LA POLITESSE DES BRUTES
Avantages et inconvénients du plastique
Dans nos boutiques, les bédés les plus rares sont emballées dans des pochettes plastiques.Ce sont des pochettes avec un rabat autocollant repositionnable qui permet de les ouvrir, de sortir l'ouvrage et éventuellement de l'y remettre. Le principe de la pochette est un peu chiatique pour ceux qui apprécient comme moi le contact direct avec le livre, le papier, tout ça, mais d'un autre côté c'est bien pratique pour nous les commerçants pour plusieurs raisons :
1) ça protège — un peu — les bouquins rares (et en bon état) des brutes qui sont beaucoup plus répandues qu'on ne pourrait le croire parmi les arpenteurs de librairies. Des brutes dont l'aspect extérieur varie considérablement mais qui ont comme point commun de faire des expériences idiotes avec les livres... Par exemple -héhé- prendre cette édition de 1985 de Micheluzzi, la soulever à une hauteur de 20 centimètres au dessus du bac, la regarder d'un air mou, l'incliner légèrement afin de présenter un angle et non plus l'entièreté de la tranche basse comme point le plus bas puis la relâcher prestement en poussant un petit soupir de satisfaction. L'idéal étant qu'elle ne retombe pas dans sa section d'origine, mais dans une autre à peu près adjacente... par exemple en Gotlib.
2) le plastique est d'autant plus bruyant qu'il est manipulé avec vigueur... Ainsi il joue le rôle d'alarme.
Imaginons : je suis à moitié absorbé dans l'écriture d'un post (attention, hein, j'ai bien dit à moitié, je veille néanmoins), soudain, alors que je cherche un adjectif, j'entends sur ma droite à 5h un froissement caractéristique... Une brute est train de s'attaquer à une pochette afin de pouvoir s'en prendre au livre dans un deuxième temps. Je me lève, je respire, redresse les épaules et avec mon air professionnel et confiant, je vais proposer mes services, ce qui en général fait fuir la brute ou la transforme en la personne affable et délicate qu'elle avait toujours souhaité être.
3) Le plastique donne un petit air respectable à un ouvrage dont la plupart des gens se foutent... Surtout s'il est accompagné d'un prix tout aussi respectable... Bref c'est un signe extérieur de distinction. Mais je réserve le développement de ce point pour mes cours de vente payants (par correspondance).
4) il existe bien d'autres utilisations avantageuses du plastique, mais ce texte est déjà bien assez long. J'abrège donc et en viens au sujet de mon agacement.
La plupart des clients ne savent pas manipuler ces enveloppes délicates, emplies d'électricité statique et bardées de collant... En ôter l'album est déjà bien compliqué alors je ne vous parle pas de l'y remettre. Ce n'est pas méprisant de ma part. Je n'écris pas ces lignes en pensant que l'humanité est faite de gens malhabiles aux doigts gourds et à l'esprit dénué de capacité pour la géométrie dans l'espace. Non c'est juste qu'il faut un minimum d'expérience. Nous-mêmes avons longuement travaillé pour arriver à notre degré de maîtrise de la pochette. Alors un conseil pour nos bons clients : lorsque nous vous proposons de nous occuper de ranger les livres que vous avez déballés, n'y voyez nul mépris. Ne croyez pas non plus que nous sommes furieux que vous ayez défait un paquet sans en acheter le contenu : les pochettes n'ont pas chez nous ce rôle mercantile et culpabilisateur (style : "mince j'ai dérangé le rayon et le vendeur, je vais être obligé d'acheter..."). Simplement nous préférons ranger nous-mêmes la bédé dans sa pochette que de retrouver des plastiques déchiquetés, avec l'étiquette et le rabat du mauvais côté... Car là pour nous c'est triple travail : ôter, changer, remettre.
L'idéal serait bien sûr que les comportements brutaux disparaissent, que nous puissions cesser d'acheter et d'utiliser ces rognntudjuu de pochettes plastiques qui polluent la planète de chaque côté du Boul'Mich'.