Pour guérir le Lupus.
Quelques pistes et notes de lecture en pagaille et à froid de AAApoum et BApoum (ne demandez surtout pas qui est qui, nous même ne le savons pas).
PS: les images arrivent bientôt, le temps de scanner.
1. couvertures
Et si le Lupus n’était plus une maladie de peau, mais une maladie de l’âme. C’est ce que semblent annoncer les couvertures des trois premiers volumes. Sur les plats, deux personnes, Lupus et Tony, Lupus et Saana, côte à côte. Immobiles, ils ne communiquent pas, et ne se regardent que rarement. Leurs yeux sont tournés vers un lointain inaccessible ; leurs pieds à chaque fois butent contre le bord d’un précipice, d’une rivière, de l’espace, qui semble les empêcher d’avancer, même d’un pas. Chaque nouvel album, nouvelle étape, consistera donc à traverser cet abîme, ce vide incommensurable qui sépare du futur tout comme de l'individu qui se tient à côté. Si loin, si proche.
Sur le quatrième plat des deux premiers volumes, un personnage vient rompre l’isolement du couple : Saana secoue sa serviette, Nyargance jette un regard inquiet vers le premier plat. Des éléments perturbateurs, dont chaque bousculade vaut mieux que l’isolement. Mais au dos du troisième album, personne, un lit vide, et c’est tout (symbole d’une sexualité impossible). La solitude, celle qui pèse comme une prémonition tout au long de l’intrigue, se rapproche. Mais quelle crainte imprègne Lupus ? La peur d’être seul, ou celle de se découvrir une aspiration profonde à la misanthropie ?
2. Frustration et communication
Lupus illustre bel et bien la difficulté à communiquer. Entre amis, entre parents, entre amoureux même pas amants. La mort de Tony marque la découverte puis l’échec dans le premier volume. A partir du second tome, plusieurs scènes illustrent la route vers un apprentissage de la parole. Parmi les plus comiques, notons par exemple le t-shirt réactif de Saana, qui répond à sa place en deux temps trois mouvements, parmi les plus tragiques, le vieil homme replié dans l’autisme qui retrouve un début d’activité laborieuse au contact de la jeune héroïne. Ce genre de symbole inonde la série, à vous d’en trouver quelques autres. Enfin, le troisième volume marque le retour aux sources du problème –station spatiale, lieu de la chute du rêve familial-, et aide à percer les origines de cette infirmité sociale. Un père sans visage, sans parole.
3. Métaphysique.
Quelque chose transcende l’Homme dans Lupus, mais quoi ? Est-ce le désert humain qui isole les personnages sur les couvertures, mais sert en même temps de refuge où échapper à l’écrasante civilisation ? Est-ce une Mère Nature aux multiples visages ? (D'un côté elle est étrange, inaccessible et inquiétante un peu comme celle d'Aldébaran de Leo, une source d’angoisse pour l’Homme qui a rompu avec elle, d'un autre côté elle est riche, florissante et sexuée, source d’émerveillement et d’inspiration. Elle est un bain sensoriel qui témoigne du mélange d’envie et d’appréhension devant la reproduction et les besoins primaires. La baise est une pulsion et une menace. ) Est-ce cet univers infini qui nous contemple depuis son obscurité, lieu d’angoisse et d’inconnu ? Ou est-ce enfin la vie, incompréhensible sujet qui discerne toujours un chemin détourné pour prospérer, quel que soit l’hostilité du milieu ? Ah la la, ce sacré Lupus et sa sexualité contrariée.
4. Résignation et optimisme : Lupus volume 4.
Sur la couverture, Lupus est maintenant seul, le désert humain qui s’étend depuis les premiers volumes touche ici son apogée. Tout n’est pas sombre pour autant. Le sol ne se dérobe plus à ses pieds. Il y a un lac, et un passage de terre derrière qui augure la possibilité d’avancer, d’envisager le futur. Le jeune homme porte un costume cravate, au quatrième plat dépasse le nez de sa voiture, tout est dit.
Sans trop déflorer l’intrigue, qu’apprend cet ultime volume :
Le chapeau blanc qu’arborait fièrement Tony lors du premier volume appartenait à Lupus lorsqu’il était enfant. L’acte de la coupe de cheveux est chez Frederik Peeters le symbole d’un amour, et son résultat préfigure la réussite ou l’échec de la relation à venir (miroir de la scène dans les pilules bleues). La vie trouve vraiment toujours le moyen de prospérer, quel que soit l’hostilité du milieu (les quatre couvertures misent bout à bout résonnent). Le dialogue n’est pas le seul moyen d’expression (voire le travail de Peeters sur les vêtements et leur valeur sémiotique, et dire que tout le monde clamait que « l’habit ne fait pas le moine »). Enfin, note finale parmi les plus agréable : la famille n’est pas fatalement celle du sang, dixit le petit garçon au nez de son père, au yeux de sa mère, et au chapeau de… Lupus.
5. Références.
Lupus est nimbé de références multiples et variées, tournant tout de même pas mal beaucoup autour du cinéma de Kubrick. L’hôtel spatial vide et les errances du héros pourront faire penser à Shining, de même que les scènes au bar de la station ou Lupus seul dialogue dans le vide. L’espace infini et son silence, le reflet de la planète sur la vitre du casque de cosmonaute, la confrontation finale entre Lupus et son père, que l’on peut facilement considérer comme un double en plus vieux, sont autant de scènes aux échos de 2001, L’Odyssée de l’espace. Parfois, quelques images à l’intertexte symbolique apparaissent sur le robot télé -M le Maudit dans le troisième album, une que je n’ai pas été capable de reconnaître dans le quatrième (une BD à 5 euros offerte à ceux qui donnent la réponse en commentaire). Enfin, la promenade spatiale ou ouverture du volume 4 est un hommage comique aux aléas du capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune, ne serait ce que par la proximité esthétique des combinaisons dans les deux séries.
6. Pourtant, sous le beauté du récit et la justesse de certains de ses thèmes…
… se dresse un discours parfois déplaisant. Car que dit l’histoire de Lupus si l’on s’attache à certains aspects du scénario.
6.1./ Tous dans le rang… La révolte ne mène nulle part et est l’apparat de l’immaturité. L’adulte, lui, ne cherche ni à fuir, ni à se révolter, mais fait la paix avec son destin afin d’être, sinon totalement épanoui, au moins à sa place dans l’ordre naturel des choses. Le monde, d’ailleurs, paraît beaucoup plus serein une fois ce constat accepté.
6.2./ Ce cheminement ne peut s’accomplir sans la réconciliation avec le père. Tony, on le comprend au début du quatrième opus, déprime non seulement car son père est mort, mais surtout parce cette mort laisse à jamais en suspend leur conflit et la violence de leur relation. C’est un être condamné au tourment et à l’exclusion qui entame le voyage avec Lupus, d’où sa mort peut-être, seule issue à un être qui n’a plus aucune chance de s’épanouir.
6.3./ Mais surtout, point le plus détestable dans Lupus, la vision de la femme selon F. Peeters, qui fantasme et établit des variations sur une figure bien connue des archétypes féminins, la « femme enfant ». Faussement forte, c’est par elle que le malheur arrive. Immature, emmerdeuse, capricieuse, manipulatrice, allumeuse et sainte-nitouche, dans le besoin constant d’être sauvée ou prise en charge par le sexe dit fort, et incapable d’assumer ses responsabilités. Ce personnage mérite des baffes à longueur d’albums, il faudrait lui dévisser la tête… Seulement, Lupus lui se complait dans son rôle de souffre-douleur, il se rachète une bonne conscience dans le sacrifice. Il ne couchera pas avec elle, ne vivra pas avec elle, il en fait son deuil et traîne sa rancœur et sa passivité pour notre plus grand énervement. Il se laisse utiliser et nous renvoie une image détestable, celle de notre propre situation d’impuissance de lecteur. Personne ne viendra nous aider, aucun Bertrand Cantat ne viendra dans la station corriger cette emmerdeuse et expliquer la vie à Lupus. Le seul qui aurait pu le faire s’appelait Tony et il est mort. D’ailleurs il n’est pas innocent de la part de l’auteur de faire coucher Saana avec l’incarnation de la figure virile et bourrue (le militaire) tandis qu’elle se refuse à la figure moins affirmée de Lupus. En bonne créature du Serpent, elle manipule les hommes et utilise le meilleur de chacun d’eux, sans s’impliquer réellement.C’est une vision sexiste de la femme (qui revendique d’ailleurs à haute voix les taches ménagères comme soulagement de l’esprit, alors que l’homme lui fait de la mécanique).
Par sa position centrale, et surtout par ses ressemblances avec le personnage féminin des Pilules bleues, elle semble incarner davantage qu’elle même. La tentation est forte de voir à travers elle ce que Peeters pense des femmes. Un constat peu nuancé les autres figures féminines représentées que sont les mères : protectrices, étouffantes, à la relation sans enjeu (seul le rapport au père compte pour Tony et Lupus), dans le dolorisme passif, et surtout au foyer… évidemment.