Publications dans Juin 2006
Le moe à la mode
 

Lorsque le mot est moe, peut-on se permettre de faire des jeux sans passer pour un méprisant scribouillard?

Moe est  le nouveau mot à la mode dans l’archipel.Littéralement il signifie «bourgeon en floraison» etsécrit en japonais à l’aide du kanji moeru, (caractère chinois utilisé généralement pour désigner le verbe «s’enflammer»). Le terme fut en effet l’un des néologismes le plus utilisé au Japon en 2005, si l’on en croit certaines instituts de sondages japonaises. Signe important de cette tendance, de prime abord réservé exclusivement aux mondes clos des otaku, le terme passe désormais dans le langage courant. Plus de 30% des japonais avouent désormais connaître ce mot, et le pourcentage s’accroît grandement lorsque l’on réduit les classes d’âges des sondages au moins de trente ans. Intriguant non ? Alors qu’est ce que le moe ?

Un concept encore flou, qui désigne à la fois une pseudo-relation sentimentale avec une icône virtuelle, plutôt impubère et féminine, le fétichisme pour les figurines dérivées de ces personnage, mais aussi le courant esthétique très spécifique utilisée pour générer ces dites icônes.La passion amoureuse n’y est pas exclue du moe, mais n’en est pas vraiment le cœur et s’exprime de façon minoritaire. Non, le sentiment du moe se développe plutôt autour de la fraternité protectrice, celle d’un grand frère humain à une petite sœur fantasmée, et semble plus destinée à palier le manque affectif et la solitude de l’otaku qu’à assouvir une sexualité imaginaire.

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Devant l’explosion phénoménale du mouvement et sa forte convergence vers un type unique de physionomie, le moe s’est aussi rapidement transformé en une tendance esthétique, qui domine radicalement ces derniers temps dans le monde de l’otaku. Certains disent d’ailleurs qu’aujourd’hui, il ne fait pas bon se promener à Akihabara, quartier de prédilection des otaku, si l’on n’est pas dans le moe. Alors, à quoi reconnaît-on le moe ?

Si l’on part du schisme esthétique originel qui remonte au milieu des années 80, le moe s’oppose à Nausicaa, personnage de Hayao Miyazaki, dont les descendants modernes peuvent aussi bien être les petite filles qui continuent d’emplir les longs métrages animés du maître (Chihiro par exemple), comme la commissaire Motoko Kusanagi de la série Ghost in the shell, ou la Angel Heart de Tsukasa Hojo. L’esthétique moe dérive des personnages tels que Urusei Yatsura. Et ses descendants modernes sont plutôt Sailor Moon, le personnage culte de Rei dans la série Evangelion, ou encore plus récemment toute la galerie de protagonistes féminins des séries Negima et Love Hina de Ken Akamatsu.

 
Nausicaa et la vallée du vent
 

Après les vacances, les pannes, les bouclages et autres …Guess Who's back ? comme dirait Eminem.

Pour fêter l'annonce de la sortie cinéma en France du tout premier long métrage d'animation personnel du génie de l'animation Japonaise Hayao Miyazaki, voici un petit film sympathique pour mettre en bouche. C'est au Japon, et encore une fois ça atteste de cet incroyable mélange de naïveté poétique, de folie et de passion dont il me semble seuls les japonais sont capables (hors coupe du monde de foot bien entendu).PS: Pour ceux qui ne connaissent pas, l'aile ici présente est une reproduction du véhicule de Nausicaa, jeune princesse vivant dans le futur au cœur d’une paisible vallée baignée de vents violents -ce qui la protège de cette mortelle pollution qui a envahi la planète et écrase le monde. Contrairement au film d’animation, le modèle reproduit au Japon n’a pas de moteur, mais cela ne saurait tarder.moteur mais ça ne saurait tarder

 
Petıte panne
 

Internet bıen sur...

La connexıon du magasın est en panne depuıs maıntenant quelques jours, un des deux zouaves est en Turquıe pour la semaıne, donc c'est le sılence radıo un peu force sur le blog.

Maıs pas pour longtemps.

Tout devraıt cependant rentrer dans l'ordre très vıte.  Mardı au plus tard. pas d’inquietude donc.

S''ıl n'y a pas d'accent dans cette note, c'est qu'ıl n'y en a pas sur les clavıers qwerty de la Turquıe.

PS: Arnaud de Pulp's tıent pas le soleıl, bronze rouge, et les Turcs n'arretent pas de luı dıre pour le saluer  Bye Bye , je t'aıme un peu... je t'aıme aujourd'huı... non?  

Verıdıque 

 
Panini vainqueur
 

Des gros mots, du sexe, du sang et de la cervelle...Ahhh, Ils reviennent enfin

Fin des turpitudes qui animaient le monde de l'import de comic book. Depuis quelques mois maintenant les droits français de toutes les séries Vertigo, éditeur américain plutôt focalisé sur le lectorat adulte, étaient bloqués suite à des procès, cafouillages et autres embrouilles entre les différents éditeurs français, Semic, Delcourt, et Panini.

C'est Panini qui au final rafle la mise, et reprendra l'édition de ce que l'on peut sans aucune gène qualifier de meilleures séries américaines en cour. Y le dernier Homme, Sandman, Preacher, 100 bullet, Planetary... que du très bon.

Il n'y a plus qu'à espérer que, pour une fois,  il sélectionne un traducteur qui connaisse les règles élémentaires du français, et je ne parle même pas d'orthographe.

 
Cadeaux Bonux
 

Il court il court, le furet...

Aujourd'hui sort la bande dessinée L'Homme qui s'évada aux éditions Actes Sud, adaptation des reportages Au bagne et L'homme qui s'évada d'Albert Londres réalisée par Laurent Maffre. Un des meilleurs livres du mois. Pour accompagner la sortie, vous trouverez sur le compte Flickr du magasin le dessin de couverture en format large. Il est à tomber par terre et en jette un max en papier peint de bureau. Ensuite, et en exclusivité pour notre blog, le jeu de l'oie de la liberté. Un complément dessiné pour l'occasion, qui fera peut-être un jour un somptueux ex-libris collector, mais qui aujourd'hui n'est disponible nul part ailleurs qu'ici... Deux exclusivités, des livres et des dessins de grande qualité, un jeu mortel. Le Aaablog, c'est plus ce que c'était, mais c'est presque mieux... bon, pour accompagner l'événement, la critique de mon ami Julien Welter dans la suite, qui paraîtra dans Score (Je tiens à dire qu'il lit très peu de bande dessinée même s'il adore ça. Donc son point de vue de profane en dit long sur l'accessibilité du livre).

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Avant tout, il y a l’œuvre d’Albert Londres. Son récit du drame vécu par Eugène Dieudonné accusé par des autorités en manque de suspect d’être un complice du gangster-marxiste Bonnot. Gracié par un Président Poincarré peu convaincu de sa culpabilité, il évitera rapidement la guillotine. L’histoire aurait pourrait s’arrêter là, à cette simple erreur judiciaire. Sauf que la bonté présidentielle l’envoie à Cayenne, au bagne. C’est donc peu après ce prologue que le livre s’enclenche en deux temps. La visite de Londres dans cette prison et la constatation effarante que l’humanité a déserté les lieux ; puis l’évasion de l’innocent voulant à tout pris reprendre sa liberté. Une construction simple dotée d’un titre évacuant toute tentation de suspense. Parce que l’enjeu est ailleurs, dans la description. Et à cet exercice, le trait de Laurent Maffre prend toute son importance. Sa façon de croquer les gueules sales, les figures haineuses et les faces de salauds qui composent cette fange ignoble et repoussante. Réinterprétant les cases, travaillant les tatouages corporels évoquant les tourments des bagnards, s’acharnant par le détail à donner une idée de l’enfer, il arrive avec cette œuvre au même niveau de puissance que le PAPILLON de Schaffner. Peu importe alors que l’originalité de son dessin ne frappe pas immédiatement. L’esprit critique qu’il contient se diffuse lentement à chaque coup d’œil jeté.

J.W

L’Homme qui s’évada, de Laurent Maffre, Actes Sud BD, 22€.

 
Jules de Emile Bravo
 

Le classique a encore de beaux jours devant lui.

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Si la parenté ne saute pas à l’œil, depuis le décès de Chaland, seuls Emile Bravo et Franck Le Gall peuvent prétendre épouser le classicisme franco-belge des maîtres tout en le travaillant au corps pour se l’approprier et lui donner de beaux éclats de modernité. Une forme de rigueur et de subtilité rare les unit dans l’innovation pour mieux les distinguer dans l’exploitation. C’est ainsi que depuis Les jalousies l’année dernière, il n’y aque ce nouvel et cinquième épisode de Jules pour réveiller les sensations herméneutiques de l’enfance sans imposer la stagnation qui éprend à la lecture des nombreuses photocopies de Spirou qui encombrent les étals -certes respectueux des codes et des formes dont mais l’absence d’innovation a toujours rendu les projets routiniers et vains. C’est donc avec un plaisir certains que le fan que je suis découvre aujourd’hui un rapprochement dans les thèmes. Avec ce nouvel opus, Théodore Poussin et Jules partagent désormais la même route et la même galère, celles du pèlerinage sur les eaux à la recherche de réponses sur l’identité du papa. Seulement même dans le traitement des fondamentaux freudiens, les deux hommes ont leurs manières.

Celle de Bravo est d’épouser le rythme des premiers Tintin de Hergé. L’aventure y est constituée d’une dizaine de plus courtes, saynètes de peu de pages qui transportent l’album de richesse et de cadence. Le cauchemar d’ouverture assène d’ailleurs immédiatement la maestria narrative, et par réverbération le plus juste des messages d’avertissement aux mauvaises tendances modernes : nul besoin d’envahir les quarante-huit pages d’un volume pour vaguement mettre en place une intrigue,lorsque deux suffisent à raconter une histoire géniale. Suivent ensuite une scène de chasse hilarante, une séance cinéma catastrophe, une rencontre du troisième type, et une croisière qui s’amuse pas tant que ça. Presque dix albums d'une série de Corbeyran réunis en un seul, en mieux, et pour un prix défiant toute concurrence. allez range ton Stryge.

 
Pedro et moi de Judd Winick
 

Nous allons nous faire de nouveaux amis

par Vlad

Les gens mélangent tout. Pourtant, l’art et la communication c’est pas la même chose. Ça peut se confondre parfois, mais c’est pas pareil, sinon il y aurait un seul mot pour le dire. Par exemple est-ce que ça vous viendrait à l’idée de dire que telle ou telle édition du JT de 20 h était un chef d’œuvre ? Non personne ne se dit ça. A part peut être quelques techniciens pointus. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de dire que tel ou tel tract glané en manifestation est une œuvre incontournable ? Non personne ne se dit ça. A part peut-être deux trois trotskistes pointus. D’une manière générale, pour le domaine des films et de l’écrit, les différences entre la communication et l’art sont bien comprises. Pourquoi donc, alors, tout le monde est-il frappé de cécité lorsqu’on aborde la bande dessinée ?

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Car la bande dessinée est un médium, un moyen d’expression, et avec on peut faire ce qu’on veut. De l’art, du distractif, de l’info (ou de la désinformation), ou tout ensemble. En tant que lecteur il suffit juste de ne pas confondre, de savoir à quoi on a affaire.

Il se trouve que beaucoup de lecteurs, de critiques et de libraires s’extasient depuis peu sur un livre extrêmement médiocre et, à force, ce concert d’éloges immérités fini par me taper sur le système. Le titre de ce livre édité chez Çà et là c’est Pedro et moi, d’un certain Judd Winick.

C’est un récit à caractère autobiographique dans le sens où il relate des événements vécus, ou plus précisément il parle de quelqu’un que l’auteur a connu. Judd Winick est un jeune étasunien. Au début des années 90 il a participé à une émission de télé réalité à San Francisco. Un genre de Loft nommé Real World. Là il a rencontré celle qui sera sa future femme et un nommé Pedro. Ce gars-là avait le SIDA. Judd et Pedro sont devenus amis. Pedro s’occupait avec opiniâtreté de la prévention contre la transmission de sa maladie. Pedro s’est battu, puis il est mort. C’est triste. Donc Judd il nous raconte ça et tâche par la même occasion de reprendre le combat de son ami. Son livre coûte 23 € pour environ 180 pages en noir et blanc. Sur ce prix, 1 € est reversé à Sidaction…

Somme toute un bouquin qui a de bonnes intentions, et dont on n’a pas envie de dire du mal. Sauf que de bonnes intentions et de bons sentiments ne ne font pas un bon livre.

Moi je le trouve très mauvais. Je m’explique succinctement ci-dessous …

1) Quiconque souhaite s’informer des risques du SIDA et de ses effets n’en apprendra rien de plus que dans n’importe quelle plaquette gouvernementale ou associative. En ce sens, avec ses digressions bavardes et son sentimentalisme ce livre est moins efficace qu’un tract ou qu’une conférence. L’argument qui pourrait être présenté pour le défendre sous l’angle de « c’est en bd pour toucher les gens qui ne s’informent pas » n’est pas recevable : le livre adopte la présentation d’une production « indépendante » qui n’est pas conçu pour attirer le grand public. C’est épais, verbeux et terne.

2) C’est en effet atrocement mal dessiné, sans aucun souci de composition, avec des personnages interchangeables et des expressions stéréotypées. Avant de passer à la télé, l’auteur avait essayé de devenir bédéaste. Il n’y était pas parvenu. A voir ses dessins, on comprend pourquoi.

3) Sans la téléréalité pour faire connaître l’auteur, ce bouquin n’aurait jamais été publié ! C’est un peu comme si Loana avait écrit un livre… Ah… Ma grand-mère me dit qu’effectivement Loana a écrit un livre…

4) Ce récit n’échappe pas aux défauts hagiographiques de l’éloge funèbre : c’est toujours les meilleurs qui partent… Alalah ! Il était tellement parfait, et courageux et tout et tout. Un modèle pour nous tous, un petit saint. Même que quand Clinton a su que Pedro était mourant, il a lâché Monica, et il lui a passé un coup de fil. Et quand Pedro est mort le président a même ouvert les frontières à sa famille cubaine. Ils ont pu obtenir le statut de réfugiés politiques ! Car Pedro était un bon gars qui faisait des études et était bien intégré. God bless America ! Vendre du papier en faisant pleurer sur la mort de quelqu’un c’est puant. C’est un peu comme si la mère de Marie Trintignant avait écrit un livre… Ah… Ma grand-mère me rappelle que Nadine Trintignant a écrit un livre.

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5) Enfin il est intolérable desaccager une histoire pareille. Ce Judd Winick participe à une méga émission de TV réalité. C’est pas donné à tout le monde. Du jour au lendemain il devient connu. Personne ne voulait de ses bédés et après tout le monde en veut. Il se prétend créateur, donc observateur, et il a l’occasion de faire une super autobiographie et de mener une super réflexion sur la célébrité, la réussite et la notion de mérite… Et de toute cette belle matière... il ne fait rien. Impardonnable.

Les chefs d’œuvre que sont les Pilules Bleues et Maus ne doivent pas leur succès et leur renommée qu’à leur sujet bouleversant. Leur narration aussi est bouleversante. Art Spiegelman et Frederik Peeters rendraient même un caillou émouvant.

Ceux qui veulent vraiment aider la lutte contre le SIDAdevraient plutôt que d’acheter ce livre verser directement 23 € à une association spécialisée comme AIDES ou ActUp. Moi je suis un connard aigri et insensible, mais quand j’ai envie de pleurer un bon coup je regarde La petite maison dans la prairie, je lis pas Voici ! Enfin à l’heure où il est fréquent de pirater des disques pour pouvoir mieux payer des sonneries de portables il ne faut s’étonner de rien.

...

PS (7 juin 2006) : La couverture de l'édition américaine, trouvée sur le site de Winick, ne cherche pas, elle, à nous faire passer le bouquin pour autre chose qu'un sous-produit télévisuel.

 
L'écriture féminine et Persépolis
 

« Je ne crois pas à cette thèse selon laquelle les femmes écrivent différemment des hommes », a dit Marjane Satrapi dans une interview donnée à Michel Edouard Leclerc.

Tout faux ai-je envie de dire à cette charmante artiste qui me semble dès lors n’avoir qu’une vue limitée sur sa propre création. Comme tous les artistes en fait.  En effet, Persépolis fait montre de toutes les caractéristiques de l’écriture féminine reperées dans la littérature intime et les récits de vie. Après, si les théoriciens littéraires et poétiques inspirés par le "fait littéraire" ont faux, forcément moi aussi. Mais soyons positif et partons de l’hypothèse qu’ils ne disent pas que des conneries, et n'ont pas biaisé leur corpus. 

Cet article fait suite à une première analyse des couvertures de Persépolis

1) Persépolis et les théoriciens…

Partons déjà d’un constat : S’il est vrai qu’il n’est jamais évident, voire même pertinent, de traiter de manière théorique l’écriture féminine, dans la pratique, la critique littéraire trouve légitime de réunir dans un même volume des études portant sur des textes aussi différents que la Princesse de Clèves ou Le Ravissement de Lol V. Stein deMarguerite Duras, concluant qu’il existe une parenté que l’on ne trouverait pas dans les écrits d’hommes. Béatrice Didier, plus particulièrement dans ses études Le journal Intime et L’Ecriture-Femme, suggère à plusieurs reprises quatre inclinaisons chez la femme qui semblent admises par la critique littéraire moderne. Attention cependant, il ne s'agit pas de définir une essence de l'écriture féminine, immuable, mais plutot de comprendre si la condition de la femme, qui d'après ces critiques a une forme d'influence reconnaissable sur le processus d'écriture dans une majorité de cas, est visible dans Persépolis.

1.1)L’écriture intime masculine serait volontiers égocentrée tandis que l’écriture intime féminine serait davantage relationnelle. Les femmes se définiraient donc plus facilement à travers le canevas plus large de leurs relations aux autres, et non à travers une recherche introspective et une analyse de soi.

     1.2)Les «lignes de forces communes» qui permettent de reconnaître un écrit féminin proviendraient, au moins en partie, d’une certaine situation de la femme dans la société. Une situation fort variable certes, mais particulièrement pertinente dans le cas d’autobiographies célèbres telles que Marguerite Yourcenar, Gisele Pineau, Assia Djébar ou Leila Sébar…

     1.3)Néanmoins, l’écriture féminine semble presque toujours le lieu d’un conflit entre le désir violent d’écrire et une société qui manifeste à l’égard de la femme soit une hostilité systématique, soit «une forme atténué, mais plus perfide encore, qu’est l’ironie ou la dépréciation»

1.4)« les femmes aiment à écrire leur enfance» dit-elle, avant de développer que cette qualité leur a été bien souvent reprochée. Et qu’il existe deux obstacles au récit d’enfance encore plus difficiles pour la femme à surmonter : le dégagement d’un intérêt concret pour cette période de l’existence considérée comme futile, plus encore son souvenir ; et le courage d’aborder la découverte de la sexualité, plus particulièrement de sa sexualité et de son éveil.

Je crois sincèrement que l’on peut dire sans effarement que ces quatre caractéristiques de l’écriture féminine sont manifestes dans l’œuvre de Marjane Satrapi. Le récit d’enfance, l’éveil à la sexualité, la position de cette femme dans une société musulmane en voie d’intégrisme… sont autant de thèmes à l’origine de son introspection. Si dans l’autobiographie, l’écrivain homme est confronté avec ce qu’il a à dire ; dans Persépolis, Marjane fait, en plus de cela, face à la transgression religieuse fondamentale qu’est le seul fait d’écrire et de prendre la parole, à l’instar d’auteurs comme Assia Djébar ou Leila Sébar dont les œuvres autobiographiques sont toutes entières dédiées à ce thème.

2) Et le dessin dans tout ça…

Je pense que le dessin est la preuve la plus flamboyante de l’écriture féminine chez Marjane Satrapi (pas de commentaire facile sur féminité et simplicité svp). Ceux qui s’intéressent un tant soit peu aux autobiographies en bande dessinée auront remarqué l’égocentrisme marqué des auteurs, dans cet acharnement des hommes à créer une icône de soi détaillée, reconnaissable, et capable de produire un discours identitaire. Lewis Trondheim ou Art Spiegelman et leur anthropomorphisme ou le réalisme de Neaud… la stylisation est le moteur le plus pratique pour créer un personnage qui ressemble à soi, et qui parle de soi. Il n’y aucune de ces volontés chez Marjane. Sa représentation n’a pas vraiment d’autres sens que la représentation, de montrer qu’elle est là. Tout au contraire, elle exprime violemment le besoin des autres pour se raconter.

Et au lieu de charger de détail son visage afin que le lecteur identifie son personnage, Marjane préfère utiliser la case pour s’extraire de ses camarades voilées. Et ce dès la première page du premier volume, où ce que les critique appellent l’espace inter-iconiques (la bande qui sépare les cases) devient littéralement une ligne de démarcation. Plus loin, les scènes de foule, synthèse des bas reliefs iranien et du graphisme de l’enfance, permettent à son autoreprésentation simpliste d’être parfaitement identifiable tout au long des albums, sans jamais avoir recours à la stylisation égocentrique. Marjane ne se définit graphiquement que « par rapport aux autres ». Une démarche qui rejoint complètement les problématiques de l’écriture féminine comme celle de l’indétermination de l’enfant dans la plupart des récits d’enfance.

Entre spontaneïté et lisibilité des commentaires, pour une fois j'ai choisi la lisibilité. Une démarche généralement contraire au Blog. Mais une trop mauvaise communication entre Ronald et moi avait poluée le débat qui suit, intérressant. Du coup, j'ai coupé certains commentaires. Pas de censure, toutes les parties sont d'accord; les idées sont conservées mais c'est bien plus clair ainsi. J'espères que cela ne pertubera pas trop votre lecture.

 
Violent cases de Mc Kean et Gaiman
 

Voir les mots

Pour nous tous, les aficionados, les tarés du comic book, leurs deux noms se prononcent avec respect et vénération... Il y a encore une douzaine d'années leur initiales pouvaient nous servir de signe de reconnaissance. Nous pensions à eux avec délectation en ayant la certitude de faire partie d'une avant-garde éclairée de connaisseurs... Dave Mc Kean et Neil Gaiman. Depuis ces anglais sont un peu mieux connus du grand public. Et c'est bien normal, tant ils font partie de ceux qui ont accompagnés la bande dessinée dans la fin de son adolescence. Mc Kean est reconnu comme grand manitou du graphisme, il a été consacré dans nos chauvines contrées il y a quelques années par une exposition à Angoulême. Nous avons pu y admirer ses talents multiples de photographe, de vidéaste et de peintre. Quant à Gaiman, sa fonction d'écrivain s'est ajoutée à ses activités de scénariste pour lui offrir une reconnaissance plus vaste. Il demeure par dessus tout celui qui a sauvé l'industrie du comic book en le trempant à la source de la mythologie et de la littérature par l'intermédiaire de la série Sandman.

Violent cases est le premier fruit (1987) de leur longue collaboration,  avant qu'ils ne deviennent mythiques. La lecture de ce récit, aujourd'hui que les horizons de la bande dessinée ont été considérablement élargis, n'est plus le choc thermo-nucléaire qu'il a pu représenter. Désormais il est courant de raconter en BD des histoires qui ne sont ni des farces, ni de l'aventure, ni des histoires de superhéros. De nos jours, il est courant de constater que la surface de la planche a éclaté, que les artistes utilisent des techniques mixtes pour travailler. Désormais débarrassé de son aspect innovant Violent cases vient d'être réédité en France par l'éditeur français de Gaiman, Au diable Vauvert. Et qu'est-ce qu'on retrouve ? Simplement une excellente bédé !

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Son titre étrange, que le traducteur rend par "les étuis à violents" dans le corps du texte, renvoit à cette image des étuis à violons dans lesquels les tueurs de l'époque de la prohibition étaient sensés transporter leurs mitraillettes... Est-ce que ça a déjà été fait réellement, où n'est-ce qu'un cliché, popularisé par les cartoons et les strips ? C'est tout l'intérêt de cette oeuvre que d'entremêler souvenirs, rêves et fantasmes. Le narrateur, qui ressemble furieusement à Gaiman jeune, nous relate ses souvenirs d'enfance autour d'un curieux ostéopathe qui aurait été celui d'Al Capone.

L'histoire elle-même serait sans portée aucune si elle n'était pas racontée dans la perspective de retranscrire l'impact des mots sur l'imagination enfantine. Le sujet c'est justement la création des images mentales. Il n'y a pas de bande dessinée qui ait mieux rendu la texture visuelle des souvenirs, la façon dont les figures  s'y déforment, s'amalgament et se disolvent. L'incroyable netteté de certains détails surnageant d'un océan de brume. Parallèlement, rarement scénariste aura trouvé des mots aussi justes pour retrancrire les associations d'idées et les peurs qui se forment dans la conscience sans repères d'une jeune existence. Le grand talent des auteurs c'est d'être parvenu à ce résultat en conservant une grande lisibilité, alors que tant de leurs successeurs, se risquant à de telles techniques et à de telles ambitions narratives, ont succombé à l'attrait d'un maniérisme surchargé et fastidieux. Le dessin de Mc Kean ne cherche pas à se démarquer des mots de Gaiman, au contraire, il les épouse. Ils forment un tout. On ne sait plus lequel est le commentaire de l'autre.  La planche et le texte fonctionnent donc comme un couple idéal. Par leur association, les auteurs nous offre un cadeau, ils nous réapprennent le sens de l'imagination : former des images à partir des mots. Quelle meilleure définition de la bande dessinée ?

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Détails techniques : La traduction (signée Michel Pagel) est la même dans cette nouvelle édition que dans l'édition Zenda de 1992 . Elle semble toujours très bien. On perd la préface d'Alan Moore mais on en gagne une de Gaiman lui-même. Les deux sont intéressantes. Les collectionneurs pourront parfois trouver chez nous l'édition Zenda qui, outre sa préface par le Maître de Northhampton, a le mérite d'être cartonnée (le prix aussi cartonne : 35 €).