Publications dans Août 2008
Joe Kubert (2) : Abraham Stone
 

Un p'tit gars de Pennsylanie

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Abraham Stone marque un certain retour de Joe Kubert dans la création, au début des années 90, après une bonne décennie où il avait surtout consacré ses efforts à son école de dessin, la Kubert School Cartoon and Graphic Art.

Cette œuvre témoigne d'une volonté de s'éloigner des récits de genre où l'auteur avait brillé (guerre et super-héros). Visiblement armé de nouvelles préoccupations Kubert s'oriente vers des terres plus sociales et réalistes. Abraham Stone est un jeune américain du début du siècle dernier. Un petit gars de la campagne de Pennsylvanie venu à New York sur les traces des assassins de sa famille. Ses investigations l'amènent à intégrer la pègre de l'East Side. Il ne tarde pas à découvrir les liens qu'elle entretient avec un certain capitaliste ferroviaire... Une aventure très "Will Eisner" en somme, le comique et la distance en moins (un lecteur a-t-il déjà trouvé une trace d'humour dans un bouquin de Kubert ???).

Cette inclinaison thématique s'accompagne d'un changement de format. Kubert a conçu les aventures d'Abraham Stone pour le marché européen, et plus précisément pour son ami Erwin Rustemagic des éditions alors yougoslaves Strip Art Features. 3 albums de 48 planches, donc. Les éditions Glénat accueillirent dans leur collection "Vécu" la première de ses aventures (t1 : Rat des villes). Par la suite Abraham Stone semble avoir été à Hollywood (t2 : Radix Malorum) et dans le Mexique de Pancho Villa (t3 : The Revolution), mais ces deux aventures n'ont jamais bénéficié d'une sortie album francophone. Il semble pourtant qu'elle furent au moins partiellement publiées dans USA magazine.

Tel quel, le tome 1 se suffit à lui-même. Une histoire de vengeance, simple, efficace, avec de belles scènes de pluie et des méchants vraiment méchants. Kubert ne fait pas dans la dentelle, mais son manichéisme allié à la fluidité de la narration assure un grand confort de lecture. Sa joie de dessiner est indéniable et entraînante. Une ardeur qu'il aura un peu perdue sur le travail de commande Tex, dont nous reparlerons dans ces colonnes.

Abraham Stone, T.1 Rat des villes de Joe Kubert, 1992, Glénat. Un album qui comme la plupart des tomes 1 demeurés sans successeurs se trouve assez facilement en occasion.

Dans nos archives : Joe Kubert (1) : Face au Viêt Công.

 
Un jour férié mais pas trop...
 

Ou comment une vierge s'envoyant en l'air justifie un changement d'horaire

Ni pour la naissance de Napoléon, ni pour le décès de Macbeth, encore moins pour l'anniversaire de Ben Affleck, ni même pour celui d'Alain Juppé et de Régine Deforges, peut-être un peu pour l'avènement de Pierre Dac ou en mémoire de Walter Scott...

Dans tout les cas, ce vendredi 15 aout 2008, les boutiques Aaapoum Bapoum connaîtront une légère adaptation d'horaires.Dante et Serpente, même combat, seront ouvertes de 12h à 19h.

Ainsi, entre deux messes, une grasse matinée ou une sieste, il sera possible de baguenauder à loisir dans nos rayons. Mieux encore, en gage de soutien à ceux restant sur Paname en ce long pont estival, le pack de "Magdalena", l'arme secrète du Vatican contre les vampires, Ed. USA,bénéficiera d'une remise de 5€ (vingt euros les deux tomes au lieu des vingt-cinq euros habituels), pour toutes les personnes nous glissant d'un air dévôt la phrase "Je vous salue Marie Madeleine".

Le reste du week-end retrouvera une normalité de bon aloi, tant au niveau des horaires que des prix... Encore qu'il reste à prouver la possibilité d'accoler l'adjectif normal à l'espace temps Aaapoumien.

 
LA POLITESSE DES BRUTES
 

Avantages et inconvénients du plastique

Dans nos boutiques, les bédés les plus rares sont emballées dans des pochettes plastiques.Ce sont des pochettes avec un rabat autocollant repositionnable qui permet de les ouvrir, de sortir l'ouvrage et éventuellement de l'y remettre. Le principe de la pochette est un peu chiatique pour ceux qui apprécient comme moi le contact direct avec le livre, le papier, tout ça, mais d'un autre côté c'est bien pratique pour nous les commerçants pour plusieurs raisons :

1) ça protège — un peu — les bouquins rares (et en bon état) des brutes qui sont beaucoup plus répandues qu'on ne pourrait le croire parmi les arpenteurs de librairies. Des brutes dont l'aspect extérieur varie considérablement mais qui ont comme point commun de faire des expériences idiotes avec les livres... Par exemple -héhé- prendre cette édition de 1985 de Micheluzzi, la soulever à une hauteur de 20 centimètres au dessus du bac, la regarder d'un air mou, l'incliner légèrement afin de présenter un angle et non plus l'entièreté de la tranche basse comme point le plus bas puis la relâcher prestement en poussant un petit soupir de satisfaction. L'idéal étant qu'elle ne retombe pas dans sa section d'origine, mais dans une autre à peu près adjacente... par exemple en Gotlib.

2) le plastique est d'autant plus bruyant qu'il est manipulé avec vigueur... Ainsi il joue le rôle d'alarme.

Imaginons : je suis à moitié absorbé dans l'écriture d'un post (attention, hein, j'ai bien dit à moitié, je veille néanmoins), soudain, alors que je cherche un adjectif, j'entends sur ma droite à 5h un froissement caractéristique... Une brute est train de s'attaquer à une pochette afin de pouvoir s'en prendre au livre dans un deuxième temps. Je me lève, je respire, redresse les épaules et avec mon air professionnel et confiant, je vais proposer mes services, ce qui en général fait fuir la brute ou la transforme en la personne affable et délicate qu'elle avait toujours souhaité être.

3) Le plastique donne un petit air respectable à un ouvrage dont la plupart des gens se foutent... Surtout s'il est accompagné d'un prix tout aussi respectable... Bref c'est un signe extérieur de distinction. Mais je réserve le développement de ce point pour mes cours de vente payants (par correspondance).

4) il existe bien d'autres utilisations avantageuses du plastique, mais ce texte est déjà bien assez long. J'abrège donc et en viens au sujet de mon agacement.

La plupart des clients ne savent pas manipuler ces enveloppes délicates, emplies d'électricité statique et bardées de collant... En ôter l'album est déjà bien compliqué alors  je ne vous parle pas de l'y remettre. Ce n'est pas méprisant de ma part. Je n'écris pas ces lignes en pensant que l'humanité est faite de gens malhabiles aux doigts gourds et à l'esprit dénué de capacité pour la géométrie dans l'espace. Non c'est juste qu'il faut un minimum d'expérience. Nous-mêmes avons longuement travaillé pour arriver à notre degré de maîtrise de la pochette. Alors un conseil pour nos bons clients : lorsque nous vous proposons de nous occuper de ranger les livres que vous avez déballés, n'y voyez nul mépris. Ne croyez pas non plus que nous sommes furieux que vous ayez défait un paquet sans en acheter le contenu : les pochettes n'ont pas chez nous ce rôle mercantile et culpabilisateur (style : "mince j'ai dérangé le rayon et le vendeur, je vais être obligé d'acheter..."). Simplement nous préférons ranger nous-mêmes la bédé dans sa pochette que de retrouver des plastiques déchiquetés, avec l'étiquette et le rabat du mauvais côté... Car là pour nous c'est triple travail : ôter, changer, remettre.

L'idéal serait bien sûr que les comportements brutaux disparaissent, que nous puissions cesser d'acheter et d'utiliser ces rognntudjuu de pochettes plastiques qui polluent la planète de chaque côté du Boul'Mich'.

 
SEINS MARTYRS
 

L'amour qui fait « Gnup »

Les onomatopées sont  souvent dotées d’un fort symbolisme suggérant. Et persistant. Il suffit d’entendre «Gnap» pour que surgisse  immédiatement l’image d’un schtroumpf noir, l’œil pervers, la mâchoire aux aguets. Un «ZzzZzzz» évoque sans équivoque un sommeil profond au lecteur de bandes dessinées... Ce panel expressif, large, inventif, enrichi constamment par de nombreux auteurs, existe dans toutes les langues.

Se pose alors le délicat souci de la traduction : la détonation d’un fusil diffère entre l’ouest sauvage de Blueberry et les pérégrinations de Corto Maltese, les sensibilités sonores variant suivant la poudre et les époques. Et que dire si ces sons sont retranscrits de prime abord en kana ?

Ainsi les onomatopées illustrant certains dessins de Ryoichi Ikegami ont une saveur toute particulière, pétries de finesse et subtilité. Les images suivantes sont tirées des mangas Heat, Sanctuary, Crying Freeman et Strain… Panorama des bruissements du tripotage mammaire nippon.

 
Whiteout de Rucka et Lieber
 

L'Antarctique : des machos, des tueurs, des traîtres et 180 jours de nuit...

Tandis qu'en Francobelgie les éditeurs arpentent le patrimoine littéraire pour le transformer en illustrés pour la jeunesse, de l'autre côté de l'Atlantique les Hollywoodiens transforment en films un nombre croissants de comics. Parfois, dans le second cas, le cinéma (ultime produit dérivé) offre une exposition accrue à une œuvre du neuvième art que le grand public n'aurait pas forcément remarquée  ("tiens la bédé du film !"). Ce sera probablement le cas de Whiteout, un respectable polar ayant pour cadre l'Antartique. Deux mini-séries scénarisées par Greg Rucka et dessinées par Steve Lieber, traduites en français en deux grands albums brochés, publié par Akileos en 2003.

Derrière une couverture  signée Frank Miller (une fausse bonne idée : le lecteur ainsi appâté refermant l'ouvrage avec la promptitude qu'entraine la déception de ne pas retrouver le maître des grosses semelles crantées à l'intérieur), le premier tome décrit l'enquête de l'US marshal Stetko sur un écheveau classique de morts et disparitions... Le cadre polaire est bien exploité, les dialogues sont bien tournés et le personnage principal est attachant dans le registre féminin qui ne se laisse pas emmerder. Cet Antarctique en noir et blanc tramé semble assez naturel et le découpage des scènes d'actions établit le bon équilibre entre les effets réalistes de confusion et la lisibilité nécessaire pour les apprécier.

La seconde histoire (Whiteout : fusion) confronte cette fois-ci l'héroïne à des mercenaires russes volant des armes nucléaires pour la mafia... En lisant récemment ces deux aventures, je me disais que le personnage de Carrie Stetko irait comme un gant à Clea DuVall s'il fallait lui trouver une interprète : même pugnacité, morgue, distance et équilibre intérieur incertain (oui, car en fait je râle à chaque fois qu'il y a une adaptation, mais je passe mon temps à chercher qui pourrait jouer qui, en bon geek que je suis : "Hé Stef ! Qu'est-ce que tu penses de Pierre Palmade en Thanos ?"). En plus Clea Duvall présente l'avantage d'avoir du charme sans ressembler à une fille de magazine. Parfaite pour le rôle donc, sans même évoquer les taches de rousseur.

Un petit tour sur le web et j'apprends, sans doute après la plupart de nos lecteurs, qu'un film est en "post-production". Sortie prévue pour 2009. Et non, ce n'est pas Clea. Ils ont choisi Kate Beckinsale, une actrice qui a un certain talent pour s'immiscer dans des navets flamboyants où elle peut incarner des guerrières vampires en cuir ou des décolletés de reine des gitans.

Je sais pas pourquoi, là,  j'ai l'impression que la subtilité psychologique des personnages va en prendre un coup...

Avant la soirée pizza de l'année prochaine, si vous avez envie de lire la BD et si vous passez chez nous, il se trouve qu'on en a quelques exemplaires.

 
Rahaaaaaaaaaaaaaaaa !
 

Communiste... kézako ?

Ne resterait-il que Mel Gibson pour oser les héros court vêtus dans une production grand public ?

La frilosité semble avoir transi les producteurs du nouveau dessin animé Rahan qui passera sur Canal + en septembre (26 épisodes de 26 minutes)...

Dans le fort appréciable magazine gratuit Zoo (n°14), on apprend au cours d'une interview du fils Lécureux (Jean-François, actuel scénariste de Rahan et fils de Roger, le créateur de la série) que, dans le dessin animé, le fils des âges farouches "porte un pagne plus long, façon indien (...) car pour le commercialiser dans les pays anglo-saxon, un héros en slip, tout nu, ça passe pas". Ah. Bon d'accord.

Quelle audace ! Ce genre de remarque capitularde en dit long sur la fidélité à l'œuvre et à son esprit. Car non contents d'habiller Rahan, les développeurs du projet lui ont ajouté un animal de compagnie...

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Un ours transformé en korrigan par une sorcière. Le classique élément comique adjuvant du héros et sensé focaliser l'attention du jeune public (le "syndrome Jar Jar Binks") souligne clairement une dimension fantastique dans l'histoire.

C'est là que réside ce qui me froisse et me fait émettre de sombres présages. Rappelons que Roger Lécureux était communiste et que ses scénarios forment la fine fleur de la production réaliste de Vaillant et Pif. Ses héros sont toujours animés de la volonté de ne pas déléguer leur destinée. Rahan est l'ami de tous ceux qui marchent debout mais lutte farouchement contre les manipulateurs et les tyrans. Véritable matérialiste historique il vérifie chaque jour la puissance de l'inventivité humaine et l'efficacité de la raison. S'il est confronté presque à chaque épisode au pouvoir des sorciers, c'est à leur emprise psychologique qu'il s'attaque, pas à leur réelle puissance magique. En définitive son rôle est de les démasquer. Le pouvoir de ces charlatans s'avérant à chaque fois à la fin le résultat d'artifices pyrotechniques ou psychotropes : "la religion est l'opium du peuple", écrivaient Marx et Engels.

En Bourse, les actions "Xilam animation", la société développeuse du projet, ont connu une chute vertigineuse depuis janvier. Des esprits superstitieux pourraient déceler dans cette courbe descendante une manifestation de la colère de Roger le père, depuis le "Royaume des ombres".

Le peu d'images qui filtrent du produit laissent envisager un honnête développement du style Vatine, comme vous pouvez le constater sur le site de la société de production Xilam et ici en  plus grand. 

L'image reproduite en début d'article est propriété de la société Xilam (www.xilam.com)