Publications avec le tag Frédéric Poincelet "Mon bel amour"
Les veufs connaissent-ils mieux l’amour ?
 

Quelques remarques et sentiments de lecture par Stéphane

120264954_a69ec2014b_m.jpg

Mon bel amour se veut l'electrocardiographie des battements du couple, comme organe vital de l'amour. Pour la forme, une citation de Gide, suivie d'une tranche de vie de bande dessinée intimiste par Poincelet. Entre défunt romancier homosexuel et le bédéaste hétéro se dresse un dialogue, sur ce qui fonde les extrêmes d'une relation sentimentale, ces hauts et ces bas.

Très curieusement, Frédéric Poincelet cite les journaux intimes qu’André Gide a tenus après 1939 pour illustrer sa bande dessinée. Curieux en quoi ? En ceci que Gide devint veuf en 1938. Dans les pages de ces cahiers là -et contrairement à ceux qui précédèrent en décrivaient les années de son mariage blanc avec sa cousine-, il est un célibataire libéré des contraintes de l’union qui entame une nouvelle vie intime. Une situation en tous points inverse à celle qui traversent Frédéric Poincelet et ses proches dans le livre, empêtrés dans les aléas de la vie de couple. Il n’empêche, chacun des extraits de journaux choisis illustre à merveille la situation intime que l’auteur décrit ensuite en bande dessinée.

L’Homme au centre du monde. Le fugace au centre de l’Homme.

Des faiseurs d’images réalistes, photographes ou dessinateurs, il est deux races. Ceux attirés par l’Homme, ceux attirés par le monde. Frédéric Poincelet fait partie de la première espèce. Chacun de ses livres place l’humain au centre du débat. Pas une case sans corps ou sans morceau de chair. Pas une case où cette matière humaine ne soit au centre. La plupart du temps, le trait découpant le monde externe meurt dès que l’on s’éloigne de quelques centimètres autour des corps (seuls les moments de solitude laissent au monde vide le loisir de s’étendre, comme pour mieux décrire le sentiment d’abandon qui éprend les personnages). Il s’agit bel et bien de capturer l’Homme, le proche ou l’aimé, et ne capturer que lui. L’extraire quelques instant du monde pour le figer sur la page. Peut-être peut-on pousser l’interprétation de cette démarche esthetique un peu plus loin. Plus que d'appréhender l’individu dans sa globalité ou dans son essence, on éprouve le sentiment que l’enjeu du dessin est surtout de discerner les moments ou détails délicats qui témoignent de ce que l’auteur aime en lui et en l’autre, et par ce geste se réapproprier ou figer dans le marbre cette essence à l'origine des sentiments. Pour être plus clair, plus que saisir celui qu’on aime, ce qui compte serait de saisir ce que l’on aime en lui. (chapitre téléchargeable Download P._113-126_mba_red.pdf pour illustrer, gracieusement offert par les éditions ego comme X)

«Du rassasiement des désirs peut naître, accompagnant la joie et comme s'abritant derrière elle, une sorte de désespoir» Gide toujours, mais de mon préféré Les Faux monnayeurs.

Voila un sentiment très présent et fort dans l’œuvre de Gide, que partage avec lui Frédéric  Poincelet. Celui de la dualité de l’amour, de joie et désespoir mêlés. Le travail de maquette sur le dédoublement du titre Mon bel amour a d’ailleurs, immédiatement après la lecture du livre, fait écho dans mon esprit à la citation de Gide que je reprends en titre. Une impression appuyée par la fragilité du dessin de Poincelet (qui d’ailleurs dans ce nouveau livre a beaucoup gagné en subtilité, tendant vers un réalisme dont le détail adoucit les effets doloristes), et par la typographie utilisée pour inscrire le nom de l’auteur sur la couverture (sorte de canevas qui se découd, évoquant l’usure des choses, et par extension symbolique la tenture de Pénélope, emblème de l'effort dans l’amour par excellence).