Retour en force d’un éditeur que nous aimons particulièrement dans le panorama manga français: I.M.H.O.
Bien entendu, la majorité des albums que nous venons de recevoir, heureux bénéficiaires d’une réédition récente très attendue, ont immédiatement intégré notre rayon Ero-guro et délicatesse morbide. Certains se baladent toutefois près de notre rayon patrimonial (trusté par Black Box et Isan Manga depuis longtemps, jouxté par le rayon Tezuka depuis peu). C’est le cas notamment d’Opus, une série métaphysique endiablée de Satoshi Kon, ou de Seraphim du même auteur, un titre disputé qui avait déjà eu les honneurs d’un article en 2013 sur notre plateforme d’expression favorite d’alors.
Je m’étonne de découvrir que nous n’avons jamais parlé de Boris Vallejo sur le Aaablog auparavant, malgré la présence constante de cet illustrateur dans nos bacs depuis maintenant plus de 10 ans !
C’est à l’occasion d’un léger dépoussiérage de notre rayon artbook (un rayon que semble ne pas vouloir se séparer de son état d’encombrement constant) que nous redécouvrons Arcanes, une pépite véritable pour quiconque saurait passer outre sa couverture un peu tapageuse et démodée. Boris Vallejo, illustrateur-peintre américain des années 80-90, est certes très porté sur un héroic-fantasy peuplé de corps nus et de créatures rétro mais son présent recueil nous fait aussi découvrir une multitude de compositions aux influences et aux liens culturels surprenants.
Outre une fascination pour les corps finement bodybuildés qui accompagne ses désirs de précision stylistique à merveille, Boris (comme il est cité dans tous les truculents textes d’explication qui jouxtent chaque image) se retrouve aussi par à coups au cœur du tumulte de la pop-culture des années 90. Une magnifique illustration pour Vampirella s’intercale entre un plagiat de série B de Starwars et des illustrations de boites de jeux videos fondateurs (might and magic). Une affiche pour Knightriders de l’excellent Georges A. Romero côtoie une illu de Clinton parodié en Tarzan. Boris Vallejo n’est définitivement pas l’illustrateur de bourrins en slibards et de nymphettes dénudées qu’on pourrait croire au premier abord.
Arcanes, Boris Vallejo, éditions Soleil, 15€.
Cet étonnant album de 2011 par José Domingo avait indéniablement surpris lors de sa sortie. Les pérégrinations muettes et de plus en plus affolées d'un salaryman japonais générique d'age mur qui ne cherche qu'à atteindre la douceur de son foyer après ce qu'on imagine être une rude journée de travail avait de quoi intriguer. Un point de vue isométrique suspendu, une narration invariable encadrée par un gaufrier fixe, un mélange éberluant de références pop culturelles et d'environnements délirants assoient un ouvrage aux formes et formats étranges. L'album a ensuite disparu discrètement des étals jusqu'à ce qu'on apprenne son épuisement européen total.
Fort heureusement, Aaapoum veille et peut vous proposer en exclusivité les derniers exemplaires de cet étrange titre publié par les discrètes Bang Ediciones.
Prix d'origine: 23€
Prix Aaapoum: 12€
La collection à déployer Façades des Éditions Polystyrène contient bon nombre d'albums simplement sympa et quelques albums vraiment très intéressants.
Vous les décrire par le menu serait beaucoup trop fastidieux (désolé) mais nous ne manquerons pas d'exprimer notre enthousiasme si vous passez nous poser quelques questions à son sujet devant notre petit présentoir maison un peu surchargé.
Contrairement à ce que veut bien raconter l'éditrice, les editions Ici Même ne travaillent pas qu'avec des auteurs italiens. La preuve, ce "Icône" de Simon Schwartz est traduit de l'allemand, ce qui ne l'empêche pas d'être tout à fait intéressant.
Voici la véritable histoire d'une mystification, celle de la survie de la princesse Anastasia, quatrième fille du dernier Tsar de Russie (pour l'instant !). Où comment entre aveuglement, hystérie et illumination, des mythes se créent. Il y a de tout dans ces 200 pages, de la folie, de la poésie, de vrais morceaux de Russie et d'Amérique, de l'histoire de l'art et des religions (le culte d'Aphrodite, vous connaissez ?), des hôpitaux psychiatriques, des taudis, et même des condamnations à mort dans la nuit.
Des livres comme ça demandent du travail, ne sont pas décidés par un comité marketing et ne ressemblent pas aux autres. C'est pourquoi ils méritent d'être vus et d'être lus. En plus on peut offrir l’ouvrage à des individus très variés.
Par exemple :
• les lecteurs de Paris Match, qui ne manqueront pas d'être bouleversés par cette histoire de princesse revenue d'entre les morts.
• les passionnés d'ésotérisme et d'icônes orthodoxes (il en existe qui s'intéressent aux deux sujets)• les fanatiques de la guerre civile russe, qu'ils soient rouges ou blancs.
• Les amateurs de sordide qui écoutent de l'électro rugissante au fond des caves humides.
• les amateurs de noir et blanc tranché et de trames affirmées, qui retrouveront là toute une tradition germanique née dans ces années où il était minuit dans le siècle.
• bien d'autres encore, mais je vous laisse poursuivre la liste.
Icône coûte 26 € et a été imprimé en Lituanie (sans doute dans le souci de se rapprocher géographiquement de son sujet).
Alors qu'arrive dans nos rayons le monstrueux second et dernier tome de Prison Pit (Huber éditions), une petite déclaration d'amour à ce chef d’œuvre de l'indé trash s'imposait. Pour les retardataires, comme on est sympa, on fait même un flashback.
Johnny Ryan débute sa carrière de manière assez classique: l'autoédition de fanzine. Il travaille quelques années sur la premier volume de la série qui le sortira de l'ombre: Angry Youth Comix, une sorte de version rageuse de Beavis and Butthead (une de ses influences majeures). Basée sur un format anthologique, la série finira par taper dans l’œil de Peter Bagge, qui mènera Ryan vers le prestigieux éditeur américain Fantagraphics.
Dès lors, la carrière de l'auteur va décoller. Quelques piges pour DC (notamment avec Bagge sur l'excellent Sweatshop), pour Marvel (lors de l'anthologie Strange Tales), un volume 2 d'Angry Youth Comix (dont le succès permettra même à certains personnages de bénéficier de leur propre série, tel Blecky Yuckerella).
Et puis, la rampe de lancement vers l’international: Vice. Il va contribuer au magazine pendant plusieurs années. D'abord pour la version US, puis pour les différentes versions à travers le monde, à la demande de ces dernières (un recueil en est disponible chez Misma sous le titre "Johnny Ryan touche le fond"). Depuis, il a travaillé pour plusieurs magazines (MAD, Hustlers...), co-créé une série télé jeunesse avec son pote Dave Cooper pour Nickelodeon (le délirant Pig Goat Banana Cricket) et écrit/dessiné quelques pépites d'humour sale (Comic Book Holocaust et sa suite, inédite en France).
Mais tout cela n'était qu'un prélude à ce qui serait son magnum opus : Prison Pit. Lorsque le récit débute, Cannibale Fuckface est balancé sur une planète désertique, peuplée par des hordes de tarés aussi monstrueux et déviants que dotés de capacités improbables. Va commencer pour le personnage une longue odyssée aussi épique et violente que sale et déjantée dans un no man"s land dégueulasse dont il veut à tout prix s'échapper.
De ce point de départ ultra simple, Ryan va dérouler tout un monde d'horreurs à nul autre pareil, où les élans épiques sont ponctués de respirations et de solitude. Tous les moyens sont bons pour Cannibale Fuckface. TOUS.
Avec Prison Pit, Ryan se lance un grand défi : un récit au long court. Un travail qui va l'obliger à revoir radicalement sa façon de travailler et sa narration. Finis les strips et les histoires courtes. La série s'étalera sur 6 tomes (en V.O.), 10 ans de travail (2009-2018) pour quasiment 800 pages. Avec autant de place pour s'étaler, il va beaucoup expérimenter, se laisser du temps pour enchaîner ses séquences, montrer son héros dans des étendues désertiques entre deux scènes d'action frénétique.
Même graphiquement, Ryan va totalement changer de style. À ses personnages très cartoony, très ronds, il va substituer quelque chose de plus travaillé, où les hachures vont prendre plus de place et modeler les formes. Un travail poussé qui se fera sentir à la fois sur les designs des protagonistes et sur les décors.
Sur les influences aussi, l'auteur va se diversifier. Si certaines sont assez facilement identifiables, comme Mad Max (pour ses décors et ses tarés en cuir) ou Alien (pour ses parasites), on y retrouve également du manga. Dans le format pour commencer (petit format, noir et blanc) mais aussi avec des références tel que Berserk (pour ses affrontements sanglants et épiques). On verra même quelques similis yokaïs pointer le bout de leur truffe.
Par contre, Ryan n'a rien perdu de sa verve ou son penchant pour la provocation et le transgressif. Il ne se pose clairement aucune limite, va jouer de tous les ressorts (et fluides) pour amuser ou choquer son lecteur. Et il va être extrêmement inventif à ce sujet. Que ce soit les transformations abjectes, les mises à mort ou les capacités hors du commun des personnages, il n'est jamais à court d'idées, aussi débiles que géniales. Certaines séquences tournent à un concept minimum par page à l’acmé du récit. Si Ryan carbure à plein régime question images trash, son imagination est au diapason question rythme.
Récit sans concession, sans limite, qui se renouvelle sans cesse dans son expression de la violence, de l'outrance et de ses idées, Prison Pit représente le sommet artistique de Johnny Ryan. Poussant autant le personnage que le transgressif dans ses derniers retranchements, l'auteur enchaine les designs de monstres, les pouvoirs abracadabrants et les mises à mort avec une imagination qui semble tourner à 200%. Aucune arme, aucun fluide corporel n'arrêtera l'épopée de Cannibale Fuckface.
Aussi épique que déroutant, beau que repoussant, régressif qu'inventif, Prison Pit, œuvre de la jouissance brutale assumée, est la violente décharge de folie de son auteur et de son amour du genre.
PS: la version animée vaut aussi le coup d’oeil!
Qui n'aime pas un bon petit fanzine délirant, imprimé correctement et qui respire la passion ? À Aaapoum, en tout cas, nous sommes sensible à ça. Il paraîtrait même qu'un de nos larrons s'adonne en secret à cette sulfureuse pratique. Nous n'avons toutefois pas de rayon dédié et, malheureusement, ne devrions pas pouvoir en proposer un jour.
Ça ne nous empêche pas de tomber parfois amoureux de petites productions personnelles, aux diffusions alternatives et à l'esprit Do It Yourself assumé. En terme de finissions et de contenu, on s'approche quand même plus de l'artbook artisanal que du fanzine à proprement parler mais c'est déjà ça.
Ces temps-ci vous pourriez par exemple trouver dans nos rayons, délicatement inséré entre nos Maruo et les artbook bondage du Lézard Noir le deuxième opus de l'artbook érotique-gore Akasake dont nous avions déjà célébré l'arrivée en grande pompe lors de la parution du numéro 1.
Retour de l'esthétique léchée d'Alexis Bacci qui, cette fois-ci, s'octroie le savoir-faire risographique des éditions Quintal. Une expertise qui lui permettra de s'amuser un peu sur la maquette, au point de se lâcher en adjoignant une jaquette à son album, et de tenter d'affiner ses choix colorimétriques. L'arrivée de Quintal dans l'équation permet aussi à l'auteur de multiplier les affiches tirées de son oeuvre.
Une partie de celles-ci habillent élégamment nos murs et y sont disponibles jusqu'à épuisement définitif (ce qui ne devrait pas prendre beaucoup de temps).
Akasake #2 est, pour moitié, une oeuvre collective. Alexis s'entoure ici de sa clique, ce qui lui permet de chahuter un peu ses ambiances charnelles favorites. Quelques ajouts d'illustrations tirées d'une aventure précédente (Tengu diaries), complètent le tableau. Le tout, bien entendu, est en vente par chez nous.
De nombreuses illustrations originales en provenance de cette croissante série d'artbook sont encore en vente sur le site de l'excellent Atelier Hauteville, il serait triste de manquer d'y jeter un coup d'oeil digital, à défaut d'un coup d'oeil sur place. En sus d'avoir généralement fort bon gout, cet atelier-galerie est issu d'un projet intéressant;
je cite: "l’Atelier est un lieu hybride, à la fois laboratoire de création et lieu d’exposition. Des artistes y travaillent quotidiennement. L’Atelier Hauteville est également un lieu de partage ouvert à tous." La réclame conviviale y est loin d'être mensongère. Nous pouvons vous assurer que l'accueil y est effectivement infiniment chaleureux et que les chances sont grandes pour que vous tombiez sur des gens merveilleusement intéressants et d'une sympathie à toute épreuve.
Encore un peu dénudé mais orienté un poil différemment, Porcelaine surprend. Prenant la forme d’un catalogue divisé en collections et ponctué de courtes descriptions bigrement savoureuses, l’artbook expose un ensemble d’articles de lingerie fine… portés par des hommes. Sveltes, massifs, enrobés, musculeux, en jarretelles ou en crop top, il y en a pour tous les goûts et toutes les combinaisons. Nous voila en présence d’un travail graphique très fin de la part de Diane Truc qui distille efficacement sa sensualité sans heurts à la fois dans la douce dilution des couleurs aquarellées et dans ses poses, ici lascives, ici joueuses, parfois candidement drôles, parfois alimentées d’assurance provocatrice. Les hommes s’y affirment avec sensibilité mais sans sensiblerie grace à un principe visuel fondateur: les mettre en situation.
Diane transforme le risque d’accoutrement en prise de position grace à une utilisation actée de ces éléments de lingerie, une inclusion dans la réalité qui renforce la plausibilité des usages fantasmée présentés. C’est son premier Artbook de ce genre, on en espère bien d’autres. Pour l’instant, il semblerait qu’Aaapoum soit la seule boutique dans laquelle on peut trouver Porcelaine, information dont nous tirons une certaine fierté.
Enfin, fi de la douceur, retour à la passion effrénée avec Une jolie fleur de Spé, publié chez Terrain vague, un éditeur discret, étonnant, aux choix visuels très affirmés et aux qualités de finitions effarantes. Assez loin du street-art apposé sur papier qui constitue le cœur de la maison; l'artbook est sauvage, enchaînant et entrelaçant de nombreuses scénettes illustratives à chaque page. Petits strips aux messages abscons, jeux des corps et des décors, tout y est verge, vagin, sein, tout est en mouvement, en collision, en affrontement. Une jolie fleur, ouvrage numéroté et signé, rappelle furieusement un Jacovitti qui aurait pris du LSD en plus de sa dose habituelle de viagra. L'objet se paye le luxe d'une couverture fabuleuse au téton réellement saillant (car embossé dans la couverture). On ne demande pas mieux.
Beaucoup de choses à dire tant l'année 2017 a été rythmée par les coups de cœurs et les sélections mûries avec attention.
Il nous serait bénéfique de revenir un peu sur le chemin parcouru lors de cette bien longue année mais le temps nous manque et il faut absolument que nous finissions de traiter ce petit lot d'underground américain pornographique compliqué des années 60 alors...
Voici un aperçu des titres que nous voudrions remettre en avant pour les fêtes, sous forme d'une liste concise mais néanmoins fournie qui mélange solde et neuf, récent et ancien, adulte et enfant, avant que nous ne prenions le temps d'étayer tout ça.
En voici les prémices:
- Le Nao de Brown de Glyn Dillon chez Akileos, narre le travail intime d'une jeune femme assailli par des visions morbides. Se construire sentimentalement dans ce fatras mental de mort et de mutilation n'est pas une mince affaire. Un roman graphique qui fut sans précédent à sa sortie en 2012.
- Last American de John Wagner et Alan Grant est sorti cette année chez Delirium. Pourquoi lui alors que les Judge Dredd, ou le tout récent Tarzan de ce même éditeur valaient tout autant notre coup de cœur ? Il faut avouer que ça s'est joué de peu et que les titres sus-nommés restent dans un podium aux marches assez indéfinissables. Peut-être la surprise de la découverte, les graphismes tranchés, le jeu psychologique, le message anti-militariste, la beauté des couleurs... Peut-être que tout ceci a joué en sa faveur. Grosse pépite inconnue de 2000AD.
- Jurassik Reich de Félix Kerjean des éditions Super Loto, accompagné bien entendu de Paf & Hencule de Goupil Acnéique chez Même pas mal. Le lecteur attentif d'Aaapoum Bapoum saura pourquoi car nous avons proféré notre amour pour ces titres dans le précédent article. Réellement de merveilleux cadeaux à faire, du moment que vous connaissez un tant soit peu le destinataire.
- IRL de Jen Wang est un petit one shot d'Akileos qui renverse délicatement les canons des histoires de jeux vidéos en les mâtinant de découverte de soi, d'émancipation, d'implication et de problèmes graves de société. Au style visuel agréable, IRL marque surtout par sa substance discrètement féministe. Un plaisir pour adolescent.e.
- Pogo de Walt Kelly mérite d'être épousseté. Ce doyen des strips américains, dans sa première édition intégrale gagne à la fois le rayon comics et une place définitive dans notre sélection Aaapoumienne. Voila ce que nous pouvons vous proposer pour le moment.
Viendront ensuite les titres suivants qui ont soit marqué éditorialement l'année 2017, soit marqué Aaapoum Bapoum par leur arrivée en rayon, aussi anachronique soit elle.
- Fear Agent
- Akasake
- Courtney Crumrin
- Herakles
- Turf
- Ironwolf
- Todd le Géant
- Le temps est proche
- Je suis Shingo
- Crache trois fois
- La cantine de minuit
- Yokai
- Johnny Ryan
- la production Isan Manga
À très vite en boutique, pour qu'on vous raconte plus en détail pourquoi nous aimons tous ces titres.
Si vous aimez que l'esprit critique acerbe laisse tout de même la part belle à l'humour et que vous êtes pris d'une soudaine envie de revisiter le passé à l'aune de l'acidité de bons critiques consciencieux, voici vos trois indispensables:
Gus Bofa, illustrateur émérite de l'entre-deux guerres, avait un petit soucis. Le traumatisme de la grande guerre était tel que la période s'est automatiquement vue frappée du sceau du tabou. Comment faire pour critiquer, dénoncer, faire prendre conscience, éduquer quand on est un auteur soi-même traumatisé par le sujet et ressentant un besoin impérieux de l'aborder?
Et bien on triche et on contourne. On produit par exemples de grandes illustrations, prétendument sur la guerre de cent ans, dont le souvenir s'est déjà bien estompé. Mais nous ne sommes pas dupes et c'est avec gravité que nous déchiffrons les grandes scénettes de Bofa, volontairement cabotines, résolument dénonciatrices.
Peur de vous lancer dans un traité d'histoire épais comme deux caisses à vin ? Celui-ci, bien que moins massif et moins inquiétant (les petits miquets, ça passe toujours mieux) n'en est pas moins riche, dense, fourni.
Allégés par un humour constant prompte à faire tourner en bourrique les multiples figures historiques abordées, les deux tomes de Petite Histoire du Monde Moderne de Larry Gonick dressent un panorama extrêmement vaste de nos idées historiques étonnées. Et oui, Christophe Colomb était un salopard incompétent qui n'est même pas à l'origine de ce qu'on lui attribue. Ça vous la coupe ?
Tiens, ça tombe bien que cet ouvrage soit excellent, mâtinant d'un humour acerbe et critique les diverses infamies moyenâgeuses. La peste, les successions de guerres, de rois, de conquêtes, de défaites…
La potentielle progression de la spiritualité et l'art, aussi mais ceux-ci ne sont pas encore prêt à surpasser l'étrange attrait de la flétrissure humaine des âges soi-disant sombres. En un intense et grimaçant calendrier, Le temps est proche de Cristopher Hittinger prépare la renaissance en décortiquant année après année, le cadavre pourrissant de l'Europe.
Vous pourrez d'ailleurs en discuter joyeusement avec lui bientôt car l’auteur sera notre invité pour notre prochaine dédicace!
Hé bien, c'est le printemps chez les éditeurs ! Ils enchaînent les sorties qui font sacrément plaisir. En tout cas, chez nous qui n'avons que très peu de neuf mais qui en parlons beaucoup, il y a dorénavant une nouvelle poignée de titres indés sélectionnés avec soin et délectation parmi les nouveautés de nos petits chouchous. Ut, chez Mosquito, Sestrieres chez Çà et Là, Akasake en auto-édition, l’Exécuteur T2 chez Delirium, la Cantine de Minuit au Lézard Noir...
Nous n'aurions pas la place de tous les lister. Nous en serions presque débordés ! De tous ces arrivages, toutes ces piles à ranger, ressort toutefois une tête. Une tête et un torse. Une tête et un torse bien reconnaissables: ceux de Todd le géant.
Todd le géant est tout noir, tout immense et tout perplexe. Il fait face à un sacré problème. Il s'est fait chouraver son slip. Todd le géant est donc tout noir, tout immense et surtout tout nu. On comprend alors qu'il lui faille partir dans une quête proto-existentielle sur les traces des petits rouges qui sont sensés l'avoir subtilisé. Ce postulat d'une simplicité extrême, né du doux délire de départ d’Alex Chauvel, porteur d'une connotation originelle très enfantine, révèle très rapidement un univers de fantasy alternatif de haute volée bien éloigné des sempiternels nains des profondeurs et autres hautains elfes. L'histoire est dense, le narratif infiniment bien construit et le minimalisme graphique achève de mettre au premier plan une inventivité globale terriblement rafraichissante.
Tout dans Todd est vecteur de candeur tout autant que de décalage. Les attitudes, les piques verbales, les réflexions, les concepts, les mythes, la faune, les rebondissements... Un escargot à l’évolution non darwinienne, une chouette amicale au langage fleuri, une mitose de nuage... Candeur éclatante, gentillesse sourde, décalage merveilleux servis par un gaufrier quasi immuable de 6 cases par page, limiteur et impulsion créatrice à la fois.
Il faut savoir à ce sujet que l'album fait 1008 pages (un beau petit pavé, donc) comprenant un total exact de 6001 cases. L'initié reconnaitra là le joli score (le joli record) des Carottes de Patagonie de Trondheim, dépassé d'une petite case de bon aloi. C'est bien avec ce nombre précis en tête que l'auteur s'est lancé dans son récit. L'album étant d'un format plus ramassé que les carottes, le défi est encore plus réussi. D'ailleurs, pour ne pas perdre en confort de lecture tout en évitant de détruire l'album à la moindre ouverture, l'éditeur a fait preuve d'une certaine audace en laissant apparente la reliure.
L'album est recouvert d'une belle jaquette qui lui confère une partie de son charme, se remise facilement et qui, une fois enlevée et donc protégée de toute dégradation, révèle un dos nu, cartonné d'aucune façon. Le jeu de collage et de couture des cahiers laissé ainsi libre permet d'éviter de casser l'album ou de marquer d'atroces et définitives pliures sur son épine dorsale. La surcouverture camoufle efficacement le tout lorsqu'il le faut mais ne subit pas la lecture du quasi-cube outre mesure. L'album est souple, transportable et le lecteur peut se laisser porter par ses habitudes de lectures sans avoir à entrebâiller seulement sa BD pour sa préservation.
Todd le Géant qui s'est fait voler son slip entreprend un voyage à première vue étonnant et aléatoire mais rempli de sagesse et de bon sens. Quand toute une clique de personnages bigarrée prend la peine de poser ses réflexions, ça donne un récit qui suit un cours tranquille mais non sans tumultes. Todd est le récit du lent apprentissage et de l'éducation à l'acceptation de la notion vitale et inévitable de bouleversement. L'album distille une certaine sagesse de la résignation, philosophie positive lorsqu'acceptée pleinement et transformée en projet optimiste.
Todd repose tout autant sur une arythmie de prise de conscience que sur un jeu d'explications en tiroir intelligent et intrigant. L'auteur y plante puis y fait pousser des champs entiers de messages positifs auto-critiques réalistes mâtinés d'humour et d'un recul salvateur.
Entre tous les jeux visuels discrets implémentés avec efficacité se nichent aussi une honnêteté et une fraicheur lexicale créatrice d'attachement et vecteur d'intime. En résumé, Todd est une BD à la bienveillance rayonnante, qui nous en fait presque oublier les multiples hécatombes qui la parsèment.
Todd le géant s'est fait voler son slip, par Alex Chauvel, The Hoochie Coochie, 1008p, 25€. À retrouver dès sa sortie chez Aaapoum Bapoum