Des monstres de L'éternaute à ceux de Lovecraft
"L'horreur indicible surgissant des tréfonds innommables..."
Je ne sais pas trop pourquoi mais, sans vérifier les dates, j'étais convaincu que Breccia avait dessiné L'Éternaute après Les mythes de Cthulhu... Et jusqu'à hier je montrais aux clients combien son travail sur L'Éternaute portait les traces de son travail sur l'indicible lovecraftien.
C'est à la lecture d'une note enthousiaste d'un amateur argentin (Historieteca) saluant la nouvelle édition transatlantique de Los mitos de Cthulhu que je me rends compte de mon erreur. Ainsi Breccia trouva dans l'adaptation de Lovecraft le terrain idéal pour poursuivre des défis artistiques et des questionnements qui lui étaient propres. Davantage qu'une filiation amoureuse, cette liaison entre le dépressif de Providence et l'angoissé de Buenos Aires tient dans l'emploi de l'œuvre du premier comme tremplin créatif par le second. Vision qui semble confirmée par ces propos tenus par Breccia en 1985, lors d'un court entretien avec T. Groensteen :
"En tant que lecteur, la littérature fantastique ne présente pas d'attrait particulier pour moi. Elle m'intéresse comme source d'inspiration pour mon travail, car elle permet d'épanouir mon style dans différentes directions, en dépassant le stade du réalisme".in Les Cahiers de la Bande Dessinée n°62
Nous éclairant encore plus précisément sur son travail, voici une autre citation d'une interview de Breccia, réalisée en 1989 reprise tant dans l'édition argentine que l'édition française (seconde édition, augmentée, Rackham, 2008) :
"Je me suis très vite rendu compte que le langage traditionnel de la Bande dessinée ne pouvait rendre compte de manière satisfaisante de l'univers de Lovecraft, si bien que j'ai commencé à expérimenter de nouvelles techniques, comme le monotype ou le collage. Ces monstres informes, semblables à ceux que j'avais dessinés dans L'Éternaute, sont faits ainsi parce que je ne voulais pas imposer au lecteur ma propre vision ; je voulais que chaque lecteur ajoute quelque chose de personnel, qu'il utilise la base que je lui fournissais pour la vêtir de ses propres craintes, de sa propre peur. Au début c'était presque un défi : je voulais vérifier si je serais capable de dessiner ce que Lovecraft avait décrit. Je ne sais pas si j'y suis parvenu, mais je peux certifier que durant les presque trois ans que j'ai mis à réaliser ce travail j'ai vécu complètement immergé dans son monde."
Il faut ici saluer l'initiative du très lovecraftien et talentueux Rotomago (Nyarlathotep, U-29 : tous deux chez Akileos), qui a ouvert il y a peu un site bibliographique trilingue consacré à Alberto Breccia :http://albertobreccia-bibliografia.blogspot.com/
L'Éternaute d'Oesterheld mis en images par Breccia, édité par les humanos (1993), est toujours disponible chez AAAPOUM BAPOUM (PVP 25€), profitez-en...