Hiroshi Hirata, le chantre du manga historique

 

Comme le magazine Chronicart n'en a pas voulu, et que sur leur site internet je ne sentais pas pas trop ce format, c'est pour le aaablog. Je profite de la sortie de l'Âme du Kyudo pour faire un portrait de Hiroshi Hirata. Après notre rencontre, à l'Hotel Mercure non loin de la librairie, j'ai vraiment eu la conviction que cet homme avait pour but d'offrir une autre vision de l'Histoire.

Hiroshi Hirata, c'est le mangaka à l'ancienne. Le type qui n'entre pas en bande dessinée par passion, mais parce qu'il faut bien ramener à souper sur la table et que cela paie mieux que plombier (son premier métier). Inévitablement, ses débuts convainquent peu. Ecrasé, comme tous les aspirants artistes de l’époque, par l'ombre portée d'Osamu Tezuka, Hirata cachetonne dans de piètres contrefaçons de récits pour enfants. Par bonheur, il renonce assez vite au genre et se lance dans l'adulte. Un style unique se forge alors, nourri d'un puissant trait de pinceau, guidé par un geste proche de celui de la calligraphie. Un tracé tout en énergie, d'une perfection dans sa course que seuls un apprentissage et de répétitions acharnées vont parfaire. Cette rigueur, à rapprocher de celle que le samouraï entretient avec son sabre, permet l'insensé : une imagerie minutieuse et détaillée, pourtant ardue à obtenir avec un outil de cette épaisseur et une exécution rapide. Cette esthétique, en plus d'attester d'une expertise redoutable, participe à construire sa réputation. Il faut dire que sa scénographie complexe s’attarde, dans les moments de maniérisme les plus poussés, jusque sur les brins de paille qui débordent d’une sandale. Quarante années se sont depuis écoulées et fortune n'est toujours pas faites. Néanmoins, son nom rayonne parmi ceux des maîtres, il est devenu le chantre du manga historique réaliste.

Cette distinction, cependant, il ne la doit pas qu’à sa performance plastique. Les décors, tuniques et bâtiments sont évidemment mis en valeur par leur exactitude historique, mais cette fidélité, en définitive, beaucoup d'artistes la revendiquent. L’originalité remarquable chez Hirata est à chercher dans le mot, dans le respect des codes sociaux et le discours sur les mœurs de l’époque. Ses samouraïs, eux, ne flamboient pas. Ils endurent, pathétiques. Chose très rare, Hirata brosse des castes de sauvages soumises à l'autorité là où les confrères s'égarent encore dans la fantasme d'un Japon médiéval romantique, habité de guerriers raffinés dont l'élégance n'a d'égale que l'éthique ou la virtuosité.

Une vision critique

La reconnaissance du public vient véritablement de cette approche peu commune, où l’Histoire sert une critique de l'exercice du pouvoir, de l'oppression et de l'abus de ceux qui gouvernent, aujourd'hui encore. Plus particulièrement, il dénonce l'incapacité de son peuple à remettre en cause l’autorité, sa soumission passive devant l’étiquette et les systèmes de caste. Son message est clair : rien n’est immuable. En fait, il s'insère dans cette critique du système féodal mise en place par le célèbre cinéaste Masaki Kobayashi, tout d’abord dans la trilogie La condition de l’homme, puis surtout dans son Harakiri (seppuku en v.o), grand prix du festival de Cannes en 1963, qui contait la révolte d’un samouraï puis sa vengeance. Lorsque vous évoquez cette dernière œuvre à Hirata, il s’enflamme. Lui, qui ne répond jamais ouvertement aux questions, qui refuse toute assimilation artistique au point de ne citer que des manuels scolaires comme sources d’inspiration, explose au son de nom Seppuku. « Je l’ai vu plein de fois, je l’ai adapté en manga… ». De toute évidence, le chef d’œuvre du plus rebelle des cinéastes japonais de l’après-guerre (et dont l’insoumission brûlera les ailes) a spécialement marqué l’apprenti mangaka. Il lui a ouvert une voie et donné une âme. De manga en manga, l’ancien prolétaire, qui s’excusait de la médiocrité de ses premiers dessins juste parce qu’il les savait produits à l’aide de crayons et de papier de mauvaise qualité, creuse désormais le sillon de la révolte. Et ses samouraïs, dépeints comme des guerriers esclaves et maîtres à la fois, deviennent les rouages clés d’un échafaudage hiérarchiques qu’ils peuvent abattre à tout instant. Dès lors, le geste héroïque n’est plus celui qui consiste à trancher en deux un alter ego surentraîné et armé jusqu’aux dents. Il devient le courage, pour ce gradé de haut rang, d’admettre sa condition d’esclave et de se révolter. "Mais alors, cette chose que vous appelez "Honneur du Samouraï" n'est finalement rien d'autre qu'une façade!" dénonçait le héros de Seppuku à un supérieur avant de le mettre en pièces lors d’un combat final. Evidemment, at-on envie de répondre à la lecture des  mangas d'Hirata.

Première partie d'une petite interview dans la suite, la fin sera postée avant la fin de la semaine.

Sur ces débuts : Avec ma mère et ma sœur à charge depuis la mort de mon père, je subsistais péniblement de mon métier de plombier. Jusqu’au jour où, rentrant du travail, je croise un ancien camarade d’école devenu dessinateur. Il me rappelle à quel point il appréciait mon dessin à l’époque, m’encourage à m’essayer au métier de dessinateur de bande dessinée en m’indiquant que, le manga devenant populaire, il y a de fortes chances que j’en vive mieux. Avec son soutien -il lui prêta les outils et le matériel nécessaire, présenta lui-même son travail à l’éditeur- je fus capable de commencer ma nouvelle carrière.

Sur ces premiers mangas :J’imitais comme tout le monde le style Osamu Tezuka. D’ailleurs, je n’avais aucune culture du media, à l’exception de quelques titres compulsés rapidement dans la salle d’attente du coiffeur. Je suivais les conseils de l’aîné (le sempai) qui m’avait introduit dans le milieu, lui aussi grand fan de Tezuka au point de porter comme son modèle un béret de travers. (voir le portrait ci-contre)

Sur ces influences : Comme mon soucis principal est le réalisme, je travaille le plus souvent avec des documents qui m’aident à approcher au plus prêt cette réalité. Je suis très bon client des libraires d’occasion (sourire intérieur de ma part), qui me guident précieusement dans mes recherches. D’ailleurs l’histoire de Satsuma, mon œuvre la plus connue (six volumes édités chez Delcourt), m’a été soufflée par l’un d’entre eux. En fait, dès que je dois aborder un nouveau titre, mon premier réflexe est de me diriger dans la région où va se dérouler l’action. Je m’installe alors dans les bibliothèques municipales et les librairies d’occasion pour compulser un maximum de documents historiques.

Sur son art : Souvent, l’on me fait des remarques sur mon dessin, notamment dès qu’il s’agit d’expliquer mes retards de livraison. Mais en fait, même si je dessine aujourd’hui moins vite qu’avant, ce n’est pas cette partie de la création qui me pose le plus de problème. Il m’est arrivé de dessiner plus de dix planches en une nuit. En revanche pour le scénario et le découpage, c’est bien plus ardu. Je dirais que 80% de mon temps de création est dévolu à l’écriture tandis que les 20% restant sont suffisant pour créer les images.

Sur son dessin :Pendant longtemps, la question a été de savoir si ce qui primait le plus dans l’acte du dessin était la qualité des outils ou la technique. Désormais je sais que ce n’est aucun des deux, c’est l’esprit.

Sur son message : Je ne suis pas un auteur à message, puisque cela m’obligerait à tronquer la réalité. En revanche, je choisi des sujets et des évènements historiques qui s’attachent à dépeindre la relation au pouvoir, qui questionnent les choix de nos dirigeants. Pensez-vous  que ces histoires du passé puissent susciter ce questionnement par rapport aux dirigeants d’aujourd’hui ? Oui, tout à fait.

Liens : l'interview copieuse et documentée de Julien bastide sur l'excellent site Du9