Marcel Labrume d'Attilio Micheluzzi

 

Par Stéphane. 

Ok, ok, je recycle pas mal ces derniers temps sur le blog. Mais je n'ai pas beaucoup de temps pour écrire en ce moment. Mes camarades non plus, d'ailleurs, accaparés par le raz-de-marée des clients venus spécialement pour la Noël et les multiples palettes de livres que nous venons de recevoir (pour la même occasion évidemment).Bref, voici une critique de Marcel Labrume, parue dans le Chronic'art du mois de novembre. Au sujet de Chronic'art, je vais en profiter pour faire un peu de retape et vous dire que ce mois-ci c'est numéro double avec 8 pages d'interview et de photographies sur le président d'Angoulême, le jeune et déjà célébré Blutch, que l'on aime beaucoup à AAAPOUM. Quant à Marcel Labrume, il est à vendre dans nos modestes échoppes pour un prix public de 20 euros. Soit deux fois moins que l'édition originale, moins belle, que nous vendons également.

Attilio Micheluzzi fait partie des grands oubliés, des maîtres qui n’ont jamais eu la reconnaissance qu’ils méritent. Contemporain de Pratt, cet ancien architecte reconverti sur le tard en auteur de bande dessinée a pourtant lui aussi marqué son époque par la qualité de ses récits d’aventure et la finesse de son trait. Dommage que l'œuvre n’ait pas survécu à la mort de son auteur. Jusqu'à une époque récente, les amateurs devaient écumer les AAAPOUM BAPOUM pour trouver à prix d’or des ouvrages d'époque, le plus souvent mal fabriqués. Or, depuis quelques années, les éditions Mosquito ont entamé une politique de réédition soignée, avec photogravure fine et traductions refaites. Après Rosso Stenton et Afghanistan, cet hiver dernier, c’était au magnifique Petra Chérie, pavé de 300 pages contant le crépuscule d’une aristocrate perdue dans la tourmente de la première guerre mondiale, d’être à l’honneur avec presque 70% d’inédit. Et aujourd’hui, c’est au tour de Marcel Labrume. Il était temps, ce chef d’œuvre primé à Angoulême comme meilleur livre de 1984 était paradoxalement indisponible depuis une quinzaine d’années. Il se dit souvent que la bande dessinée n’a que faire de sa propre histoire… comment ne pas le croire après de tels manquements. 

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Bref, Marcel Labrume, c’est le héros typique chez Micheluzzi, une caisse de résonnance de son époque plus qu’une figure à suivre ou à adorer. Journaliste français exilé au Moyen Orient pour fuir la défaite de son pays et les magouilles qui lui collent aux fesses, Marcel vend ses services au plus offrant, sans distinction, qu'il soit nazi, musulman, juif…. L’atmosphère qui baigne le récit évoque inévitablement le film Casablanca, auquel le livre doit beaucoup, que ce soit pour le thème d’un Orient comme carrefour où se croisent les lâches et les vermines européennes exilées loin de la guerre, comme pour son esthétique, tout en ombres et en lumières jouant dans le décor sur les motifs de la prison. 

 L’une des grandes qualités de Micheluzzi, en effet, outre son sens du récit et ses héros complexes qui se rangent du bon côté de la barrière par un coup du sort plus que par sens moral, c’est son immense talent graphique. Comme beaucoup d’italiens de cette époque, et Hugo Pratt le premier, Micheluzzi goûte le sublime trait noir et blanc des grands maîtres de la bande dessinée américaine d’après guerre. Or, seul Pratt et lui vont s’inscrire dans cette esthétique élaborée pour la simplifier, l’épurer des détails inutiles au récit. Chez eux, les formes vont devenir synthétiques, les outils graphiques rudimentaires : une ligne, quelques hachures, et des masses de noir vont faire l’affaire, l’un préférant le pinceau épais (Pratt), l’autre le pinceau fin ou la plume. Marcel Labrume, en plus d'offrir deux épisodes mélancoliques et exotiques, marque l’un des sommets de cette esthétique, où cadrages, onomatopées et ombrages, se placent au service de l’efficacité narrative. L’aventure, encore et toujours, avant tout.