Daredevil, génial et rare, sublime et cher
Depuis ses débuts, ce blog ne manque jamais une occasion de faire l'éloge de Brian Michael Bendis, scénariste de comics qui excelle dans le mélange des genres superhéros et polar. Dialogues vifs, découpages ingénieux, capacité à régénérer les vieux mythes, sont ses principales qualités. Alors, plutôt que de bégayer, mieux vaut vous informer de la rareté de certains de ses titres désormais, et du prix exorbitant auquel ces petites merveilles de bande dessinée s’échangent.
Ce matin, nous avons récupéré son cycle complet de Daredevil, soit 9 tomes, pour 250 euros. Dépêchez-vous, nous sommes vraiment à prix raisonnable, comparé à Internet en ce moment.
Je vous poste ci –dessous une critique faite en 2007 pour Chronic’art, ainsi que deux liens vers deux anciens et élogieux billets du aaablog.
Daredevil, Bendis & Maleev, Panini Comics
Daredevil, le superhéros ambigüe par essence. Un costume de diable rouge, une relation équivoque à la foi chrétienne (le justicier a tué de manière involontaire) sculptent une figure bien moins lisse que celle de ces congénères. Assumée depuis sa création, cette ambigüité revendiquée se caractérise par la mise en avant d'un statut de martyre, avant même celui de justicier. Toute bonne action arrache en contrepartie à cet homme quelques copeaux de son âme, de son humanité ; le sacerdoce a débuté cette matinée ensoleillée de l'enfance où il se jette dans les roues d'un poids lourd pour en écarter un aveugle de sa route. Il en perd lui-même la vue. S'enchaînent depuis, et aujourd'hui encore, deuils et relations amoureuses avortées dans la douleur ; une vie d'horreur.
Ce n'est donc pas un hasard s'il figure parmi les premiers héros de l'écurie Marvel dont les aventures sont rythmées à grands coups d'évènements quotidiens poisseux. Dépressions nerveuses à répétition ou ex-petite amie héroïnomane capable de révéler son identité secrète à la pègre contre une dose, sous-tendent une violence psychologique rare dans le monde des lectures destinées aux enfants (Pour la petite anecdote, les bambins français de Strange n'y auront vu qu'une pauvresse affamée contraint d'échanger le nom de son ancien chéri contre un quignon de pain, merci aux traducteurs attentionnés des éditions Lug de l'époque).
Avec Bendis et Maleev, puisque leur version se destine uniquement aux adultes, les désordres intimes de Daredevil n'ont plus d'entrave. Un choix qui se revendique immédiatement dans l'image : ambiance de polar urbain et graphisme photo réaliste flattent l'horreur des rues américaines, tandis que le trait nerveux instille saleté et instabilité à chaque image. Se détache alors de ce décorum glauque le rouge ardent du costume, lumière éclatante mais dont le problème est qu'on ne sait jamais quelle valeur morale elle va désormais incarner.
Perte de repère, perte des valeurs, autant graphique que dramatique : Daredevil s'est institué chef local de la pègre, dernière solution en date pour tenter de réguler le crime organisé. Selon la coutume, il a cédé un morceau de son être ; cette fois son identité secrète -plus moyen d'être tranquille chez soi et mise en danger des proches- et l'amour du public, dont il n'a plus la confiance. Le Décalogue, nouvel opus qui s'appuie sur une longue tradition, montre la difficulté pour le héros de revendiquer une stabilité morale, de tomber dans un manichéisme rassurant avec échelle de valeurs limpides, avant de mieux conclure qu'il lui sera même désormais impossible d'y arriver. I'am your God titre la couverture, mais qui veut d'un diable aveugle comme Dieu bienveillant ? Personne, pas même à Hell's Kitchen (cuisine de l'enfer, quartier pauvre de New York) où Daredevil opère depuis ces débuts. L'échec de cette nouvelle politique est inévitable et le justicier commence à en prendre la mesure. Que va-t-il perdre ? L'éventail des possibles n'est pas large et glace le dos par avance. Que de sacrifice en perspective.