Jack Kirby : New Gods et Mister Miracle
"Il dessine tellement mal qu'on a bien du mal à comprendre pourquoi vous aimez autant Jack Kirby. Néanmoins vous allez être contents, il revient le mois prochain".
J'ai le souvenir d'une annonce de ce genre dans le Courrier des lecteurs d'un vieux Strange, que je n'ai pu retrouver par manque de temps. Cela fait des siècle que je n'ai pas posé le regard sur ce genre de rubrique ennuyeuse mais dans Strange, je ne la ratais jamais. De mémoire, je n'étais pas le seul. Pourquoi des mouflets s'intéressaient-ils autant aux avis de leurs camarades qu'aux aventures de leurs héros ? Difficile à dire, mais j'aime à penser que l'impact de ces figures héroïques curieuses, presque malades, était trop puissant. Il fallait nous confronter à d'autres points de vue pour se rassurer sur nos émerveillements et nos doutes. Ce que nous découvrions à travers ces pages, nul adulte ne pouvait le comprendre. Et le courrier des lecteurs était ce lieu de rencontre où chacun pouvait échanger avec quelqu'un qui le comprendrait. Il en était de même pour Jack Kirby. Ce dessinateur de génie, aucun adulte ne pouvait le comprendre, mais les enfants l'adoraient. Ils le réclamaient souvent et ce clivage esthétique entre générations ne manquait pas de se retrouver dans les pages du Courrier.
Jack Kirby, à présent, est un dieu pour tout le monde. Nul n'oserait contester cette esthétique unique, cette capacité à doubler chaque personnage, chaque geste, d'une dimension grotesque qui n'ôte pourtant rien à la puissance dramatique de l'action. Chez Kirby, l'improbable tient lieu de réalité incontestable, l'élastique devient dur comme la pierre. On pourrait parler pendant des heures des personnages, des machines foldingos, des délires spatio temporels, des poings fermés d'une taille incroyables, des perspectives et des proportions faussées à dessein, des postures de Dieux grecs, de la composition des pages, des effets de matière.... beaucoup l'ont fait et mieux que moi : je vous invite à utiliser internet…
À Aaapoum, on a en ce moment deux livres particuliers de J. Kirby : Mister Miracle et New Gods.
Dans ces ouvrages, Kirby essayait de fonder un nouvel univers, en marge des vieilles légendes, peuplé de héros invincibles dotés de pouvoirs, avec des rivalités entre planètes comme enjeux. Autant le dire, rien de nouveau, puisque c'est surtout une forme de revanche sur Marvel et sur Stan Lee que cherchait à prendre le dessinateur, tout juste parti chez le principal concurrent DC Comics. Son ambition, créer une œuvre totale qui lui appartiendrait, avec son nom sur la couverture ; un chef d'œuvre capable d'être réédité et relié plus tard, ce qui ne se pratiquait pas du tout à l'époque. Il lance alors de concert quatre séries, dont les deux que nous vendons en magasins. S'il a accès aux noms les plus fameux de la galaxie des super-héros, Superman notamment, il n'en fait presque pas usage. Son œuvre travaille à rester en marge, totale.
Force est de reconnaître que ce n'est pas le cas. New Gods, Mister Miracle, mais également Forever People ou la reprise de Superman's pal Jimmy Olsen fondent une tétralogie qui ne marquera pas les annales. Sans cadre, Kirby peine à s'incarner. Les récits manquent de sérieux, les enjeux tombent un peu à plat. Mais ce n'est franchement pas grave, au contraire. Cette innocence qui caractérise la beauté naïve des récits de Kirby trouve de très belles illustrations et l'ensemble, à défaut d'ampleur, exhale un charme incroyable.
Mais surtout, c'est pour la beauté des dessins qu'il faut lire Mister Miracle et New Gods. Quelle claque! Adossé aux meilleurs encreurs de sa carrière, Vince Colletta et Mike Royer, animé par la volonté d'en découdre avec le succès, Kirby laisse là l'un de ses plus beaux travaux graphiques (avec Démon). Et même si les éditions françaises, tristement, sont en noir et blanc, la maestria est telle qu'elle s'accommode finalement assez bien de ce traitement.
• New Gods,éditions Bethy, 336 pages, épuisé, 35 euros.• Mister Miracle, La liberté ou la mort, éditions Vertige Graphic, 246 pages, 7 euros.