Publications dans Novembre 2012
EN ROUTE POUR LA V.A.D.
 

 Une nouvelle concession au modernisme.

"Ainsi le numérique apparaît comme la fin de la bibliothèque personnelle, vécue comme démarche intellectuelle, témoignage culturel, refuge du souvenir ou labyrinthe secret, en un mot comme reflet de soi. Le numérique fait perdre son objet à cette patiente construction où chaque livre a sa place et son histoire : toutes les collections sont immédiatement possibles, donc aucune n'a plus de sens."Jean Sarzana (et Alain Pierrot) in Impressions numériques, Cerf, Paris 2011.

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En attendant l'effectivité de ces joviales prédictions il reste un peu de temps devant nous pour vendre du papier. C'est dans cette optique que nous ouvrons aujourd'hui notre site de Vente à distance (VAD).

L'ouverture de ce secteur ne correspond pas chez nous à une volonté de repli. Nous continuons à privilégier la vente en librairie et le contact direct avec les clients. Nous restons attachés à la création d'un espace complexe au rangement fluctuant, aux nids de poussière indélogeable, à l'éclairage intermittent, aux rayonnages surchargés et parfois branlants, arpentés par des passionnés, des vagabonds, des maniaques, de simples passants ou même de courageux chapardeurs en quête d'un forfait, bref ce lieu à l'ambiance si particulière qu'on appelle librairie.

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Cependant nous avons pris en compte le fait que de nombreux clients potentiels n'habitaient pas tout près et se désespéraient de ne pouvoir nous acheter ces excellents Wimbledon Green de Seth ou ces formidables Jack B. Quick d'Alan Moore, ou encore ce magnifique pack 3 tomes de Garth...

De plus je soupçonne que certains amateurs de bande dessinée aimeraient bien nous acheter des livres, mais sont rebutés par l'idée de venir à la librairie car ils pourraient y entendre Stéphane et ses amis théoriser sur les tendances hype du neuvième art tout en mangeant des bo buns : ... atroce.Désormais c'est un problème qu'ils n'auront plus : tout le monde peut dès maintenant nous acheter des livres à distance sur www.aaapoumbapoum.com/boutique, le contrepoint commercial de notre blog totalement désintéressé, lui. Paiement sécurisé par notre banque, ou par Paypal. Nous acceptons même le paiement par chèques, ce système si désuet !

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Pour toute question relative à nos produits vendus sur le web, vous pourrez désormais nous contacter sur boutique@aaapoumbapoum.com.

Amusez-vous bien, le papier bulle est tout chaud.

 
BICYCLE 3000 DE O SE HYUNG
 

Sordide sans tonitruance

Un fait divers sordide comme notre espèce est assez propice à façonner est à l'origine de cette bande venue de Corée. Elle commence par une garde à vue et dès les premières pages le lecteur aura compris toute l'histoire, que nous ne développerons pas ici. Une histoire si simple que même le bouleversement chronologique n'arrive pas à la brouiller.

Le dessin, assisté de photographies manque considérablement de puissance mais la mise en scène est fluide et élégante. Un peu démonstrative dans l'affichage de sa retenue, mais elle fonctionne bien sans exiger un investissement démesuré du consommateur. L'auteur a sans doute voulu compenser l'inexpressivité de ses personnages (un jeune homme simplet et une jeune fille dont la discrétion frise l'effacement) par une narration limpide. Ainsi c'est une bonne petite dose de glauque facilement assimilable qui est à votre portée en une heure de lecture. On referme le livre un peu plus triste qu'avant, c'est donc que quelque chose est survenu. Je vous le recommande, en plus ça sort aujourd'hui, vous pouvez toujours l'acheter chez nos voisins, ou espérez en voir en occaz dans pas trop longtemps chez nous.

184 p. EAN : 9782505015642, Kana, collection Made in, 15€ neuf.

 
PEPE DE CARLOS GIMÉNEZ
 

Il existe parfois de tels écarts entre deux avis que la contemplation de ce gouffre vertigineux laisse à penser que ceux qui se tiennent sur l'autre bord ne viennent pas de la même planète. Je sais bien que ceux qui ne sont pas d'accord avec moi ne sont pas d'un autre monde, mais penser ainsi m'évite tout emportement.

Ainsi, il y a quelques jours une cliente cherche un cadeau pour un ami qui prépare une thèse sur "l'identité LGBT sous le franquisme". Je ne me formalise pas de la formule LGBT, qui m'agace comme beaucoup de sigles, mais qui a déjà dû faire l'objet de nombreux débats animés dans le milieu militant concerné. LGBT pour ceux qui comme moi ne sont pas familier avec les sigles veut dire Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres. Je ne me formalise pas car je suis là pour servir les clients sans trop leur casser les noix et qu'en plus je suis content car j'ai un excellent ouvrage à proposer à cette jeune fille (plus jeune que moi, s'entend). Il s'agit du dernier Carlos Giménez, Pepe, édité il y a quelques semaines par Charlie Hebdo – Les échappés.

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Carlos Giménez est l'un de mes auteurs favoris comme le savent les lecteurs de ce blog. La récente offensive patrimoniale des éditions Fluide Glacial, à la suite de Mosquito, permet à de nouvelles générations de profiter de ses œuvres introuvables et, à tous, de découvrir les inédits produits ces dix dernières années. Ainsi les deux tomes Paracuellos furent réédités, accompagnés par les 3 suivants , inédits en France, regroupés dans une agréable intégrale (2009), puis Barrio (2011) et en 2012 Les Professionnels bénéficièrent du même traitement (rééditions + inédits).

Giménez fut celui qui ouvrit la voie à la bande dessinée autobiographique en Europe à la toute fin des années 70. Tirés de ses propres souvenirs, ses histoires reçurent un tel écho qu'au fil des années nombreux furent les Espagnols qui vinrent témoigner auprès de lui de leurs expériences similaires ou voisines. De cette matière foisonnante, tirée de l'expérience de la vie transmise oralement, Carlos Giménez a fait une œuvre émouvante et drôle, capable de regarder l'humanité en face, qu'elle se montre atroce ou amène. Une œuvre qu'il n'a cessé d'enrichir et de poursuivre au fur et à mesure qu'il devint le réceptacle d'une partie de la mémoire de son pays.

Pepe n'est sans doute pas son meilleur livre, mais il nous intéresse tout particulièrement, nous les amateurs de BD. En effet il peut être vu comme un prolongement des Professionnels qui met en scène un studio de créations de BD à Barcelone dans les années soixante.

Pepe est le portrait plus détaillé de l'un d'entre eux. Pepe c'est José González, dessinateur réaliste puissant qui excellera par exemple dans Vampirella (incroyable ! Au moment où je saisis cette phrase un client passe en caisse avec un Vampirella et me demande si je n'en ai pas d'autres !) et en général dans la représentation de femmes sexy. Nous apprenons notamment dans ce premier tome de Pepe (l'auteur semble vouloir en faire 5 !) que José González ne semble pas vivre sa masculinité exactement comme ses collègues... Ce qui n'est pas toujours évident dans le milieu macho catalan régressif que les lecteurs des Professionnels connaissent bien.

Loin de se cantonner à cet aspect, Pepe, sans insister nous fait découvrir comment la modernité, à travers le rock n' roll, pénètre la société assez confinée de l'Espagne franquiste. Les amateurs des récits nostalgiques de Max Cabanes y trouveront largement leur plaisir. La vie d'un quartier est aussi décrite par petites touches discrètes. Le tout est accompagné par un carnet de photos que l'on doit aux archives d'un autre dessinateur, Josep Maria Beà. Bref pour quiconque s'intéresse à l'histoire de la bande dessinée, à ceux qui l'ont fait et au contexte dans lequel ils ont travaillé, l'acquisition de Pepe devrait être profitable.

Pour en revenir à ma cliente du début, je lui suggère donc l'achat de cet ouvrage, qui me semble très bon et, qui plus est, cadre parfaitement avec la thèse de l'ami à qui il faut faire un cadeau. Je fais ce conseil de manière d'autant plus désintéressée que nous ne vendons pas cet ouvrage. La cliente en prend bonne note et va chercher l'album chez un de nos voisins. Pour moi ce devait être la fin de l'histoire. J'ai faim, je vais m'acheter une part de pizza.  À mon retour dans la rue Serpente je croise à nouveau cette jeune fille, qui à ma question "alors avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?" me lance avec une sorte de joie destructrice : "J'ai lu PEPE et c'est TRÈS TRÈS MAUVAIS !".

Un peu estomaqué je ne trouve que le temps de m'étonner qu'elle ait pu lire cet ouvrage debout en moins d'une demi-heure dans un magasin assez fréquenté, alors qu'il eût fallu lui demander : "mauvais en quoi ?". Hélas je n'ai pas eu cette présence d'esprit car j'aurais sans doute pu m'ouvrir à d'autres univers. Il faut dire que j'avais faim, et une part de pizza goût barbecue dans la main, ce qui met toujours en mauvaise posture pour les débats d'idées. La prochaine fois que je reverrai cette cliente j'en saurai peut-être plus.

Ce qui est bien, mais ne console pas totalement d'un tel désaveu, c'est que suivant son opinion et non la mienne, pendant que j'achetais une pizza elle était revenue acheter quelque chose chez nous plutôt qu'un Pepe chez les autres.

 
Coudes sur table.

Parce que non, nous ne sommes pas l’astrolabe, nous ne faisons pas de cartes. 

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Je le sais bien, c'est l'ambiance qu'on distille.

On est cool, la boutique est cool; la croyance populaire transmet qu'il est de bon ton d'être cool aussi, en traversant Aaapoum Bapoum.  

S'accouder comme preuve de décontraction, c'est vieux comme le monde.  

Ça donne de l'assurance, ça fait image d’Épinal du mec cool.  

Mais le prochain que je prends en train de se décontracter sur nos BD va se faire écharper, à la cool.