mickey mickey de Mezzo et Pirus
Une violence immobile
Après Reservoir Dogs, le polar n'a plus été le même.
Ça ne veut pas dire que Tarantino ait été l'inventeur du "néo-polar".
Quelque chose devait être dans l'air. D'ailleurs le tome 1 des Désarmés de Mezzo et Pirrus était sorti avant.
En revanche mickey mickey (Delcourt, 1997) dont je vais parler aujourd'hui est sorti après. Ce sombre joyau fait indéniablement penser au célèbre film et pourtant il s'en démarque par sa radicalité esthétique.
( Attention : cette notule révèle des éléments de l'histoire).
La scène d'ouverture de mickey mickey présente la même situation que celle de Reservoir Dogs : autour d'une table, des truands discutent. Deux différences notables néanmoins : chez Mezzo et Pirus, on sait dès le départ qu'ils sont vraiment barges et, en revanche le point de vue, lui, est résolument calme : c'est un plan fixe là où Quentin faisait tournoyer sa caméra.
L'ellipse qui nous conduit à l'après foirage du casse est une scène très tarantinienne, avec un homme qui agonise, son sang se répandant au fur et à mesure de l'action. L'utilisation des flash-backs est une autre similitude, sans oublier l'otage dans le coffre de voiture. Sauf que les Français ont encore une fois épuré... Pourquoi déplacer les truands ? La banque c'est très bien comme décor !
Dans mickey mickey il n'y a que deux lieux, la banque et la planque dont on ne voit que le bord de la piscine et le garage attenant. Deux ellipses narratives importantes structurent le récit. Or ce sont les réelles scènes d'action que les auteurs ont supprimées : le casse et la fuite. Là où Tarantino le strip-teaser ne résistait pas à la tentation des flash-backs pour nous donner à voir l'action, Mezzo et Pirus n'en montrent que les traces : traînées de sang sur le sol, chaise renversée : au lecteur de reconstituer la trame.
On pourrait parler ici d'une esthétique de la violence statique par opposition aux "chorégraphies" des films d'actions : statisme des cadrages ; violence de l'agonie tout en lenteur de Max, tandis que les poissons de l'économiseur d'écran défilent ; statisme d'une réclusion parfois double (Susan, bouclée dans les chiottes au sein de cette banque où ils sont tous coincés).
La violence statique est une violence qu'on ne montre pas en acte, mais dont on constate les résultats. On voit les corps, les blessés, mais on ne voit pas Max se prendre sa balle, on ne voit pas l'extincteur écrabouiller la tête de Mickey le jeune. Certes, on voit Buzz tirer la seconde balle dans la jambe de Miguel, mais en si gros plan que l'image en devient presque abstraite (p.24). Lorsque Max dégomme le flic du plafond, il y a justement le plafond, qui fait écran entre le tueur et la proie (pp. 40-41, magnifiques). On m'objectera que page 25 on voit Buzz flinguer Mickey le jeune et que page page 44 on voit en partie gicler la tête du flic. Cela est vrai ; en fait la violence statique ne réside pas que dans l'ellipse ou le hors-champ. L'esthétique de Mezzo et Pirus peut montrer les éclaboussures de sang, mais ne montre pas de mouvements rapides, pas de déplacements graciles, pas de ralenti nous montrant la beauté des corps en mouvement... car si on examine les deux exemples cités ci-dessus on s'aperçoit que dans les deux cas Buzz liquide des hommes quasiment morts et en tous cas allongés, que se soit au sol ou... au plafond !
Loin d'être un album magistral (la narration y est tout de même un peu alambiquée) mickey mickey peut apparaître comme un manifeste esthétique. Comme si les auteurs avaient souhaité épurer le néo-polar dont ils auraient anticipé les dérives futures, tout en se faisant une bannière éclatante de la plus grande des contraintes bédéïque : l'immobilité.
Des chemins artistiques se sont croisés. Tarantino allant vers la prouesse érudite déshumanisée qu'est Kill Bill et les Français vers le chef d'œuvre cosmique qu'est Le roi des mouches, dont il faudra absolument reparler dans ce blog.