Violent cases de Mc Kean et Gaiman

 

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Pour nous tous, les aficionados, les tarés du comic book, leurs deux noms se prononcent avec respect et vénération... Il y a encore une douzaine d'années leur initiales pouvaient nous servir de signe de reconnaissance. Nous pensions à eux avec délectation en ayant la certitude de faire partie d'une avant-garde éclairée de connaisseurs... Dave Mc Kean et Neil Gaiman. Depuis ces anglais sont un peu mieux connus du grand public. Et c'est bien normal, tant ils font partie de ceux qui ont accompagnés la bande dessinée dans la fin de son adolescence. Mc Kean est reconnu comme grand manitou du graphisme, il a été consacré dans nos chauvines contrées il y a quelques années par une exposition à Angoulême. Nous avons pu y admirer ses talents multiples de photographe, de vidéaste et de peintre. Quant à Gaiman, sa fonction d'écrivain s'est ajoutée à ses activités de scénariste pour lui offrir une reconnaissance plus vaste. Il demeure par dessus tout celui qui a sauvé l'industrie du comic book en le trempant à la source de la mythologie et de la littérature par l'intermédiaire de la série Sandman.

Violent cases est le premier fruit (1987) de leur longue collaboration,  avant qu'ils ne deviennent mythiques. La lecture de ce récit, aujourd'hui que les horizons de la bande dessinée ont été considérablement élargis, n'est plus le choc thermo-nucléaire qu'il a pu représenter. Désormais il est courant de raconter en BD des histoires qui ne sont ni des farces, ni de l'aventure, ni des histoires de superhéros. De nos jours, il est courant de constater que la surface de la planche a éclaté, que les artistes utilisent des techniques mixtes pour travailler. Désormais débarrassé de son aspect innovant Violent cases vient d'être réédité en France par l'éditeur français de Gaiman, Au diable Vauvert. Et qu'est-ce qu'on retrouve ? Simplement une excellente bédé !

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Son titre étrange, que le traducteur rend par "les étuis à violents" dans le corps du texte, renvoit à cette image des étuis à violons dans lesquels les tueurs de l'époque de la prohibition étaient sensés transporter leurs mitraillettes... Est-ce que ça a déjà été fait réellement, où n'est-ce qu'un cliché, popularisé par les cartoons et les strips ? C'est tout l'intérêt de cette oeuvre que d'entremêler souvenirs, rêves et fantasmes. Le narrateur, qui ressemble furieusement à Gaiman jeune, nous relate ses souvenirs d'enfance autour d'un curieux ostéopathe qui aurait été celui d'Al Capone.

L'histoire elle-même serait sans portée aucune si elle n'était pas racontée dans la perspective de retranscrire l'impact des mots sur l'imagination enfantine. Le sujet c'est justement la création des images mentales. Il n'y a pas de bande dessinée qui ait mieux rendu la texture visuelle des souvenirs, la façon dont les figures  s'y déforment, s'amalgament et se disolvent. L'incroyable netteté de certains détails surnageant d'un océan de brume. Parallèlement, rarement scénariste aura trouvé des mots aussi justes pour retrancrire les associations d'idées et les peurs qui se forment dans la conscience sans repères d'une jeune existence. Le grand talent des auteurs c'est d'être parvenu à ce résultat en conservant une grande lisibilité, alors que tant de leurs successeurs, se risquant à de telles techniques et à de telles ambitions narratives, ont succombé à l'attrait d'un maniérisme surchargé et fastidieux. Le dessin de Mc Kean ne cherche pas à se démarquer des mots de Gaiman, au contraire, il les épouse. Ils forment un tout. On ne sait plus lequel est le commentaire de l'autre.  La planche et le texte fonctionnent donc comme un couple idéal. Par leur association, les auteurs nous offre un cadeau, ils nous réapprennent le sens de l'imagination : former des images à partir des mots. Quelle meilleure définition de la bande dessinée ?

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Détails techniques : La traduction (signée Michel Pagel) est la même dans cette nouvelle édition que dans l'édition Zenda de 1992 . Elle semble toujours très bien. On perd la préface d'Alan Moore mais on en gagne une de Gaiman lui-même. Les deux sont intéressantes. Les collectionneurs pourront parfois trouver chez nous l'édition Zenda qui, outre sa préface par le Maître de Northhampton, a le mérite d'être cartonnée (le prix aussi cartonne : 35 €).