur une esthétique très inventive. Chaque page s’affirme comme un tableau, interactif, submergé de minusculesdétails comiques, tel un Jérôme Bosch minimaliste et narratif chez lequel il faut, c’est le jeu, retracer le parcours des héros tout en essayant de suivre ce qui se passe dans le décor.

Or, cachée sous l’obsession américaine de l’homme et de l’espace, il en transparait parfois une autre, plus européenne mais discrète, de l’individu et du groupe, «de l’ordre et du désordre », pour reprendre Paul Valéry. On se souvient alors que Christopher Hittinger est aussi en partie Français. Entre ces deux élans, il ne reste alors qu’à jongler, sauter de plan en plan pour raccrocher les signes, et ironiser sur cette vision de l’humanité conciliant avec beaucoup d’humour et de justesse les présupposés culturels.

23 €.


 
Offre : une affiche dédicacée des Jelly Beans
 

Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras

Un jour les Jelly Beans ont débarqué dans la boutique rue Serpente, nous ont offert leur CD, une affiche dédicacée et ont absolument tenu à se faire photographier avec Stéphane. C'était un peu étrange. Les Jelly Beans, ce sont deux japonaises qui semblent habiter à Paris et qui font de la musique pop japonaise, de la J-pop donc.

Le disque au début est assez agaçant. Mais bon à partir de la quinzième écoute on s'y fait (Alexandre le met souvent). Le plus drôle dans l'affaire c'est qu'en fait ces demoiselles croyaient être chez Kawaïko, nos charmants voisins un peu enterrés dans la partie sombre et étroite de la rue Serpente et qui vendent notamment du matériel pour goth-lolitas. 

Ayant bien profité de notre affiche indûment acquise, nous l'offrons désormais à qui la voudra...

Alexandre est assez fan et l'aurait bien emportée, mais de son propre aveu "si jamais je rapporte ça à la maison c'est le divorce, ma copine déteste... le Japon !".

Une synecdoque généralisante désignant les chanteuses en jupe à carreaux ?

Pour obtenir cette affiche il suffit de la demander. Il y a des petits bouts de scotch aux angles qu'il faudra retirer avec soin, mais sinon elle est bien.

Jelly Beans - Ishou Seishun