Prince Norman de Osamu Tezuka
Histoire en 3 volumes, sens de lecturejaponais, Editions Cornélius, 14 Euros pièces.
C’est le récit d’une guerre, d’un ultimatum et d’une menace nucléaire ; un synopsis qui évoque immanquablement l’Histoire japonaise du XXème siècle. Mais si, dans cette douce parabole de science fiction qui plante le décor sur la Lune, le prince Norman refuse la reddition – comme le fit l’empereur japonais Hiro-Hito en son temps-, en revanche le juvénile dirigeant a saisi ici toute la mesure de la menace. C’est pourquoi à l’orée du dernier volume la tension est à son comble. Et pour causes, les préparatifs de guerre ne sont pas achevés, les solutions pas encore trouvées, tandis que l’écrasante armée des lézards mugit aux portes du royaume lunaire.
Plus que par l’intrigue, trépidante et nimbée de renvois poétiques aux canons de la science fiction d’avant-guerre, ou plus encore que les résonances politiques et humanistes chers à l’auteur, c’est par la puissance de son traitement esthétique que Prince Norman se démarque. La digestion des références à Walt Disney y apparaît comme complètement achevée ; la réflexion sur l’équilibre entre épure et rigueur du trait poussée à son comble. En effet dans peu de temps, Osamu Tezuka repartira sur les sentiers de l’expérimentation, délaissant d’un coté l’esthétique naïve et raffinée de l’enfance pour la dramatisation par le détail des récits adultes, de l’autre l’obsession du trait pour celle de l’agencement de la page. Prince Norman fait donc partie de ses deux ou trois séries à marquer l’apogée d’une ligne, et d’une époque où le maître est secondé des meilleurs assistants.
Sur le terrain symbolique, Prince Norman éveillera l’intérêt du lecteur intrigué par l’Histoire, car y sont solidement ancrés la fascination et l’espoir qu’ont déclanché l’annonce, en 1960, par le président américain, de l’envoi prochain des premiers hommes sur la Lune. Accouché quelques mois avant l’évènement, Prince Norman partage les rêves des Quatre Fantastiques et du Surfeur d’argent. Emergeant à peu près à la même époque, bien que sur deux continents différents, ces héros répondent aux angoisses du Vietnam, de l’installation de la guerre froide et de la monté en puissance des tensions entre blocs. Durant cette ère où se réveillent les craintes d’une apocalypse nucléaire, le Japon et les Etats-Unis entrevoient, peut-être mieux que quiconque, la possibilité tragique de la bombe atomique ; ils en furent les premiers acteurs. Ce n’est -peut-être- alors pas un hasard si les bandes dessinées de ces deux peuples s’accrochent à la chimère d’un sursaut de l’humanité. (Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la bande dessinée franco-belge ne défend aucun rêve dans son illustration de cet évènement. Tintin et sa fusée sont certes passionnants, mais témoignent peu des angoisses et des espoirs de cette époque).
Que de bonnes raisons d’essayer ce récit de science fiction d’une grande beauté.