TOXIC de Charles Burns

 

Charles Burns ToXic. (Cornelius) traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Barbara et Emilie Le Hin, 64 pages, 21 €.

L’angoisse des héros, chez Charles Burns, est nourrie de trous noirs. Il y avait d’abord ceux, sensuels et répugnants, qui creusaient la chair tendre des adolescents en pleine mue dans Black Hole (sa précédente œuvre). Il y a désormais les trous noirs, au contraire psychiques et insaisissables, qui rongent la pensée abasourdie de Doug dans Toxic. Convalescent, sous l’influence de calmants et des lectures de Burroughs et d’Hergé, Doug le jeune accidenté rêve durant ses longues absences médicamenteuses d’un monde écartelé entre New-York et Tanger, riche de créatures étranges, qu’il arpente lui-même avec l’apparence d’un Tintin.

Réalité et songes s’entrechoquent peu à peu et se dissolvent l’un dans l’autre. Seuls quelques X (du titre), biffés sur un calendrier, l’attachent un tant soit peu au réel. Pour combien de temps encore ?

Quel ravissement de suivre, autour d’angoisses et territoires qui lui sont propres, Charles Burns travailler son langage. Bien sûr, les cauchemars de Doug sont des reconstructions du réel, chargés de symbolisme, à décoder. Mais ce qui étonne, au delà d’un ravissement esthétique alternant pictogramme et réalisme avec la même virtuosité, ce sont les inventions de langage destinées à figurer l’incorporel (d’une pensée sous drogues), chez cet artiste longtemps travaillé par la représentation du corporel (de l’éveil à la chair).

Or là, justement, dans ce challenge de l’immatérialité à dessiner, Burns trouve matière à sa plus belle idée : l’invitation de la couleur. Par delà les enjeux décoratifs ou l’hommage à Tintin, la couleur apparait, pour la première fois chez ce génie du noir et blanc, pour incarner une valeur : celle du temps disparu de l’amnésie. Des cases vides, emplies de couleur pure, pour notifier les trous noirs de la pensée, voilà un paradoxe qui n’est certainement pas sans convoquer une certaine poésie. (les Inrockuptibles du 25 octobre)

INTERVIEW VIDEO DE CHARLES BURNS POUR GQ MAGAZINE