L'art de la BD : Heath + Fernandez + Matena, éditions Campus

 

Un recueil cosmopolite

Après un mois de silence, dû pour ma part à un visionnage intensif de The Wire, nous revoilà pour exhumer des vieilleries.

En 1982 les éditions Campus entamèrent la publication d'une revue modestement intitulée "L'art de la B.D.". Son principe était à chaque numéro de proposer en 66 pages une sélection de nouvelles d'un auteur. Le tout dans un noir et blanc fort correctement imprimé. Il n'y eu que 4 numéros. Les trois premiers furent regroupés dans une reliure. Sont ainsi rassemblés trois auteurs d'horizons forts différents.

Russ Heath, Fernando Fernandez et Dick Matena.

Le premier est étasunien, le deuxième est un espagnol qui a travaillé en Argentine et le dernier, bien connu de nos lecteurs pour son hommage à Astérix, appartient à la catégorie des Hollandais inclassables.

Ces trois artistes parcourent chacun une veine différente  du dessin réaliste. Heath privilégie l'outrance des attitudes et des expressions et ses ombres usent pleinement de leur fonction d'accentuation.

Fernando Fernandez, dont l'adaptation de Dracula est assez appréciée des amateurs d'épanchement chromatique, s'adonne lui totalement à son inclinaison pour la luxuriance décorative. Le maniérisme de ses planches  et de ses volutes graphiques n'entame pas la force de son dessin. Un calviniste de l'œil pourrait certes lui reprocher une certaine futilité et une volonté démonstrative immodeste... 

Ce serait oublier que l'hidalgo semble prendre un grand plaisir sur ses planches et que sa jubilation est communicative. S'il enlumine ses propres histoires là où Heath se met au service des textes d'autrui (Archie Goodwin, Bruce Jones...) les deux hommes arpentent le même genre : l'historiette fantastique moraliste et édifiante. Mais Heath a volontiers recours à l'humour quand Fernandez teinte tout d'une nostalgie désespérée. Même cette curieuse histoire d'un homme dont l'âme pue (littéralement) ne prête jamais à sourire, alors qu'on imagine ce qu'elle aurait pu donner entre les mains d'un Larcenet ou d'un Edika...

Dick Matena, le troisième embarqué de ce recueil, creuse lui un sillon moins identifiable. Ses inspirations disparates peuvent l'amener aussi bien à des histoires de science-fiction absurde ou cynique, qu'à une transposition futuriste du roman noir, ou à des espaces confinés, emplis d'un tension sexuelle malsaine et de pantins théâtraux. Ses planches expriment une distance froide qui est accentuée par un dessin qui semble chercher à polir la moindre de ses aspérités, à ramener objets et êtres vivants à l'état de galets. Il faut noter au passage que si le vivant et le minéral semblent être traité de la même façon par Matena, le règne végétal est le parent pauvre de son œuvre, réduit dans ses rares occurrences à ses formes périphériques que sont les champignons et les cactus. Dans l'ouvrage qui nous importe ici il y a même une histoire ou la végétation (résumée en ombres chinoises et tentacules) est clairement identifiée comme l'ennemi : "Ce sont des plantes carnivores ! Elles gardent les restes pour plus tard !" (dans Intermède 1).

Cette reliure, dont une belle pile nous est échue, est vendue chez nous pour la somme modique de 3€. Trois euros pour 198 pages de belle BD en noir et blanc ça mérite de passer outre la laideur de la couverture et du logo, non ? De plus la largeur de cet ouvrage n'excède pas 1,5 cm... c'est-à-dire qu'il prend la même place que, par exemple, la moitié de l'œuvre d'Aurelia Aurita.