Publications dans Décembre 2018
Icône

Contrairement à ce que veut bien raconter l'éditrice, les editions Ici Même ne travaillent pas qu'avec des auteurs italiens. La preuve, ce "Icône" de Simon Schwartz est traduit de l'allemand, ce qui ne l'empêche pas d'être tout à fait intéressant.

 
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Voici la véritable histoire d'une mystification, celle de la survie de la princesse Anastasia, quatrième fille du dernier Tsar de Russie (pour l'instant !). Où comment entre aveuglement, hystérie et illumination, des mythes se créent. Il y a de tout dans ces 200 pages, de la folie, de la poésie, de vrais morceaux de Russie et d'Amérique, de l'histoire de l'art et des religions (le culte d'Aphrodite, vous connaissez ?), des hôpitaux psychiatriques, des taudis, et même des condamnations à mort dans la nuit.

Des livres comme ça demandent du travail, ne sont pas décidés par un comité marketing et ne ressemblent pas aux autres. C'est pourquoi ils méritent d'être vus et d'être lus. En plus on peut offrir l’ouvrage à des individus très variés.

Par exemple :
• les lecteurs de Paris Match, qui ne manqueront pas d'être bouleversés par cette histoire de princesse revenue d'entre les morts.
• les passionnés d'ésotérisme et d'icônes orthodoxes (il en existe qui s'intéressent aux deux sujets)• les fanatiques de la guerre civile russe, qu'ils soient rouges ou blancs.
• Les amateurs de sordide qui écoutent de l'électro rugissante au fond des caves humides.
• les amateurs de noir et blanc tranché et de trames affirmées, qui retrouveront là toute une tradition germanique née dans ces années où il était minuit dans le siècle.
• bien d'autres encore, mais je vous laisse poursuivre la liste.

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Icône coûte 26 € et a été imprimé en Lituanie (sans doute dans le souci de se rapprocher géographiquement de son sujet).

Prison Pit, l'odyssée furieusement foutraque
 
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Alors qu'arrive dans nos rayons le monstrueux second et dernier tome de Prison Pit (Huber éditions), une petite déclaration d'amour à ce chef d’œuvre de l'indé trash s'imposait. Pour les retardataires, comme on est sympa, on fait même un flashback.

Johnny Ryan débute sa carrière de manière assez classique: l'autoédition de fanzine. Il travaille quelques années sur la premier volume de la série qui le sortira de l'ombre: Angry Youth Comix, une sorte de version rageuse de Beavis and Butthead (une de ses influences majeures). Basée sur un format anthologique, la série finira par taper dans l’œil de Peter Bagge, qui mènera Ryan vers le prestigieux éditeur américain Fantagraphics.

Dès lors, la carrière de l'auteur va décoller. Quelques piges pour DC (notamment avec Bagge sur l'excellent Sweatshop), pour Marvel (lors de l'anthologie Strange Tales), un volume 2 d'Angry Youth Comix (dont le succès permettra même à certains personnages de bénéficier de leur propre série, tel Blecky Yuckerella).

Et puis, la rampe de lancement vers l’international: Vice. Il va contribuer au magazine pendant plusieurs années. D'abord pour la version US, puis pour les différentes versions à travers le monde, à la demande de ces dernières (un recueil en est disponible chez Misma sous le titre "Johnny Ryan touche le fond"). Depuis, il a travaillé pour plusieurs magazines (MAD, Hustlers...), co-créé une série télé jeunesse avec son pote Dave Cooper pour Nickelodeon (le délirant Pig Goat Banana Cricket) et écrit/dessiné quelques pépites d'humour sale (Comic Book Holocaust et sa suite, inédite en France).

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Mais tout cela n'était qu'un prélude à ce qui serait son magnum opus : Prison Pit. Lorsque le récit débute, Cannibale Fuckface est balancé sur une planète désertique, peuplée par des hordes de tarés aussi monstrueux et déviants que dotés de capacités improbables. Va commencer pour le personnage une longue odyssée aussi épique et violente que sale et déjantée dans un no man"s land dégueulasse dont il veut à tout prix s'échapper.

De ce point de départ ultra simple, Ryan va dérouler tout un monde d'horreurs à nul autre pareil, où les élans épiques sont ponctués de respirations et de solitude. Tous les moyens sont bons pour Cannibale Fuckface. TOUS.

Avec Prison Pit, Ryan se lance un grand défi : un récit au long court. Un travail qui va l'obliger à revoir radicalement sa façon de travailler et sa narration. Finis les strips et les histoires courtes. La série s'étalera sur 6 tomes (en V.O.), 10 ans de travail (2009-2018) pour quasiment 800 pages. Avec autant de place pour s'étaler, il va beaucoup expérimenter, se laisser du temps pour enchaîner ses séquences, montrer son héros dans des étendues désertiques entre deux scènes d'action frénétique.

Même graphiquement, Ryan va totalement changer de style. À ses personnages très cartoony, très ronds, il va substituer quelque chose de plus travaillé, où les hachures vont prendre plus de place et modeler les formes. Un travail poussé qui se fera sentir à la fois sur les designs des protagonistes et sur les décors.

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Sur les influences aussi, l'auteur va se diversifier. Si certaines sont assez facilement identifiables, comme Mad Max (pour ses décors et ses tarés en cuir) ou Alien (pour ses parasites), on y retrouve également du manga. Dans le format pour commencer (petit format, noir et blanc) mais aussi avec des références tel que Berserk (pour ses affrontements sanglants et épiques). On verra même quelques similis yokaïs pointer le bout de leur truffe.

Par contre, Ryan n'a rien perdu de sa verve ou son penchant pour la provocation et le transgressif. Il ne se pose clairement aucune limite, va jouer de tous les ressorts (et fluides) pour amuser ou choquer son lecteur. Et il va être extrêmement inventif à ce sujet. Que ce soit les transformations abjectes, les mises à mort ou les capacités hors du commun des personnages, il n'est jamais à court d'idées, aussi débiles que géniales. Certaines séquences tournent à un concept minimum par page à l’acmé du récit. Si Ryan carbure à plein régime question images trash, son imagination est au diapason question rythme.

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Récit sans concession, sans limite, qui se renouvelle sans cesse dans son expression de la violence, de l'outrance et de ses idées, Prison Pit représente le sommet artistique de Johnny Ryan. Poussant autant le personnage que le transgressif dans ses derniers retranchements, l'auteur enchaine les designs de monstres, les pouvoirs abracadabrants et les mises à mort avec une imagination qui semble tourner à 200%. Aucune arme, aucun fluide corporel n'arrêtera l'épopée de Cannibale Fuckface.

Aussi épique que déroutant, beau que repoussant, régressif qu'inventif, Prison Pit, œuvre de la jouissance brutale assumée, est la violente décharge de folie de son auteur et de son amour du genre. 

PS: la version animée vaut aussi le coup d’oeil!