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Récurrence de la figure eastwoodienne
 

Vanité des vanités...

par Vlad

S’il est un auteur de cinéma qui aura joué avec sa figure d’icône, c’est bien M. Eastwood. Il a toujours apporté un soin infini à la modeler, la modifier, à la nuancer, à la polir, à la salir, à la vieillir, à la durcir, à l’adoucir… Si bien qu’avec le recul on peut considérer que c’est bien dans cette auto-sculpture que réside le fond de son œuvre. Son visage s’ossifiant étant devenu le miroir dans lequel l’humanité peut contempler ses vanités.

Cependant quelque chose a totalement échappé à son contrôle, c’est l’utilisation de son image par la bande dessinée franco-belge.

La première apparition d’Eastwood sur nos planches eut lieu dans les pages de Pilote. C’est le grand Gotlib qui en est responsable, à travers une histoire de la Rubrique-à-brac sur le western spaghetti. Rétrospectivement je me demande même si ce n’est par cette caricature que j’ai découvert le personnage, ayant eu en main la version album de 1971 (taume deux) avant de voir Et pour quelques dollars de plus en VHS…

Par la suite, après que l’attrait du charisme eastwoodien eût éclos en mon âme en même temps que les boutons sur mon visage, après que l’image lumineuse et cinématographique du personnage eût trouvée à mes yeux la primauté qu’une caricature de papier n’eût jamais dû oser usurper, je découvris dans le champ du neuvième art que nombreux étaient les dessinateurs qui avaient retentés l’expérience.

D’abord il y eut Jean-Claude Claeys, qui à la manière de Marniquet vingt ans plus tard, aimait à truffer ses histoires de représentations d’acteurs.

Claeys a un grand talent d’imitation de la photo et il est naturel qu’il ait souhaité s’affronter, pinceaux à la main, à la nouvelle icône et l’intégrer aux côtés de Mitchum, Sinatra et consorts.

Ce qui m’a fortement dérangé quand j’ai découvert Magnum Song, c’est que Eastwood y incarnait un personnage secondaire qui, en plus, se faisait tuer vite fait.

Mais bon il jouait un tueur à gage sans foi ni loi, ce qui prouve que Claeys avait tout de même intégré la dimension iconoclaste de la figure eastwoodienne.

Ce n’était pas très respectueux mais c’était bien dessiné…

A peu près à la même époque un jeune belge (25 ans alors), Yves Swolfs fait lui aussi jouer  Eastwood dans ses bédés. Sauf que réellement épris, il lui donne le premier rôle. Assez rapidement il apparaît comme évident que le héros de cette série est un homme sans nom nommé Durango. Swolfs a eu la prudence de ne pas chercher à reproduire le visage de Clint. Certes Durango endossera la panoplie et la gestuelle de Blondin, mais comme un acteur cherchant à incarner un archétype. Ce n’est pas la ressemblance formelle qui compte, mais le poids du ressenti. En bon adepte de l’Actor’s Studio, Durango se coule dans le personnage jusqu’à se que la ressemblance paraîsse exsuder de l’intérieur pour se répandre sur la surface des traits. Dès lors qu’elle importance que ses yeux soient verts, que ses cheveux soient trop longs, qu’il ne soit pas très grand et qu’il ait le flingue de Trintignant ?! Devant nos yeux il rejoue indéfiniment l’Homme sans nom. Cette qualité est d’ailleurs la principale faille de la série. Se cantonnant dans la répétition formelle de ce qui a été fait, jamais Swolfs n’anticipera le miracle d’Impitoyable.

Le mitterandisme s’étant bien installé, la télé ayant été privatisée et la liberté d’entreprendre encouragée, les choses se sont gâtées…

De 1991 à 1992, les jeunes éditions Soleil nous proposèrent les deux tomes de Corpus Christi. Une série avortée comme beaucoup d’autres par la suite.

Le projet était audacieux : faire se rencontrer et s’affronter DEUX Clint Eastwood. Un bon un mauvais.

Le premier extrapolation de ce qu’aurait pu devenir le bon Rowdy Yates de Rawhide devenu shériff. Le second caricature vulgaire du cynisme de l’Homme sans nom. Le scénario de cette  tentative n’est pas désonohorant (d’ailleurs signé par un vieux de la vieille, M. Rocca / Ramaïolli), mais quelle prétention d’utiliser un piètre dessinateur (ou un débutant) pour cette interprétation.

Regarder les gesticulations de ces deux ersatz de Clint tâchant de se donner une contenance c’est comme assister aux efforts de T. Girod pour imiter servilement la prestance d’un maître quasi homonyme qu’il n’a jamais pu côtoyer : c’est pathétique et c’est infiniment douloureux car ça donne l’impression qu’il n’y a pas d’espoir pour l’humanité.

Reste la tentative plus tardive de Lamy et Yann sur Colt Walker. Le dessin est bien meilleur mais demeure inégal. Il est loin en tout cas de pouvoir prétendre élucider la magie des traits de l’icône américaine. La série, servie par un bon scénario, s’arrêtera au second tome. Yann est un honnête homme. Et son projet entamé il a compris qu’il avait lui aussi pêché par orgueil. Jamais la figure eastwoodienne, que ce soit dans sa beauté ou dans les étapes de son flétrissement , ne serait réductible au fantasme de maîtrise d’un dessinateur. Jamais les infinies variations de la surface de sa peau ne seraient capturables par les rêts d’un démiurge du dessin, aussi puissant soit-il.

Jean Giraud ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Suivant l’intuition de Gotlib qui avouait « que toute ressemblance avec Clint Eastwood est un vrai coup de pot !» (cf. illustration) si, dès 1974, il fait apparaître Eastwood dans Ballade pour un cercueil, il prend bien soin de l’utiliser à contre-emploi, lui donnant un rôle d'adjuvant rigolo qui meurt assez vite : celui du charlatan Hieronymus, le pourvoyeur de « l’elixir des dieux ». Giraud a bien compris que soit il va échouer à retranscrire la diversité monolitique des traits de la star, soit, s’il y parvient, le personnage va alors éclipser le lieutenant Blueberry en aura de virilité nuancée… Aussi se contente-t-il d’une brêve allusion drôlatique.

Finalement, le plus bel hommage que la bande dessinée franco-belge a rendu à l’icône on le doit aux Léturgie et à Yann, qui, dans Spoon et White rachète son orgueil passé : la figure du commandeur sera omniprésente dans la série, mais invisible. Les efforts de Spoon pour enfiler une panoplie qui ne lui sied guère sont à l’image des dessinateurs tentant de réduire et maîtriser le mystère Eastwood au détour d’un trait de plume.

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