Publications dans Clint Eastwood
FANTASTIK n°10
 

Éditions Campus, juillet 1984

Dans ce numéro on trouve comme à l'accoutumée de nombreuses planches intéressantes : du Trillo et Mandrafina inédit en album (du moins il me semble), du Luis Bermejo au magnifique dessin charbonneux, du Dick Matena assez en forme, du Milazzo en bichromie noire et bleue (très efficace, on rêve d'un album entier avec ce procédé et ce bleu là, beaucoup plus contrasté et utile que celui de Igort dans 5 est le numéro parfait), du Alex Toth splendide, du Wrightson...

Surtout il y a la couverture, signée Fabá, où je reconnais sans gloire la source photographique. L'artiste espagnol s'est inspiré d'une photo de tournage de Magnum Force, la seconde aventure de l'inspecteur Harry Callahan, que réalisa Ted Post en 1973 sur un scénario de John Milius.

Ceci me permet de glisser que le rayon des revues est particulièrement bien fourni, et bien rangé en ce moment. Outre Fantastik et Ère comprimée des éditions Campus, on trouve aussi de nombreux  Métal Hurlant, des Échos des savanes première et deuxième période et des Spécial USA sous leurs différents avatars. Tout ceci est entre 4 et 6 euros en général, sauf numéros exceptionnels.

 
TONY STARK DE AIDANS
 

Récurrence de la figure eastwoodienne, annexe 13.

Ça commence comme un western spaghetti.On y trouve des personnages qui ont la tronche de Eastwood, Van Cleef, Bronson et peut-être même John Wayne et Kirk Douglas, mais c'est moins convaincant. Au bout de quelques planches on se rend compte que c'est en fait le tournage d'un film qui est brusquement interrompu par l'action surgissant dans la réalité. C'est le début des Voleurs de nuages, la quatrième aventure de Tony Stark, publiée en 1981. Oui, mettons les choses au clair immédiatement, il ne s'agit pas du moustachu, richissime fabricant et vendeur d'armes créé par Stan Lee en 1963, mais d'un autre moustachu étatsunien, qui lui se contente d'être une sorte de rancher de l'Ouest, écrivain de romans et homme d'action. Ce Tony Stark-là fut créé par Aidans (le dessinateur, entre autres de Tounga) et par Jean Van Hamme, en 1979 pour la revue Super As. Notons au passage que Van Hamme volait à peu près à la même époque le nom de Gandalf à Tolkien pour le fourrer dans Thorgal.

Voici donc à nouveau Eastwood (pour ceux qui ne suivent pas ce blog depuis des éons, vous pouvez sélectionner "Clint Eastwood" dans le menu déroulant des catégories dans la colonne de droite et vous verrez dans quel contexte s'inscrit cette présente note) . Cette fois-ci il est moqué, puisque l'acteur prête ses traits à un personnage acteur également, qui, s'il joue de féroces pistoleros, est dans la réalité un couard s'évanouissant face au danger. Cette irrévérence, quoique pataude, est sufisamment rare pour être référencée.

Sinon l'histoire, une variation bonhomme de SOS Météores dans le Grand Ouest, se lit sans intérêt réel ni déplaisir outrageant. Beaucoup de chevaux seront morts à la fin de la lecture, mais aucune patte de canard. Reste que le papier mat ivoire des éditions Hachette BD de l'époque est toujours un régal, car il offre un écrin velouté à ces oranges rosés qu'on ne retrouve plus de nos jours.

Tony Stark, régulièrement trouvable dans nos librairies, entre 7 et 15€ en fonction de l'état et des titres.

 
Petit Format, avant de retourner à la poussière vient faire un tour chez nous !
 

Rien de neuf, que du vieux et c'est tant mieux !Pierre, tu seras content de constater que je t'ai laissé à Serpente 286 petits formats à trier, à expertiser, à nettoyer, à emballer et à étiqueter. Parmi eux tu trouveras de nombreuses couvertures qui te réjouiront, comme ce Elvifrance au joli titre de Mourir et pourrir et dont le contenu n'a, comme souvent, rien à voir. En l'occurence il s'agit plutôt d'une relecture sado-maso des Poupées du Diable de Tod Browning.

Pour ma part j'ai été assez content de trouver un Vigor avec un Clint Eastwood en couverture, tout droit sorti de Kelly's Heroes, De l'or pour les braves, un film que trente ans après Donald Sutherland avait injustement et audacieusement qualifié de "révisionniste".

 
Le bain du pistolero
 

Un nain vaut mieux que deux Rosita

Quel dommage que le nain de L'Homme des hautes plaines ait été remplacé par Rosita (Wanted tome 2, planche 44).Girod, le dessinateur qui passa sa jeunesse a imiter Giraud pour finir par remplacer Swolfs... Voilà qui donne à penser.

On a un tome 5 de Wanted en rayon à Dante. 20€. Je sais qu'il y a pas mal de gens qui le cherchent.

 
Bloody september de Will Argunas, éditions Casterman
 

American vertigo

Ci-contre Clint Eastwood interprète un médecin légiste.

C'est la seconde fois que Will Argunas utilise l'acteur dans une de ses bédés. La première c'était dans L'Irlandais que nous avions abordé dans le cadre de notre clintophilie.

À l'époque Will s'appelait encore Arnaud Guillois. L'Irlandais était une honnête proposition de polar se déroulant dans un cadre parisien vraisemblable. Depuis l'auteur n'a pas su résister à l'attrait de l'Amérique et il s'est rebaptisé Will Argunas, anagramme approximatif de son patronyme du terroir. Sa première œuvre sur ce nouveau terrain, Missing, faisait partie du haut du panier de la première salve d'albums édités par KSTR, le label autoproclamé wok'n'woll des éditions Casterman.

Comme d'habitude je ne me rappelle pas grand chose de précis, mais cette histoire m'avait paru un exercice de style réussi. Le flic hanté et obsessionnel était bien campé et son enquête inaboutie assez réaliste. Le dessin employé, avec ses aspects incertains de gribouillis crasseux dépeignait avec succès une ambiance malsaine et le découpage était efficace.Découpage toujours réussi et cinématographique pour le second opus de Will...

Et pour cause, Black Jake (KSTR encore) est un décalque même pas honteux du Bad Lieutenant d'Abel Ferrara. On y voit donc Harvey Keitel, un flic ripou, se débattre avec ses problèmes de drogue, ses créanciers et toutes ses autres embrouilles. Will a juste transposé l'intrigue sur la côte Ouest et a rajouté une moustache à son flic. Tant de créativité pouvait dérouter, mais l'ensemble se lisait avec le confort que l'on éprouve à s'installer devant un écran pour voir défiler un terrain déjà connu et balisé, ce qui est malheureusement le principe récurrent de l'industrie hollywoodienne.

De l'exercice de style nous étions passé à l'assimilation.Avec le nouvel opus, Bloody September, Argunas enfonce le clou et s'enlise dans le radotage. Devenu simple machine a brasser les clichés télévisuels et cinématographiques en provenance des Etats-Unis, le bédéaste fournit une livraison ultra-prévisible et saturée d'emprunts. Oui car Will a beaucoup regardé son écran depuis la dernière fois...

Des pornos, mais aussi de bonnes séries. Surtout les Soprano. James Gandolfini lui a tapé dans la rétine.  Ainsi les familiers de HBO retrouveront Tony qui n'arrive pas à dormir, Tony en peignoir devant la porte de son frigo, Tony chez sa psy... Tiens elle a le même bureau qu'à la télé. Sauf que là elle est jouée par Glenn Close avec la coupe qu'elle avait dans The Shield...

Construisant son histoire à l'aide de captures d'écran, Will Argunas gratifie aussi son lecteur de la présence d'Eva Mendes en artiste peintre lesbienne (c'est celaaaa oui...), Terry Kinney (le directeur d'Emerald City dans Oz), et de bien d'autres, sans compter ceux que l'on n'arrive pas à reconnaître...

Comme l'intrigue met en scène un horrible serial killer fasciné par la pornographie et les têtes coupées[1], on peut aussi voir des scènes de tournage de X, présentées exactement comme leur rendu vidéo, sans aucun apport de point de vue.

L'ensemble pourrait être drôle comme une satire façon Mad ou Pierre La Police, mais malheureusement l'auteur ne prend aucune distance avec son procédé créatif et semble même se prendre très au sérieux si l'on en juge par l'édifiante liste d'ouvrages cité en bibliographie et par la conclusion de l'histoire, consternante de bêtise à force de vouloir tirer de son intrigue de grandes considérations politico-historiques.

Je me dis qu'un éditeur ne devrait pas laisser ainsi se gâcher un talent dans les brumes télévisuelles... mais après tout, pourquoi est-ce que nous nous obstinons à exiger davantage de la BD que des autres industries culturelles ?

[1]qui utilise les têtes de la même façon que le méchant de Haute Tension d'Alexandre Aja, un autre frenchie qui aime tellement singer les Ricains qu'il a fini par faire des films pour eux.

 
Pour un clin(t) d'œil de plus
 

Tueur repenti ? Jusqu'à quand ?

Grâce à nos chers voisins de Pulp's Comics, j'ai pu lire la dernière sensation yankee qui est sortie cette semaine : Old Man Logan, part 0ne, paru en VF dans la revue Wolverine n°183.

Mark Millar scénarise ce futur délabré dessiné par Steve McNiven, où les vilains ont pris le pouvoir. Si l'affaire ne me convainc pas vraiment pour le moment (en même temps, 24 pages c'est court pour se faire un avis), je n'ai pu passer à côté de la figure de Logan, en vieux tueur repenti, ex-homme le plus dangereux du monde, devenu éleveur de cochons...

J'y vois là un clin d'œil évident à qui vous savez dans un de ses meilleurs films, justement oscarisé. Ce n'est d'ailleurs pas la première empreinte eastwoodienne de la carrière du mutant griffu, mais est-ce vraiment la peine d'enfoncer des portes ouvertes ?

Bon dimanche et bonnes lectures.

 
PUNISHER Max n°6 : LE TIGRE par GARTH ENNIS
 

Récurrence de la figure eastwoodienne (annexe 7)

Le sixième recueil de le collection "MAX" du Punisher[1], contient 4 histoires. Les deux du milieu, scénarisées par Justin Gray et Jerry Palmiotti sont dispensables et assez ridicules. Le personnage de tueuse amazone sicilienne au charme eighties nommée Suspiria est particulièrement dur à avaler. En revanche ces produits médiocres sont encadrés par deux perles signée Garth Ennis, le scénariste qui n'aime pas les hommes au yaourt.

La nouvelle qui donne son nom au recueil, Le Tigre, est dessinée par John Severin dont nous parlions il y a peu. Excellente idée que de demander à un dessinateur né dans les années 20 de mettre en scène une histoire se passant dans l'enfance de Frank Castle, donc dans une sorte d'Amérique de l'ancien temps évoquant aussi bien Sur les quais de Kazan que les bandes de Will Eisner. Un encrage duveteux et une mise en couleurs intelligente (tramant les fonds de croisillons clairs) parfont l'atmosphère brumeuse de souvenirs ayant valeur de mythe fondateur. Si Garth Ennis date précisément la naissance de Frank en 1950 ("1960 : j'ai dix ans") le dessin de Severin évite de trop caractériser l'époque, conscient de la tension qui résulte à envisager un Punisher de... 56 ans[2]. En effet, le personnage du Punisher, par son passé au Vietnam, est cœur d'un des plus important problème auquel sont confronté les animateurs de l'univers Marvel, la vraisemblance historique et le vieillissement des héros...

The Cell, dessinée par Lewis Larosa, a retenue notre attention pour une raison dont vous commencez à vous douter. Ce n'est pas ma faute... Il y a encore Clint Eastwood dedans ! Au début, je me suis dit, ce n'est pas possible, je me fais des idées... On va pas recommencer. Et puis lorsque Stanley m'a emprunté mon bouquin pour le feuilleter et qu'il m'a glissé : "dis-donc, il serait pas un peu eastwoodien celui-là ?", mes réticences se sont évanouies : Oui c'était bien Eastwood qui jouait le Punisher.

Cette histoire carcérale, plongée dans les ténèbres, met bien en évidence les liens qui relient la mythologie du Punisher à celle des incarnations de Eastwood à l'écran. C'est tellement évident que jusqu'à présent j'avais omis d'en prendre conscience ! Un homme seul face au système. Un homme entre deux clans (ses ennemis se comptent des deux côtés de la Loi) . Une vengeance personnelle comme carburant. D'expéditives méthodes... voilà bien des caractéristiques de la figure qui a rendue Eastwood populaire auprès du grand public. Si l'acteur-réalisateur a toujours cherché à éviter tout excès de complaisance envers la violence alors que Garth Ennis aime se baigner dans l'hémoglobine et les tendons arrachés, comment ne pas établir rétrospectivement un parallèle entre les nuances qu'apporte Magnum Force au personnage de Harry Callahan[3] et la défiance du Punisher vis-à-vis de ses émules indésirables, dans la première et jubilatoire mini-série[4] que Ennis consacra au personnage.

Garth Ennis ne semble pas encore prêt à creuser autour des racines de ses propres fascinations barbares, pas plus qu'il ne montre l'envie de mettre en perspective les conséquences de la violence (a contrario du réalisateur d'Unforgiven) en cela ses héros sont plus bronsoniens qu'eastwoodiens. Toutefois, en l'occurrence, sa volonté de relier les actes du Punisher à son passé, son réel attachement au personnage et à son potentiel ainsi que son ardeur à en revisiter les mythes fondateurs, placent les deux récits évoqués aujourd'hui loin au dessus de ses habituelles bidasseries potaches.

[1] Panini France, 2007, 15€ .

[2] et oui, car The Tyger est paru au États-Unis en février 2006.

[3]Magnum Force (1973) de Ted Post, est le deuxième volet des aventures de L'inspecteur Harry. On l'y entend formuler cette fameuse phrase : "Je crois que vous avez fait une erreur de jugement à mon propos."

[4] En français cette série fut publié par Panini dans les 3 premiers 100% Marvel consacrés au Punisher puis regroupé dans un petit format moche mais pas cher distribué par Maxi-Livres : Un monde sans pitié, 2004.

 
Récurrence de la figure eastwoodienne (annexe 6) : théâtre d'ombres
 

Loveless de Brian Azzarello et Marcelo Frusin

Profitons de ce que, pour une fois, l'actualité des publications coïncide avec nos obsessions. Le début de la série Loveless a été traduit en français et publié il y a peu chez Panini. C'est une production du label Vertigo de DC comics. Connaissant l'inclination de cette collection pour le cynisme et une certaine pose adolescente, c'est sans surprise que l'on voit ce récit arborer fièrement sa filiation : le western des années soixante-dix, une fois qu'il a été mastiqué par Leone et Peckinpah.Blackwater, petite ville du Missouri, est la proie de fantômes divers en ces années meurtries qui suivent la guerre de Sécession.

Une armée d'occupation avec ce que cela implique toujours de vilenie, une troupe d'irréductibles dont la cruauté n'a d'égale que le racisme, un nuage de tensions et de rivalités locales et, pour couronner le tableau, un fils du pays qu'on croyait mort, qui s'entoure de mystères et semble venu savourer une vengeance à trois bandes.Azzarello ne se précipite pas pour dévoiler les ressorts de son intrigue.

Le rythme indolent qu'il obtient rehausse les séquences de violence et fait la saveur de ce récit. Néanmoins, faute de caractérisation plus subtile des protagonistes il n'est pas sûr qu'il parvienne à accrocher suffisamment la curiosité du lecteur. En ce sens il n'est pas aidé par le dessinateur, qui, s'il soigne parfaitement le découpage et l'encrage, ne parvient pas suffisamment à différencier les personnages, ni à leur accorder ce surcroît d'âme qui distinguerait cette œuvre des productions communes. Trop marqué par les figures leoniennes et par les lumières de Bruce Surtees et de Jack N. Green sur les westerns de Eastwood, en bref trop imprégné de clichés visuels appréciés du public, Marcelo Frusin ne voit pas les êtres humains derrière les costumes.

Jeu appuyé de références cinématographiques Loveless convoque évidemment la figure de Eastwood au sens propre. Deux personnages se partagent sa panoplie. Le héros vengeur, Wes Cutter, a gagné le poncho de l'Homme sans nom, le chapeau et la paire de colts de Josey Wales et la dynamite de l'Homme des hautes plaines. Le colonel Silas Redd a lui obtenu les traits de l'acteur et sa coupe de 1971. La tronche d'Eastwood était sans doute une référence inutilement appuyée, mais elle apparaît comme un aveu d'amour et est ici métonymique du western cinématographique en général.

Si les inspirations revendiquées de Loveless ont toute notre sympathie, on souhaite que par la suite les auteurs cherchent un peu moins à satisfaire les fans qu'ils sont et s'aventurent sur le terrain d'une création bédéïque plus ferme dans ses bottes, affranchie du cinéma.

Loveless tome 1 : Retour au bercail, de Brian Azzarello (scénario) et Marcelo Frusin (dessin), Panini comics, 2008, 13€.Lire également dans nos archives :Récurrence de la figure eastwoodienne : vanités des vanitésRécurrence de la figure eastwoodienne, annexe 1 : Black is beautifulRécurrence de la figure eastwoodienne, annexe 2 : Dans l'ombre du pistoleroRécurrence de la figure eastwoodienne, annexe 3  : L'oncle d'IrlandeRécurrence de la figure eastwoodienne, annexe 4: Blah BlahRécurrence de la figure eastwoodienne, annexe 5 : Jeunes talents Fnac 1999