Hato, Toujours plus haut! de Osamu Tezuka

 

Depuis la naissance du blog de Cornelius, nous n’en avons que peu parlé. Normal, car dans le milieu des critiques de bande dessinée, suite à quelques articles je suis en passe de finir comme «suceur de bites undergrounds », dixit Vlad. Moi qui me méfie des églises, va-t-il falloir que je remplisse mon quota de XIII et de Largo Winch afin de montrer patte blanche de nouveau.

Par Stéphane

Suite aux discussions avec quelques-uns de nos clients fans de Tezuka, et déçus par Hato, je me  lance dans l’écriture de ce post. Le décryptage commence dans la suite, après ce petit résumé de l’intrigue.

Des jumeaux orphelins, éduqués dans l’amour et la fraternité par une femme serpent aux pouvoirs puissants, sont destinés à de grands projets, mais finissent par se faire face, divisés par la gouvernance de leur village natal. Les legendaires Remus et Romulus n’auraient pas fait mieux.

 

En farfouillant dans la tonne de documents que je compile dans le but de débiter des infos géniales et passer pour un éminent savant dans le monde de la critique bande dessinée, j’ai dégoté cette citation de Tezuka.

«Les gens me demandent souvent, "Astro Boy est votre travail le plus représentatif n’est-ce pas ?" C’est est en parti vrai car, de par sa longueur, elle permet de jauger de mon évolution dans mon travail. Mais si l’on m’avait demandé, à la place, de citer ma création favorite, j’aurais répondu le Roi Leo, Hato, ou même certaines de mes nouvelles. Si j’ai vraiment pris du plaisir à écrire Astro Boy durant les deux trois premières années, les suivantes ne furent qu’une routine. Quant à l’après adaptation en série télévisée, continuer à écrire Astro, devenu phénomène monstrueux, me procura beaucoup de tristesse.» 

Hato, œuvre anecdotique dans la carrière de Tezuka, passée inaperçue même au Japon où elle fut diffusée dans un magazine peu populaire à l’époque (Com pour ceux que ça intéresse), est il est vrai loin d’être sa meilleure série. Cependant, la lecture de Hato est vraiment agréable, et  même passionnante pour ceux qui s’intéressent à la carrière de l’auteur ou au folklore japonais. A l’aune de ces deux augures, l'œuvre révèle de bien belles qualités.

Inspiré à Tezuka par la lecture de Taro du Dragon, vrai grand chef d’oeuvre de la littérature enfantine écrit par Miyoko Matsutani et traduit en français chez Magnard, Hato constitue la première et unique incursion de cet auteur dans l'univers des légendes japonaises –si l’on excepte Dororo, plus axé sur le yôkaï que sur les légendes. Ici, nombre d'épisodes mettent en scène des combats entre hommes et esprits, fées et autres bêtes, avec la plus tendre des naïvetés enfantines.

Comme le souligne l’éditeur Cornelius, la forme du récit est particulièrement originale pour l’époque. Composé de bulles mais aussi de commentaires hors-cadre, flottant dans la page, certains amateurs de bande dessinée y verront les prémices du roman graphiques tel qu’il sera défendu quelques années plus tard par Will Eisner, sur un autre continent. D’autres le rattacheront aux contes illustrés pour enfants, dont la tradition existe aussi sur l’archipel depuis des lustres. En tout cas, c'est innovant.

Coté scénario, Tezuka fait montre de thèmes caractéristiques dans ses œuvres à l’approche du tournant des années 70. D’un coté, sa conscience politique se précise, à mi-chemin entre l’unicité japonaise si chère à la pensée nationaliste nippone (attention, ne pas y voir le même concept que dans notre hexagone) et le communisme montant dans ce pays sous tutelle. Hato-maru, jumeau positif, incarne ainsi l’unicité du village face aux catastrophes naturelles et la révolte face aux oppresseurs et leur leader (le frère Taka-maru,devenu chef de guerre).

De l’autre coté, Tezuka témoigne des craintes qui saisissent la société japonaise à cette époque, s’apprêtant à renouveler le traité d’alliance nippo-américain qui a cours tout les dix ans. Comme dans Prince Norman, c’est le futur proche qui angoisse, le sentiment partagé d’avoir atteint les limites de la reconstruction et ne savoir comment aller encore plus de l’avant. Comme le dira le critique Japonais Jun Ishiko (assez célèbre) à propos de Hato en 1977, en référence à son titre japonais (Dove ! Envole toi au Paradis!) «Dove a atteint le ciel, mais désormais, comment faire pour qu’il apprenne à voler ?». Cette angoisse, les Japonais devaient bientôt apprendre à la surmonter.