V pour vent ou pas
Stéphane introduce Julien Welter (L'Express, Score, Ecran Large, et directeur général de la branche française de la Pop Corn Movies institute of Paris)
Le nouvel Alan Moore filmé est-il une daube, à l'image de toutes les précédentes tentatives d'adaptation, ou non. C'est ce que dévoile Julien Welter, ami d'école et critique cinéma de son état, en donnant à un peu à boire du bon contenu aux lecteurs du aaablog un peu désert faute d'actu, on s'en excuse quand même.
Difficile d’évoquer l’adaptation de la bd culte d’Alan Moore sans effectuer ce constat préalable : avant même sa sortie, V pour Vendetta le film, était jugé déceptif. Par les bédéphiles d’abord qui vécurent le désaveu de l’auteur anglais (l’histoire complète est sûrement disponible quelques clics plus loin) comme une confirmation de leur crainte la plus profonde, une trahison de l’œuvre originale. Par les cinéphiles ensuite qui savent le producteur Joel Silver capable du pire quand il manipule un réalisateur de paille ; James McTiegue étant un illustre inconnu venu de l’assistanat, on comprendra aisément la désillusion. Impossible donc pour quiconque tentant de parler du long-métrage de passer outre l’étiquette « bâclage hollywoodien », ce qui complique grandement la tâche critique lorsqu’il s’agit d’évoquer la bonne surprise qu’est V de Vendetta,El Filmo (l’hispanité était une vaine tentative d’égayer les cœurs….).
Car petit miracle il y a et il découle directement du comic book. Comme si le matériaux source, par sa force et sa densité, avait réussi à résister aux outrages du système des studios pour insuffler un plus à ce produit cinématographique. In fine et malgré tout, la vision intemporelle et novatrice d’Alan Moore, apporte en effet un assainissement salvateur au récit du tout venant hollywoodien. Laissons de côté l’idée d’un renouveau stylistique, la mise en scène paresseuse tente le rapprochement vers la bd par les pires moyens (voir les petits tourniquets d’air des couteaux de V ajoutés en image de synthèse, un sommet de ringardise) et ne réussit qu’à donner l’impression d’un Londres totalitaire de carton (on est très loin ici d’un Sin City de Robert Rodriguez et Frank Miller). C’est l’histoire de V, héros anar affublé d’un masque souriant, qui constitue le principal intérêt parce qu’il continue une redistribution des cartes de l’héroïsme initiée par M. Night Shyamalan (Incassable) et suivi par Ang Lee (Hulk). Le héros moderne n’est plus désormais scindé entre la machine à sauver le monde sans regard interne (voir Bruce Willis dans Armageddon ou Le Cinquième élément…) et le sauveur à échelle moyenne doté d’une psychologie (voir le même acteur dans les aventures de John MacLane). Désormais, et V en est la continuité, il agit à grande échelle tout étant astreint à incarner l’humanité. Il n’est plus le mythique sauveur mais bien le miroir de notre possible valeur morale ou politique égarée. Un renvoi incessant à notre propre champ d’action qui s’est vu remis en cause dès notre entrée dans ce millénaire.
Evidemment, le public bédéphile n’y apprendra rien - l’audace de ces récits dessinés a sur ce point déjà dépassé et depuis longtemps les scénariis ballots d’hollywood - et n’y verra sûrement qu’une trahison (ce qui n’est pas totalement faux). Translater V, du rôle d’idée (l’anarchie en l’occurrence) ayant pris corps pour se répandre par l’action dans l’esprit des gens à celui de personnage ayant subit le totalitarisme et engageant une revanche teintée d’idéal politique, c’est évidemment rabaisser et amenuiser les desseins d’Alan Moore. Mais bon, l’ère politique actuelle méritait peut-être un peu plus de chair et de clarté que de philosophie. Et en cela V pour Vendetta est également une bonne surprise. Car l’histoire s’adapte parfaitement aux tourments actuels même si par ces truchements, il trahit. Le film puise dans l’œuvre d’Alan Moore pour en être un écho réaliste, comme toutes les variations modernes autour du Dracula de Bram Stoker le sont par rapport à l’œuvre originelle, mais possède son aura propre, celui d’un halo de notre conscience post-11 septembre qui est indispensable à découvrir.