Etymologie de l'Otaku

 

Mais d'où viennent tous ces geeks?

Par Stéphane

Otaku –que l’on peut traduire littéralement par « ta maison »- est un mot dérivé des habitudes des populations japonaises imprégnées de culture populaire. Dans ces groupes, - généralement dépeints comme des comités d'autistes vivant habillés en noir et lisant jour et nuit Karl Mar... ah non, merde, ça c'est Vlad... reprenons, autistes entourés de mangas, jeux vidéos, statues de filles nues et autres couillonades nippones (une peinture pas trop loin de la réalité ceci dit)-, les membres s’appellent entre eux à l’aide de la désignation Otaku au lieu d’utiliser les patronymes personnels. Le mot «maison» symbolise alors pour eux, non un quelconque sens de la famille ou même lien du sang, mais l’objet en lui-même, sa structure physique et son espace habitable. Cependant, le mot n’est pas exclusif à la culture populaire, si l’on en croit la célèbre critique japonaise Mari Kotani, qui s'est longuement penchée sur le sujet et dont est tiré le résumé qui suit.

D’après elle, le mot Otaku pénétra le vocabulaire des enfants de la culture populaire par le biais de leurs mères, femmes au foyer à plein temps dont l’existence fut définie par les maigres et uniques rôles d’épouse et de mère. Toi aussi, viens lire la suite et comprendre pourquoi tu bloques et tu débloques...

Ps: merci au site gauze.free.fr pour la photo

 Au début des années 60, le gouvernement japonais favorise l’expansion économique au détriment de la protection de la culture et des traditions nationales. Ce choix politique mène, rapidement, à la dissolution des usages de la vie en communauté, éloignant de nombreux individus de leurs familles – qui sont à cette époque de très grands groupes, constitués de plusieurs générations, vivants selon des habitudes et des traditions spécifiques à leur région d’habitation. Isolés pour la première fois, ces nouveaux japonais migrent dans les villes à la recherche d’emplois, et forment un nouveau type de cellule familiale que les sociologues dénommèrent par la suite « la famille nucléaire » -unité familiale restreinte constituée uniquement de « papa, maman, et moi ».  

L’inhospitalité de l’environnement urbain, où les terres sont rares et onéreuses, ne laissent à ces "familles nucléaires" que deux options pour se loger : acheter un terrain en lointaine banlieue pour y construire une petite maison dans leurs moyens, où vivre dans un danchi -complexe immobilier qui s’apparente dans notre société aux immeubles HLM (Souvenez-vous de la cité dans Rêves d'enfants D'Ôtomo Katsuhiro). Ainsi, de nombreuses familles choisissent la première option, déclenchant la plus grosse explosion démographique que va connaître la banlieue tokyoïte.

 

Dans ces foyers d’un nouveau type, les maris partent très tôt, le matin et en train, pour franchir l’immense distance qui les sépare de leur lieu de travail. Piégés par des crédits de plusieurs dizaines d’années, ces hommes restent tard le soir pour de nombreuses heures supplémentaires.

 

Pendant ce temps, dans ces cités pavillonnaires de banlieue comme dans les danchi, les femmes sont constamment seules, leurs maris enfermés au travail et leurs enfants la plupart du temps à l’école. Très vite, elles commencent à soulager leur solitude en nouant de relations fortes, presque intimes, avec leur voisinage, constitué principalement, comme vous vous en doutez, de femmes dans la même situation. Un mot se popularise alors, pour parler de ces fréquents rapports : Otaku. Confinées dans ces cités pavillonnaires ou dans ces HLM, on peut assister à ce genre de conversation :

 

« Otaku a récemment acheté une télé couleur ? Et Taku pense aussi à acheter un réfrigérateur… »

 

Ici, Otaku fait référence à une autre femme au foyer (le O étant un préfixe honorifique), et taku à soi-même. Utilisant à tout va ce pronom ne se référant à personne, les femmes se vantaient les unes les autres de la réussite matérielle de leur famille tout en construisant un tissu de relations humaines et fragiles.

 

En contrepartie, imitant l’absence de rapports entre leurs parents, les enfants très vite commencèrent eux-mêmes à s’éloigner, privilégiant les rapports avec les camarades d’écoles vivants dans la même situation, avec lesquels ils partagent les passions pour la télévision et les magazines jeunesse. Leur chambre se remplit de manga, anime, tokusatsu… tout une foule d’objets incarnant cette nouvelle culture populaire que leurs parents ne comprennent pas, et dont il sont exclus.

 

Voila comment, de la femme abandonnée, le mot Otaku s’est déplacé comme un héritage aux enfants des « familles nucléaires », symbolisant leur solitude, leur repli et leur amour inconditionnel pour la culture populaire issue de cette période de folle course à la réussite économique.