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Mad et Gloria
 

Et si j'étais Jane Birkin ?

par Vlad

Lorsque l'on est libraire on dispose d'un horizon de lectures illimité ; lorsque l'on est libraire dans le cinquième, on peut, pour peu qu'on ait un peu d'entregent, lire tout ce que l'on souhaite quasiment au moment où on le souhaite. Dans ce cas la liberté ne consisterait-elle pas à choisir de s'immerger dans  ce que l'on aurait a priori aucune raison de lire ?

C'est précisément ce qui m'a conduit aujourd'hui à ouvrir "Mad et Gloria : Le mystère de la patinoire". Un truc qui normalement n'aurait dû se produire que si j'étais né au milieu des années quarante de l'autre côté de la Manche... Un bouquin pour Jane Birkin ou David Bowie, rien que ça.Edité par Dargaud en 1958 dans la collection "Line", il s'agit de la reprise en album des épisodes parus publiés dans la revue du même nom (Line, "le journal des chic filles") depuis 1955.

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Mad et Gloria, curieuse traduction de la série anglaise Wendy and Jinx dessinée par R. Bailey sur des histoires de Valerie Hastings. Comme vous pouvez vous en douter nous avons affaire à des histoires théoriquement destinées à un public purement féminin.

C'est apparemment au début des années cinquante que les éditeurs anglais pensent à segmenter leur lectorat par sexe, inventant ainsi en quelque sorte le shojo manga britannique en quadrichromie.  La couleur y tient effectivement un rôle de premier plan et est particulièrement soignée. On comprend à contempler les magnifiques grandes cases qui ouvrent chaque épisode que les éditeurs aient  choisi  Mad et Gloria pour la première page de Line.

Mad et Gloria, deux collégiennes britanniques, au comportement mature et appliqué, au corps élancé et sportif, l'une brune piquante, l'autre blonde diaphane. Leur esprit est vif et concentré sur des énigmes d'importance : qui est la mystérieuse correspondante de Dorothée ? Qui a oublié de fermer le robinet du gymnase ? Qui cherche à causer du tort à la jolie monitrice de la patinoire ? Qui a saboté les cables de la bicyclette ?

L'histoire n'a guère d'attrait sans être réellement ennuyeuse. C'est visuellement que la série a de l'impact. Néanmoins, il est quasiment certain que l'intérêt que j'ai trouvé à la lecture de cette enquête est bien différent de celui que pouvait éprouver Jane Birkin.

En revanche on peut pronostiquer sans risques qu'il se rapproche de celui qui s'éveilla en Serge Gainsbourg lorsqu'il découvrit la jeune anglaise. C'est ce qu'il exprime par "Gainsbourg et son Gainsborough" dans 69, année érotique : le trouble sexuel et le trouble artistique étroitement imbriqués.  Qui de nos jours pourrait dessiner des jeunes filles d'une innocence lucide aussi compacte ? Quel lecteur pourrait d'ailleurs y croire ? Les modèles de la féminité ont bien évolués et leur sensualité est plus arrogante.

Cette mise en situation qui consiste à choisir en dehors de ses prédilections pour élargir son champ de liberté ("imaginons que j'ai été Jane Birkin") me rappelle une autre situation de lecture contrainte il y a plus de 20 ans qui présente de troublantes similitudes avec l'expérience d'aujourd'hui...

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J'étais en vacances chez des amis de mes parents au coeur de la Castille torride. Dans la grande maison pleine de fantômes il n'y avait guère de livres en français excepté quelques Alice de la bibliothèque verte (encore un truc de 1955 !).

Je me souviens avoir ouvert ces livres avec un air dubitatif et d'avoir été happé, frémissant d'être initié aux mystères de Vénus que je devinais touffus, bien que leur intérêt essentiel m'échappât encore.Mon dieu... qu'est-ce que je vais lire demain ? ... Bigre, je ne vois que Sky Doll 3 bis ou Golden City...