Après quelques jours de confusion durant lesquels nous étions listés comme partenaires, nous pouvons annoncer pour de bon que nous disposons dorénavant des 5 albums des toutes jeunes éditions Réalistes dont Silences de Frederic Poincelet, auteur indépendant historique, et Premium Plus d’Ugo Bienvenu que nous connaissons bien car il a réalisé notre dernière carte de visite en date.
Ces cinq ouvrages sont à découvrir absolument dans leur format mega-poche étonnamment efficace et solide. Ça promet alors on promeut. Nous n'avons pas encore eu le temps de nous pencher précisément sur cette toute nouvelle production. Nous percevons seulement le caractère très étrange (voir angoissant) de la plupart de leurs récits.
Quelques indices supplémentaires sur leur contenu ont cependant été distillés sur notre twitter.
La collection à déployer Façades des Éditions Polystyrène contient bon nombre d'albums simplement sympa et quelques albums vraiment très intéressants.
Vous les décrire par le menu serait beaucoup trop fastidieux (désolé) mais nous ne manquerons pas d'exprimer notre enthousiasme si vous passez nous poser quelques questions à son sujet devant notre petit présentoir maison un peu surchargé.
Pierre Taki, comédien videoludique notamment crédité pour le très attendu Judgment, se fait radier de toute sa carrière par Sega suite à une saisie de cocaïne l'impliquant.
Pierre Taki est aussi à l'origine du merveilleux Heartful Company chez les Editions IMHO dont il nous reste quelques exemplaires. Franchement, ne privez pas les auteurs de leur cocaïne si ça peut nous permettre de continuer de lire des choses comme ça.
Alors que sort son nouvel album, Budapest ou presque (chez les Rêveurs), pour lequel nous le recevrons le 27 Mars en dédicace, il était temps de vous parler un peu plus de cet excellent auteur, Lucas Nine.
Nine ? Comme Carlos Nine ? Un lien ? Oui, évacuons de suite la sempiternelle mais logique question. Oui, Lucas est fils de. Et oui, effectivement, Carlos est une des influences majeures de Lucas.
En même temps, passer son enfance à voir un père pareil créer, dessiner, ça donne un sacré référentiel. Sans compter un accès à la bibliothèque paternelle, pouvoir lire toutes ces œuvres qui l'ont influencé.Mais l'influence du père ne sera pas la seule. Il faudra aussi compter sur celle d'un autre illustre Argentin, Alberto Breccia.
Tout comme lui, Lucas va beaucoup explorer sur le plan graphique. Un style par album, ni plus ni moins. Tout comme lui, il va chercher des moyens de dévoiler les formes, les corps et les sentiments sans les dessiner frontalement.La fusion des deux influences donnera des histoires empreintes d'absurde et de surréalismes où les formes se devinent plus qu'elles ne se montrent. Des explosions d'encre de Dingo Romero au trait épuré et fuyant de Budapest, toujours cette recherche de la forme que le lecteur devra achever.
Si en Argentine, il publiera son travail plusieurs années des différents fanzines ou encore dans la célèbre revue Fierro (qui fut là bas jusqu'en 1992, la référence en BD, avec des auteurs tels que Breccia, Gimenez, Sampayo, Mandrafina et évidemment les Nine), il faudra attendre Dingo Romero en 2008 pour découvrir son travail sous nos latitudes.Véritable explosion graphique, Lucas Nine semble multiplier les couches d'encre pour esquiver les personnages de son cartoon hystérique. C'est à travers les entrelacs au pinceau que l'on suivra le chien fou traverser la pampa accompagné de sa horde alors que le gouverneur envoie sa plus fine gâchette à ses trousses.
Nine en met partout, semblant vouloir recouvrir toute sa page, n'ayant pas peur de surcharger son image quitte à ce qu'on ne devine plus que discerne les personnages.L'auteur intègre aussi à son récit certains éléments qui reviendront fréquemment dans ses histoires: un humour absurde, des situations surréalistes ainsi qu'un peu de métatextuel.
Viendra ensuite Thé de Noix (2011), fable absurde où Timothée, agent du ministère de l'enfance veille à ce que ses contemporains soient bien traités par l'engeance adulte, tout en se déplaçant niché dans l'opulente poitrine d'une femme robot appelée Mamelon. Ici, Nine rend hommage à la bd ancienne de la première moitié du 20ème siècle. Il utilise des aplats de couleurs surannées, place ses cadres narratifs en bas de case (procédé qui perdure toujours chez lui), même le format, plus grand que nos franco-belge classiques, évoque par sa taille les vieux strips des journaux. On ne s'étonnera pas d'y croiser Popeye ou le capitaine Haddock.
L'univers est absurde à souhait, Nine joue énormément avec son format, incluant des strips entre ses histoires, mettant en scène des récits dans le récit, jonglant habilement entre le surréalisme et le métatextuel.Le style de dessin tranche radicalement avec les débordements d'encre de Dingo Romero. Ici tout est épuré, les formes rondes comme des visages poupins ou voluptueuses comme des corps féminins. L'informatique fait aussi son entrée dans la panoplie d'outils de Nine, notamment pour les décors.
L'ouvrage suivant, Jorge Luis Borgès (2018), marque un autre type d'hommage. En imaginant le célèbre auteur Argentin en inspecteur des volailles et lapins, Nine s'attaque cette fois au polar noir. Hammett et Chandler ne sont pas loin. Le style graphique change encore, le blanc cherche à se frayer un chemin dans les épaisses masses de noir pour dessiner les lieux et personnages. Il y jouera aussi beaucoup du collage, rajoutant un bras par ci, une tête par là. Le dessin et la technique se sont affinés, mais l'auteur continue d'évoquer visuellement ses personnages entre deux obscurités plutôt que de les dessiner frontalement (même si c'est l'album où Nine les détaillera le plus).L'absurde et le surréalisme bon enfant de Thé de noix se durcit pour coller au genre abordé, se teintant même parfois d'ésotérisme.Les cadres narratifs, à nouveau en bas de case, sont un écrin parfait pour les monologues intérieurs du héros, soutenant parfaitement le style hard boiled détourné.
Mais plus qu'un simple pastiche, Nine va en profiter pour aborder l'histoire de son pays, le péronisme et la relation entre les intellectuels de l'époque et le pouvoir, particulièrement celle compliqué de Borgès. Budapest ou Presque est à nouveau une histoire policière. Son héros, Sigilozy, du bureau des digressions, mène l'enquête pour trouver le mystérieux vampire qui terrorise Budapest. Ou du moins, une version fantasmée de la ville, absurde miroir de la vraie, plongée dans les lignes fuyantes du trait de l'auteur. Bourré d'idées folles et de situations incongrues, l'album est une cavalcade menant à un climax hors norme. Aussi prenant qu'inattendu, c'est une réussite.
Un sommet du surréalisme si cher à Nine. Également son œuvre la plus métatextuelle.
Encore une fois, les cadres narratifs servent parfaitement les digressions du héros, parfait prolongement des monologues intérieurs de Borgès et typique du polar.
Visuellement, il change encore de style. Il délaisse les masses noires de Borgès pour se rapprocher du style épuré de Thé de Noix, poussant encore plus loin l'exercice. Son trait, plus fin que jamais, est enlevé, virevoltant, comme si l'auteur cherchait à faire saillir la forme du mouvement. Ses personnages deviennent des lignes fuyantes dans des décors fantasmagoriques. (Est-ce un hasard si Sigilo signifie furtif en espagnol?)
Bien que le scénario soit excellent, c'est surement là la plus grande réussite de Nine, atteindre enfin cette abstraction du personnage, à peine esquissé mais pleinement saisi par le lecteur.Se pose maintenant la question: quelle sera la prochaine étape, la prochaine évolution, expérimentation?
On espère lui soutirer un début de réponse le 27 mars.
PS : Comme Lucas Nine fait plein de choses, notamment plusieurs bd inédites en France, cet article non exhaustif se concentre sur ses parutions chez les Rêveurs.
Comme l'auteur est aussi animateur, pour se faire pardonner, on vous offre en bonus son court métrage Les Triolets :
Alors que sort son nouvel album, Budapest ou Presque (chez les Rêveurs), pour lequel nous le recevrons le 27 Mars en dédicace, il était temps de vous parler un peu plus de cet excellent auteur, Lucas Nine. Nine ? Comme Carlos Nine ? Un lien ? Oui, évacuons de suite la sempiternelle mais logique question. Oui, Lucas est fils de. Et oui, effectivement, Carlos est une des influences majeures de Lucas. En même temps, passer son enfance à voir un père pareil créer, dessiner, ça donne un sacré référentiel. Sans compter un accès à la bibliothèque paternelle, pouvoir lire toutes ces œuvres qui l'ont influencé.
Mais l'influence du père ne sera pas la seule. Il faudra aussi compter sur celle d'un autre illustre Argentin, Alberto Breccia. Tout comme lui, Lucas va beaucoup explorer sur le plan graphique. Un style par album, ni plus ni moins. Tout comme lui, il va chercher des moyens de dévoiler les formes, les corps et les sentiments sans les dessiner frontalement. La fusion des deux influences donnera des histoires empreintes d'absurde et de surréalismes où les formes se devinent plus qu'elles ne se montrent. Des explosions d'encre de Dingo Romero au trait épuré et fuyant de Budapest, toujours cette recherche de la forme que le lecteur devra achever.
Si en Argentine, il publiera son travail plusieurs années des différents fanzines ou encore dans la célèbre revue Fierro (qui fut là bas jusqu'en 1992, la référence en BD, avec des auteurs tels que Breccia, Gimenez, Sampayo, Mandrafina et évidemment les Nine), il faudra attendre Dingo Romero en 2008 pour découvrir son travail sous nos latitudes. Véritable explosion graphique, Lucas Nine semble multiplier les couches d'encre pour esquiver les personnages de son cartoon hystérique. C'est à travers les entrelacs au pinceau que l'on suivra le chien fou traverser la pampa accompagné de sa horde alors que le gouverneur envoie sa plus fine gâchette à ses trousses.Nine en met partout, semblant vouloir recouvrir toute sa page, n'ayant pas peur de surcharger son image quitte à ce qu'on ne devine plus que discerne les personnages.L'auteur intègre aussi à son récit certains éléments qui reviendront fréquemment dans ses histoires: un humour absurde, des situations surréalistes ainsi qu'un peu de métatextuel.
Viendra ensuite Thé de Noix (2011), fable absurde où Timothée, agent du ministère de l'enfance veille à ce que ses contemporains soient bien traités par l'engeance adulte, tout en se déplaçant niché dans l'opulente poitrine d'une femme robot appelée Mamelon. Ici, Nine rend hommage à la bd ancienne de la première moitié du 20ème siècle. Il utilise des aplats de couleurs surannées, place ses cadres narratifs en bas de case (procédé qui perdure toujours chez lui), même le format, plus grand que nos franco-belge classiques, évoque par sa taille les vieux strips des journaux. On ne s'étonnera pas d'y croiser Popeye ou le capitaine Haddock. L'univers est absurde à souhait, Nine joue énormément avec son format, incluant des strips entre ses histoires, mettant en scène des récits dans le récit, jonglant habilement entre le surréalisme et le métatextuel. Le style de dessin tranche radicalement avec les débordements d'encre de Dingo Romero. Ici tout est épuré, les formes rondes comme des visages poupins ou voluptueuses comme des corps féminins.
L'informatique fait aussi son entrée dans la panoplie d'outils de Nine, notamment pour les décors. L'ouvrage suivant, Jorge Luis Borgès (2018), marque un autre type d'hommage. En imaginant le célèbre auteur Argentin en inspecteur des volailles et lapins, Nine s'attaque cette fois au polar noir. Hammett et Chandler ne sont pas loin. Le style graphique change encore, le blanc cherche à se frayer un chemin dans les épaisses masses de noir pour dessiner les lieux et personnages. Il y jouera aussi beaucoup du collage, rajoutant un bras par ci, une tête par là. Le dessin et la technique se sont affinés, mais l'auteur continue d'évoquer visuellement ses personnages entre deux obscurités plutôt que de les dessiner frontalement (même si c'est l'album où Nine les détaillera le plus).
L'absurde et le surréalisme bon enfant de Thé de noix se durcit pour coller au genre abordé, se teintant même parfois d'ésotérisme.Les cadres narratifs, à nouveau en bas de case, sont un écrin parfait pour les monologues intérieurs du héros, soutenant parfaitement le style hard boiled détourné. Mais plus qu'un simple pastiche, Nine va en profiter pour aborder l'histoire de son pays, le péronisme et la relation entre les intellectuels de l'époque et le pouvoir, particulièrement celle compliqué de Borgès.
Budapest ou Presque est à nouveau une histoire policière. Son héros, Sigilozy, du bureau des digressions, mène l'enquête pour trouver le mystérieux vampire qui terrorise Budapest. Ou du moins, une version fantasmée de la ville, absurde miroir de la vraie, plongée dans les lignes fuyantes du trait de l'auteur.
Bourré d'idées folles et de situations incongrues, l'album est une cavalcade menant à un climax hors norme. Aussi prenant qu'inattendu, c'est une réussite.Un sommet du surréalisme si cher à Nine. Également son œuvre la plus métatextuelle.Encore une fois, les cadres narratifs servent parfaitement les digressions du héros, parfait prolongement des monologues intérieurs de Borgès et typique du polar.Visuellement, il change encore de style. Il délaisse les masses noires de Borgès pour se rapprocher du style épuré de Thé de Noix, poussant encore plus loin l'exercice. Son trait, plus fin que jamais, est enlevé, virevoltant, comme si l'auteur cherchait à faire saillir la forme du mouvement. Ses personnages deviennent des lignes fuyantes dans des décors fantasmagoriques. (Est-ce un hasard si Sigilo signifie furtif en espagnol?). Bien que le scénario soit excellent, c'est surement là la plus grande réussite de Nine, atteindre enfin cette abstraction du personnage, à peine esquissé mais pleinement saisi par le lecteur.
Se pose maintenant la question: quelle sera la prochaine étape, la prochaine évolution, expérimentation? On espère lui soutirer un début de réponse le 27 mars.
PS: Comme Lucas Nine fait plein de choses, notamment plusieurs BD inédites en France, cet article non exhaustif se concentre sur ses parutions chez les Rêveurs. Comme l'auteur est aussi animateur, pour se faire pardonner, on vous offre en bonus son court métrage Les Triolets.
Contrairement à ce que veut bien raconter l'éditrice, les editions Ici Même ne travaillent pas qu'avec des auteurs italiens. La preuve, ce "Icône" de Simon Schwartz est traduit de l'allemand, ce qui ne l'empêche pas d'être tout à fait intéressant.
Voici la véritable histoire d'une mystification, celle de la survie de la princesse Anastasia, quatrième fille du dernier Tsar de Russie (pour l'instant !). Où comment entre aveuglement, hystérie et illumination, des mythes se créent. Il y a de tout dans ces 200 pages, de la folie, de la poésie, de vrais morceaux de Russie et d'Amérique, de l'histoire de l'art et des religions (le culte d'Aphrodite, vous connaissez ?), des hôpitaux psychiatriques, des taudis, et même des condamnations à mort dans la nuit.
Des livres comme ça demandent du travail, ne sont pas décidés par un comité marketing et ne ressemblent pas aux autres. C'est pourquoi ils méritent d'être vus et d'être lus. En plus on peut offrir l’ouvrage à des individus très variés.
Par exemple :
• les lecteurs de Paris Match, qui ne manqueront pas d'être bouleversés par cette histoire de princesse revenue d'entre les morts.
• les passionnés d'ésotérisme et d'icônes orthodoxes (il en existe qui s'intéressent aux deux sujets)• les fanatiques de la guerre civile russe, qu'ils soient rouges ou blancs.
• Les amateurs de sordide qui écoutent de l'électro rugissante au fond des caves humides.
• les amateurs de noir et blanc tranché et de trames affirmées, qui retrouveront là toute une tradition germanique née dans ces années où il était minuit dans le siècle.
• bien d'autres encore, mais je vous laisse poursuivre la liste.
Icône coûte 26 € et a été imprimé en Lituanie (sans doute dans le souci de se rapprocher géographiquement de son sujet).
Alors qu'arrive dans nos rayons le monstrueux second et dernier tome de Prison Pit (Huber éditions), une petite déclaration d'amour à ce chef d’œuvre de l'indé trash s'imposait. Pour les retardataires, comme on est sympa, on fait même un flashback.
Johnny Ryan débute sa carrière de manière assez classique: l'autoédition de fanzine. Il travaille quelques années sur la premier volume de la série qui le sortira de l'ombre: Angry Youth Comix, une sorte de version rageuse de Beavis and Butthead (une de ses influences majeures). Basée sur un format anthologique, la série finira par taper dans l’œil de Peter Bagge, qui mènera Ryan vers le prestigieux éditeur américain Fantagraphics.
Dès lors, la carrière de l'auteur va décoller. Quelques piges pour DC (notamment avec Bagge sur l'excellent Sweatshop), pour Marvel (lors de l'anthologie Strange Tales), un volume 2 d'Angry Youth Comix (dont le succès permettra même à certains personnages de bénéficier de leur propre série, tel Blecky Yuckerella).
Et puis, la rampe de lancement vers l’international: Vice. Il va contribuer au magazine pendant plusieurs années. D'abord pour la version US, puis pour les différentes versions à travers le monde, à la demande de ces dernières (un recueil en est disponible chez Misma sous le titre "Johnny Ryan touche le fond"). Depuis, il a travaillé pour plusieurs magazines (MAD, Hustlers...), co-créé une série télé jeunesse avec son pote Dave Cooper pour Nickelodeon (le délirant Pig Goat Banana Cricket) et écrit/dessiné quelques pépites d'humour sale (Comic Book Holocaust et sa suite, inédite en France).
Mais tout cela n'était qu'un prélude à ce qui serait son magnum opus : Prison Pit. Lorsque le récit débute, Cannibale Fuckface est balancé sur une planète désertique, peuplée par des hordes de tarés aussi monstrueux et déviants que dotés de capacités improbables. Va commencer pour le personnage une longue odyssée aussi épique et violente que sale et déjantée dans un no man"s land dégueulasse dont il veut à tout prix s'échapper.
De ce point de départ ultra simple, Ryan va dérouler tout un monde d'horreurs à nul autre pareil, où les élans épiques sont ponctués de respirations et de solitude. Tous les moyens sont bons pour Cannibale Fuckface. TOUS.
Avec Prison Pit, Ryan se lance un grand défi : un récit au long court. Un travail qui va l'obliger à revoir radicalement sa façon de travailler et sa narration. Finis les strips et les histoires courtes. La série s'étalera sur 6 tomes (en V.O.), 10 ans de travail (2009-2018) pour quasiment 800 pages. Avec autant de place pour s'étaler, il va beaucoup expérimenter, se laisser du temps pour enchaîner ses séquences, montrer son héros dans des étendues désertiques entre deux scènes d'action frénétique.
Même graphiquement, Ryan va totalement changer de style. À ses personnages très cartoony, très ronds, il va substituer quelque chose de plus travaillé, où les hachures vont prendre plus de place et modeler les formes. Un travail poussé qui se fera sentir à la fois sur les designs des protagonistes et sur les décors.
Sur les influences aussi, l'auteur va se diversifier. Si certaines sont assez facilement identifiables, comme Mad Max (pour ses décors et ses tarés en cuir) ou Alien (pour ses parasites), on y retrouve également du manga. Dans le format pour commencer (petit format, noir et blanc) mais aussi avec des références tel que Berserk (pour ses affrontements sanglants et épiques). On verra même quelques similis yokaïs pointer le bout de leur truffe.
Par contre, Ryan n'a rien perdu de sa verve ou son penchant pour la provocation et le transgressif. Il ne se pose clairement aucune limite, va jouer de tous les ressorts (et fluides) pour amuser ou choquer son lecteur. Et il va être extrêmement inventif à ce sujet. Que ce soit les transformations abjectes, les mises à mort ou les capacités hors du commun des personnages, il n'est jamais à court d'idées, aussi débiles que géniales. Certaines séquences tournent à un concept minimum par page à l’acmé du récit. Si Ryan carbure à plein régime question images trash, son imagination est au diapason question rythme.
Récit sans concession, sans limite, qui se renouvelle sans cesse dans son expression de la violence, de l'outrance et de ses idées, Prison Pit représente le sommet artistique de Johnny Ryan. Poussant autant le personnage que le transgressif dans ses derniers retranchements, l'auteur enchaine les designs de monstres, les pouvoirs abracadabrants et les mises à mort avec une imagination qui semble tourner à 200%. Aucune arme, aucun fluide corporel n'arrêtera l'épopée de Cannibale Fuckface.
Aussi épique que déroutant, beau que repoussant, régressif qu'inventif, Prison Pit, œuvre de la jouissance brutale assumée, est la violente décharge de folie de son auteur et de son amour du genre.
PS: la version animée vaut aussi le coup d’oeil!
Nous avons un ami de la boutique qui en a après les biographies en bande dessinée. "Pouah ! dit-il, quand un auteur se lance dans une biographie, c'est qu'il n'a plus d'inspiration, c'est la fin, c'est une défaite !". Je ne saurais être aussi radical, mais il est vrai que le panorama de la bande dessinée a vu pas mal de ces édifices se construire ses dernières années. La plupart du temps il s'agit de commandes d'éditeurs visant à s'aligner sur des anniversaires de mort ou de naissance. Publier une bande dessinée sur une célébrité ça assure toujours un minimum de vente, ça intéresse les médias qui ne s'intéressent pas à la bédé mais qui vont justement s'extasier "oh dites donc ! Une bio de Trucmuche en BD, oh vraiment il fallait oser !". En plus, pour peu qu'on ait affaire a un personnage à résonance historique on est sûr de vendre quelques centaines d'exemplaires à des centres de documentation et à des bibliothèques, ces braves gens essayant d'extirper la jeunesse de ses écrans à coups de bandes dessinées pédagogiques toutes plus atroces les unes que les autres.
C'est vous dire si je regardais ce nouveau "roman graphique" avec méfiance. Il est vrai que ses jeunes éditeurs (Nada) s'étaient pour l'instant tenu à l'écart de l'argent facile, mais ce n'était pas suffisant pour me convaincre. Le sujet, certes, était pour moi attractif. Je ne connaissais pas grand chose à Fréhel, à part Tel qu'il est, qui est évidemment une excellente chanson. Mais tout de même le vieux Paname, les faubourgs, les Apaches, l'accent parigot, les caboulots, ça me plaît. Et bien le livre m'a séduit.
Dès l'introduction on sent que l'auteur s'est investi. Il part d'une anecdote de 1948 révélatrice et savoureuse, qui va éclairer toute la suite d'une certaine tristesse due à la mise en perspective. Suit un premier chapitre qui raconte la petite enfance de la future chanteuse. En Bretagne. Sa mère qui travaille en région parisienne abandonne en effet l'enfant aux mains de la grand mère à la campagne, et ce pour trois bonnes années. Puis elle se décide à la récupérer et la ramène à Courbevoie, où elle va en fait la laisser se débrouiller. Dès lors la pauvre gosse va se faire son éducation toute seule dans les rues et elle devient la narratrice. Le récit va progresser chronologiquement mais par souvenirs racontés à différents interlocuteurs... Un enfant, un chat, une voisine.
Les décors ne sont pas insistants, mais bien présents et crédibles. Les costumes aussi sont bien étudiés en fonction des décennies qui passent (grosso-modo la première moitié du XXe siècle). Ici pas d'aberration anachroniques et pourtant — ouf— on est pas dans l'étalage de documentation photographique. Les trois années que Johann G. Louis a passé sur son sujet ont été digérées. "Pendant trois ans je pensais tout le temps à Fréhel, je mangeais avec elle, je me couchais avec elle et je me réveillais avec elle !" me racontait-il l'autre matin dans un café de Pigalle. Car l'auteur aime Paris, il aime s'y promener à pied et il a souhaité montrer dans ces pages d'où venait la ville, ce qu'elle était avant, bien avant l'embourgeoisement de tous ses quartiers.
Johann G. Louis a une fascination pour les stars déchues et les femmes au caractère bien trempé... Sunset Boulevard, Bette Davis, Joan Crawford, voilà une partie de son univers. Conjuguée avec son affection pour la capitale, il fallait bien qu'il tombe un jour sur Fréhel. Bien que dessinant depuis toujours il n'avait pas envisagé de faire de la BD. Jusqu'à présent il était plutôt orienté sur le cinéma... Voyez la bande annonce d'un de ses courts-métrages.
Il s'est donc mis tardivement à la bande dessinée avec un premier album au titre remarquable, Shelley - Après l'autruche, tournez à droite, chez le Pélimantin en 2015. "Faire de la bande dessinée me repose de tous ses efforts qu'il faut déployer pour porter un projet de film. Les éditeurs de BD que j'ai rencontrés sont beaucoup moins chiants que les producteurs de ciné. [Johann a eu de la chance !] On ne vous renvoie pas quinze fois votre scénario pour changer une ligne par là, une ligne par ci. Dans le ciné, à la fin, quand tu peux tourner, ce que tu filmes n'a plus rien à voir avec ton scénario !"
Sur près de 280 planches Johann G. Louis déroule donc la vie de celle qui restera comme une figure fondatrice de la chanson française. Passionnant personnage autodestructeur mais endurant : elle vécu presque 60 ans, malgré l'alcool et la drogue. Délaissant l'éther à la mode à Paris au début du XXe siècle, elle découvrit en effet assez tôt la cocaïne alors importée par les Argentins et y convertit son amant Maurice Chevalier.On apprécie la fluidité de la lecture, la légèreté des planches (dessinées au stylo feutre tubulaire 01 noir waterproof Micron Pigma made in Japan, note pour les amateurs, puis colorées à l'aquarelle). Les dialogues sont très soignés et certaines fulgurances irrésistibles ("J'ai mal au crâne, je reprendrais bien un verre !"). Johann G. Louis se montre à l'écrit le digne héritier de la gouaille parisienne dont il convoque le fantôme.
Je ne vais pas m'étendre davantage sur cette nouveauté, qui est donc disponible dans nos deux échoppes, car il faut laisser de la matière à la soirée qui va se tenir le Vendredi 12 octobre, sans doute à partir de 18h, dans la librairie de la rue Serpente. Il s'agit donc d'une rencontre-dédicace avec Johann G. Louis. Il viendra accompagné de la comédienne Delphine Grandsart et du musicien Matthieu Michard, qui enrichiront la soirée d'intermèdes musicaux parfaitement raccords avec le sujet (ces deux là vont bientôt reprendre leur spectacle sur Louise Weber dite La Goulue à l'Essaïon Théâtre en novembre).
Il y aura donc des artistes, au moins un bon livre, du vin, des bulles, mais pas de cocaïne. Ceux qui veulent lire le livre avant cette soirée peuvent l'acheter chez nous dès maintenant, qu'ils gardent juste leur ticket de caisse bien au chaud pour témoigner de leur fidèle soutien le jour de la dédicace. Tout Fréhel acheté ailleurs ne vous donnera pas droit à une dédicace. Un verre de vin tout de même, pour soutenir le bon goût.
Fréhel de Johann G. Louis, éditions Nada, 288 p. couleurs, avec une enrichissante postface de Olivier Bailly, 288 p. couleurs, 29,90 €. Imprimé en France chez Corlet. EAN 9791092457247
Si vous aimez que l'esprit critique acerbe laisse tout de même la part belle à l'humour et que vous êtes pris d'une soudaine envie de revisiter le passé à l'aune de l'acidité de bons critiques consciencieux, voici vos trois indispensables:
Gus Bofa, illustrateur émérite de l'entre-deux guerres, avait un petit soucis. Le traumatisme de la grande guerre était tel que la période s'est automatiquement vue frappée du sceau du tabou. Comment faire pour critiquer, dénoncer, faire prendre conscience, éduquer quand on est un auteur soi-même traumatisé par le sujet et ressentant un besoin impérieux de l'aborder?
Et bien on triche et on contourne. On produit par exemples de grandes illustrations, prétendument sur la guerre de cent ans, dont le souvenir s'est déjà bien estompé. Mais nous ne sommes pas dupes et c'est avec gravité que nous déchiffrons les grandes scénettes de Bofa, volontairement cabotines, résolument dénonciatrices.
Peur de vous lancer dans un traité d'histoire épais comme deux caisses à vin ? Celui-ci, bien que moins massif et moins inquiétant (les petits miquets, ça passe toujours mieux) n'en est pas moins riche, dense, fourni.
Allégés par un humour constant prompte à faire tourner en bourrique les multiples figures historiques abordées, les deux tomes de Petite Histoire du Monde Moderne de Larry Gonick dressent un panorama extrêmement vaste de nos idées historiques étonnées. Et oui, Christophe Colomb était un salopard incompétent qui n'est même pas à l'origine de ce qu'on lui attribue. Ça vous la coupe ?
Tiens, ça tombe bien que cet ouvrage soit excellent, mâtinant d'un humour acerbe et critique les diverses infamies moyenâgeuses. La peste, les successions de guerres, de rois, de conquêtes, de défaites…
La potentielle progression de la spiritualité et l'art, aussi mais ceux-ci ne sont pas encore prêt à surpasser l'étrange attrait de la flétrissure humaine des âges soi-disant sombres. En un intense et grimaçant calendrier, Le temps est proche de Cristopher Hittinger prépare la renaissance en décortiquant année après année, le cadavre pourrissant de l'Europe.
Vous pourrez d'ailleurs en discuter joyeusement avec lui bientôt car l’auteur sera notre invité pour notre prochaine dédicace!
AkaSake c'est du street art, du tatoo, de l'indé-Vivès, du mélange Mizuki-Maruo, des corps contorsionnés, des intrications intimes étranges, du folklore bien léché.
AkaSake c'est aussi une rencontre-dédicace de son auteur Alexis Bacci à Aaapoum Bapoum le vendredi 23 juin de 19h à 21h30.
Il sera accompagné d'Eldo Yoshimizu de 19h à 20h30. Eldo n'en est pas à son premier passage chez nous. Nous le recevons une seconde fois avec grand plaisir. Il manie la femme, sa Ryuko, avec passion. Il dessine l’énergie, il enveloppe l'élégance d'une intense chape d'action effrénée. Pas de T2 de Ryuko dans sa besace pour l'instant. Sa venue sera notre occasion donnée aux retardataires, à ceux qui ne purent venir il y a quelques mois, à ceux qui l'ont juste découvert un peu trop tard.
Ryuko étant déjà un sujet assez balisé, revenons à AkaSake. Que dire de plus que nous n'ayons déjà mentionné avec délectation dans notre petit article de blog ?
Peut-être faut-il rappeler qu'AkaSake est un artbook érotique-gore dont la sensualité se dispute à l'étrange et au décalé. Qu'imprimé en risographie, un procédé très proche de la noble sérigraphie, il n'en existe que 200 exemplaires. Que l'auteur, Alexis Bacci, a fait sien l'indé liberé moderne autant que l'élégance et le folklore traditionnel japonais.
Que ce que son style perd en délicatesse de porcelaine (à l'image d'un Maruo ou d'un Furuya) il gagne en détournement et en facétie. Enfin qu'ainsi, il crée une césure intéressante et nécessaire, renouvelant l'Ero-guro stabilisé par ses grands maitres en lui insufflant de nouvelles influences.
Niveau modalités on en est ou ? Vous devriez commencer à connaitre notre mode de fonctionnement favori: un achat, un ticket.
Pour AkaSake c'est fastoche. Soit vous achetez l'artbook, soit l'une des magnifiques affiches tirées de l'album. Vous obtenez ainsi votre petit ticket. Pas de limite de place déterminée, on fera ça à l'instinct.
Pour Ryuko, c'est tout aussi simple. Soit vous achetez un Ryuko, soit, si vous êtes déjà propriétaire de l'album, un autre titre des éditions le lézard noir. Rappelez-vous qu'en faisant ça, vous soutenez la librairie qui se plie en quatre pour les auteurs et qui aime leurs livres, vous soutenez les auteurs (logiquement) et l'éditeur qui a sorti l'album qui vous a tant plu.
20 places uniquement pour Eldo car il doit partir tôt. Si vous ne pouvez vous déplacer à la boutique, rappelez vous que nous vendons aussi à distance.