Publications dans Avril 2009
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A Dante :

Mémoires de l'espion, Serge Clerc, Humanos, 1982. Bel état mais petit défaut à la coiffe. 45€. vendu

Sitting Bull, Jijé, Bédésup, 1982, TBE, 30 €. vendu

Tif et Tondu, Dupuis, EO, t.22 (BE 35€), t.25 (BE 35€), t.30 (BE 30€).

Marcel Labrume, t.2, Micheluzzi, Humanos, 1983, BE, 20€.

Dorianne (Armalite 16 troisième époque), Crespin, Humanos, 1985, Tirage de tête dos toilé, 999 exexemplaires, numéroté et signé. Un peu frotté. 18 €. vendu

 
Un îlot de bonheur de Chabouté
 

Par Laurent Benosa

Laurent Benosa avait pris contact avec nous il y a quelques temps, suite à une chronique en ces pages de planches qui lui valurent un prix. Il souhaitait partager avec nos lecteurs son attachement pour Chabouté et notamment pour son album Un îlot de bonheur. Cet ouvrage, édité par Paquet en 2001 était depuis longtemps introuvable. Alors que les éditions Vents d'Ouest vont le ressortir ces jours-ci, dans un volume de la collection "Mini Integra" le groupant avec Quelques jours en été, il nous a semblé qu'il était temps de dérouler ici la très minutieuse analyse de Laurent (Thierry Groensteen, prends garde à toi !):

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Avec cet album de Christophe Chabouté, les éditions Paquet nous invitent à passer un vrai moment de bonheur. Le petit format utilisé introduit une proximité rassurante qui se transforme vite en complicité. Le premier contact est agréable, avec une couverture satinée où une vignette extraite de l'album a été retouchée pour la circonstance : elle introduit des nuances de gris et se détache sur un fond de feuilles d'automne, saison à laquelle se passe l'action. La continuité graphique des feuilles à cheval sur première et dernière de couverture incite à retourner l'album au verso duquel on découvre un harmonica, accessoire narratif essentiel.

Si ces "feuilles mortes qui se ramassent à la pelle" font peut-être penser à la chanson de Prévert, c'est sur une autre musique que celle de Kosma que Chabouté nous conte, dès les premières pages d'Un îlot de bonheur, une histoire familiale à la fois simple et dramatique. Elle met en scène peu de personnages – une famille réduite (le père, la mère, un garçon d'une douzaine d'années) et un clochard atypique – dans un nombre restreint de lieux. Les personnages secondaires – policiers, professeur, élèves, quelques promeneurs – contribuent au réalisme par leur courte apparition.  La profondeur de cette œuvre réside essentiellement dans l'entrelacement pertinent des dimensions psychologiques et sociales révélées par les choix graphiques de l'auteur. Cette position scénaristique inscrit cette œuvre dans les mouvements héritiers du réalisme socialiste : Néo-réalisme, Nouvelle vague, Cinéma novo...

Avec finesse, les éléments constitutifs du système de la bande dessinée sont ici mis à contribution dans un dessein (dessin) précis, empreint de toute l'humanité de Chabouté. Si les lecteurs pressés d'albums de bandes dessinés semblent parfois inconscients des richesses spécifiques du neuvième art, se contentant d'une narration souvent efficace, parfois plus recherchée, ils auront tout intérêt, sur le plan plastique, à ne pas s'arrêter aux seules qualités du trait. En restant aveugle aux subtilités des ellipses mises en place par les intervalles entre les vignettes, appelées "gouttières" par les anglo-saxons – cet "espace intericonique" mentionné par Peeters[1] et dont l'analyse a été formalisée par Groensteen sous le terme d'arthrologie[2] – le lecteur risque de perdre de vue la substance même de la bande dessinée en tant que création artistique.

Nous allons essayer, comme le clochard, "D'OUVRIR LES YEUX SUR CE QUE LES GENS NE SAVENT PLUS VOIR".

La bande son

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Ce qui frappe à la première lecture, c’est la grande économie de la bande sonore. Les phylactères ne fournissent que peu d’informations précises sur les protagonistes ou la situation de l’action. On connaît l’âge du gamin, la situation familiale du clochard et en assemblant les informations, le lecteur peut également déduire la situation professionnelle du père, sans doute ouvrier spécialisé dans le bâtiment.  Quelques textes présents dans le dessin nous apprennent la classe du gamin et la faiblesse de sa maîtrise de la langue écrite, tandis que la situation géographique de l’action nous est fournie en page 123 («

à 6 heures de train de Nice

»), et la période (postérieure à 1998) par le maillot de la page 33.  On ne connaît rien d’autre de ces personnages (nom, prénom, résidence...) sauf pour le fils du clochard, Thomas, et d’ailleurs nous reviendrons plus tard sur ce fait qui nous semble loin d’être anodin.

Mais cette discrétion ne signifie pas un désinvestissement de l’auteur pour la composante textuelle du neuvième art, cette bande son « on » et « off ». Au contraire, Chabouté compose avec les nuances que permet le texte en les mettant au service d’une palette d’émotions variées

[3]

. Nous allons essayer d’analyser les échanges féconds qui naissent dans cet album de la juxtaposition des images et du texte.

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Ainsi, les difficultés de communication entre les parents se traduisent par deux manifestations graphiques opposées.  

Elles sont d’abord rendues par les séries inattendues de cases silencieuses. En premier lieu pendant un repas qui d’emblée ne manque pas de sel (pages 5 à 8) : quoi de plus surprenant en effet que cette réunion familiale plongée dans le mutisme le plus complet ?  

Par un glissement de sens de la nutrition, les repas permettent soit une mise en scène des rapports sociaux soit des rapports psychologiques qui existent entre les personnages.

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« Tout parle dans un repas, et pas seulement les acteurs. L’alimentation est le besoin le plus quotidien, le plus fondamental qui soit. Un repas en commun est donc un lieu hautement privilégié où se rencontrent les besoins fondamentaux de la physiologie individuelle et ceux, non moins fondamentaux de l’échange culturel, social, collectif. A table, se dévoilent les différences psychologiques et sociales entre les individus, les hiérarchies qui organisent leurs rapports, mais aussi parfois leurs ressemblances, leur fraternité. A table s’échangent les deux seuls besoins fondamentaux : le pain et la parole. » [4]

Dans cette séquence d’Un îlot de bonheur, la combinaison de la gestion des raccords entre les cases et de l’absence de texte développe immédiatement l’aspect oppressant de cette relation où l’enfant est désigné tout de suite comme la victime, et la mère comme le bourreau, point sur lequel nous reviendrons plus tard.

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Mais ces difficultés de communication se visualisent également avec des bulles carrées aux flèches agressives.

Ces bulles envahissent peu à peu les cases jusqu’à former une quasi vignette dans laquelle s’inscrit le gamin, coincé entre les mots (les maux!) de ses parents (pages 9 à 13, 29 à 30) puis comme un feu d’artifice nocturne en page 87 et 88.  

Même la calligraphie est ici mise à contribution par la graisse et la taille des caractères.  

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Seule la fuite physique ou psychique permet à l’enfant d’échapper à cette logorrhée. La fuite de l’enfant à l’extérieur de la maison (dernière case de la page 13) permet dès la page suivante un retour absolu au silence. Silence qui finit pourtant par devenir pesant tant il est inhabituel par rapport au caractère urbain des cases concernées (pages 14 et 15). La désorientation du gamin est ici admirablement rendu par l'apparente incohérence des changements d'axe du point de vue qui brise la linéarité du déplacement.

En plus des séries de vignettes muettes, les silences ménagés par un grand nombre de cases isolés participent au rythme particulier de cet album. C’est essentiellement lors des échanges entre le gamin et le clochard que ces silences prennent une signification particulière. Contrairement à ce qui se passe d’habitude dans la lecture de bandes dessinées où le texte ralentit la progression de vignette à vignette en imposant de passer plus de temps sur certaines cases, ne serait-ce pas ici les silences qui incitent le lecteur à s’arrêter ? Cette pause est indispensable pour saisir les émotions qui surgissent.  

Ces deux amis ne parlent pas pour rien dire. Le gamin, tout comme le dialoguiste Chabouté, n’a « pas été croisé avec un perroquet ». Mais s’il n’est « pas très causant »,  il exprime de nombreux sentiments par ses silences : la circonspection des pages 37 et 38, la compréhension en page 52, l’attente interrogative réciproque en haut de la page 77, la réflexion page 79, la tristesse page 80, l’accablement en haut de la page 81 et la surprise plus bas, l’amitié page 84 par exemple. Encore est- il difficile de n’attribuer qu’un seul sentiment à chacune de ces cases. Les pages 95 à 99 offrent ainsi six cases magnifiques par la tension provoquée par ces interruptions entre des répliques souvent en contrepoint :

Le clochard : " TU SERAIS FIER D'AVOIR UN PAPA CLOCHARD, TOI ? "

silence,  

Le gamin : " MON PERE C'EST UN SUPER HEROS " (page 96)

Le clochard : " IL FAUT DU COURAGE POUR ETRE UN BON PAPA, TU SAIS !!"

silence

Le gamin : " EN TOUS CAS, MOI JE SERAIS FIER D'AVOIR UN PAPA QUI VIT SOUS LES ETOILES..." (pages 97-98)

Le clochard : " ILS (tes parents) ONT FAIT LEURS CHOIX... TOI TU VAS FAIRE LES TIENS..."

silence

Le gamin : " VOUS AVEZ DES ENFANTS VOUS ?" (pages 80-81)

De telles cases, on le comprend aisément, sont rares entre les membres de la famille. On n'en compte

que deux : l'une au début de l'album en page 10 lorsque l'enfant réalise avec appréhension qu'une

scène se met en place entre ses parents, l'autre à la fin de l'album (page 111) lorsque la

communication  semble enfin s'établir de façon sereine entre le père et son fils, en l'absence semble-t-il de la mère, ce qui demande quelques éclaircissements apportés plus loin.  

Remarquons également que l'harmonica qui joue un rôle important dans la rencontre entre le clochard et le gamin, et permet un transfert de communication du clochard au père, demeure silencieux.

Personne n’en joue. Non utilisé, cet instrument introduit un élément scénarique qui ne relève pas de la musique : par un glissement phonétique [harmoni-ca], il symbolise l’harmonie invitée enfin dans cette famille déchirée. Il restaure le lien avec les générations précédentes puisque le grand-père en jouait à son fils. Le gamin s’inscrit alors dans une continuité générationnelle, source d’une espérance dans l’avenir.

L’identification

Grâce aux phylactères, un phénomène important est à l’œuvre dans cet album. Chabouté tire profit de l’ambiguïté quant à l’attribution de telle ou telle parole. Par un usage judicieux de la présence verbale d’un personnage situé dans un hors-champ visuel, il introduit une confusion fertile en sens.  Le problème psychologique crucial auquel est confronté le gamin réside dans la difficulté de s’identifier à son père. Il se traduit graphiquement par une confusion dans les possibilités d’identification ou de reconnaissance qui lui sont offertes.  

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Dans ces vignettes, l’enfant semble prendre pour lui les remarques que sa mère adresse à son père.  Dans la dernière case de la page 12, le père est situé dans un hors champ à l’intérieur de la case, juste derrière le gamin. Les mots « TOI AUSSI TU M’EMMERDES !!! » semblent prononcés à la fois par le père et son fils.

Mais cette case permet également une autre lecture tout autant plausible que riche d’enseignements :

les mots seraient adressés au gamin. Cette lecture avec confusion de destinataire est confirmée dans la page suivante puisque le destinataire des paroles y est justement absent.  Tandis que le gamin ouvre la porte, n’entend-il pas « TU VAS LA FERMER OUI ?! ». Et que penser de la réplique suivante « çA FAIT DOUZE ANS QUE TU M’EMMERDES ! », lorsque l’on considère que la période incriminée semble correspondre à l’âge de l’enfant ?

Le processus d’identification au père, indispensable au développement du fils, est ici bloqué par la crise que traversent les parents.

La première case de la page 29 est plutôt édifiante. Par sa taille, elle s’impose dans toute la double page offerte au regard. Ensuite, l’immobilité et le silence du gamin tranchent avec les autres cases.  Mais le plus surprenant, c’est l’agencement particulier des éléments de cette case. Le gamin est positionné exactement dans le prolongement du copeau de bois produit par le travail du père. Tout se passe comme si l’enfant attendait d’être sculpté par son père. Pour prendre forme ?  Toujours est-il qu’il y a du Pinocchio dans ce gamin.

Cependant, à la fin de cette page, ce n'est pas la bonne fée qui intervient, mais la "méchante" maman.

Elle scinde l'espace de la case en deux parties, par sa personne et par les bulles qui lui sont associées. Le père et le fils se retrouvent séparés, chacun à une extrémité de la case, la ligne de leurs regards interrompue par l'intervention de la mère.

Chabouté offre alors au gamin une issue merveilleuse grâce à la rencontre d'un autre adulte.

Ce personnage va permettre une nouvelle identification. Elle intervient d'ailleurs avant que l'on découvre le clochard, par un emploi judicieux de la position particulière de la dernière case de la page 19.  

Le gamin s'est peu à peu décalé vers la droite de la case horizontale, créant de façon déséquilibrée un espace vide qui réclame une présence.  

La parole qui surgit off semble vraiment s'adresser à lui, et non au clochard que l'on ne voit d'ailleurs pas encore :  

— ON T'A DEJA DIT QU'ON VOULAIT PLUS TE VOIR ICI !!

Ainsi, dès son introduction, ce personnage sans domicile fixe semble voué à permettre l'identification.

Dans la page suivante, une case est construite de telle sorte que les policiers encadrent le gamin et semblent donc s'adresser à lui :

— PAS DE CLODO ICI !!

— TU DEGAGES !

On retrouve cet artifice page 99, où les deux amis sont réunis dans la même case ("ENCORE TOI !!!").

Par cette identification, le gamin agit comme si le clochard, barbu également, devenait son père.  

La ressemblance entre le gamin et Thomas, le fils du clochard, est visible en pages 88 et 89, accentuée par la mise en double page particulière, et la direction du regard sur la photo de Thomas.

Les deux cases supérieures et les deux cases inférieures sont construites à l'identique, dans un effet de symétrie. Le clochard semble penser au gamin en page 88, et à son fils en page 89. D'ailleurs, si le clochard l'aide  à retrouver son père en abandonnant la barbe qui le lui faisait ressembler, et en transférant l'harmonica symbolique, autant le gamin l'incite à retrouver son fils.  

Revenons sur le fait que nous ne connaissons qu'un seul prénom, celui de ce fils. Sans doute le choix du prénom Thomas fait-il référence inconsciemment au besoin de voir pour croire, de voir son père pour croire à son existence. Mais ce prénom n'a t-il pas aussi pour fonction de bloquer une possible adoption spirituel ? Son prénom confère à ce fils une existence plus réelle que celles des autres personnages : il en devient plus précis que le gamin. Ce dernier peut donc difficilement prendre sa place. Le lecteur ne peut à aucun moment envisager qu'il s'en aille avec le clochard. L'issue est attendue au sein de la famille du gamin, et plus spécifiquement du côté paternel.  

D'ailleurs, ne trouve-t'on pas systématiquement une porte ou une fenêtre dessinée dans la même case que le père ?

Le découpage : rapport au temps, rapport à l'espace

Nous allons maintenant tenter d'analyser une opposition qui n'est qu'apparemment contradictoire entre la précision chronologique et les traitements irréalistes de certains passages.  

L'époque est donnée dès la couverture, et précisée par de nombreux indices narratifs. Il s'agit tout d'abord de la copie du gamin qui associée à une consultation des calendriers récents - en partant d'un principe de réalisme en accord avec la tonalité documentaire de cet album - donne bien comme date de départ de l'histoire, le premier jour de l'automne de l'année 1999.

Ensuite, l'articulation des différentes journées est assurée précisément par les dialogues : "pour l'autre jour", "A demain", "Demain, on est dimanche", "tu n'es pas venu hier"...

Diagramme chronologique

Mis à part cette précision, la gestion de la durée par Chabouté interpelle le lecteur attentif : il ne peut que constater que le traitement du temps n'est pas homogène sur l'ensemble des journées.  

Ainsi la position identique des mains des parents d'une case à l'autre des pages 6 et 7 fige le déroulement de cette séquence. Cette immobilisation correspond au passage des deux oiseaux, dont la récurrence sera abordée plus loin.

Ensuite, nous remarquons que les quatre premières journées coïncident avec les chapitres, ceux-ci se terminant sur la phase nocturne.  

Mais le lundi marque une rupture à plus d'un titre. Plusieurs chapitres sont nécessaires pour couvrir cette journée ainsi que celle du mercredi. De plus, c'est la dernière journée dont on verra la nuit. Et quelle nuit ! Alors que la lune se présente dans son premier quartier dans la nuit du samedi, la pleine lune est visible dès le surlendemain, alors qu'elle ne devrait survenir qu'une dizaine de jours après !

Cette lune en avance est nécessaire pour éclairer au sens littéral comme au sens figuré la scène conjugale en la connotant sexuellement. La grande taille de la case de la page 88 insiste sur son importance symbolique.

Ce sera la dernière nuit présentée : sans doute le problème fondamental des parents étant désormais

clairement exposé à la conscience du gamin, les soirées ne sont-elles plus nécessaires à la dramatisation des relations familiales.  

Le choix des endroits où se déroulent les rencontres est également très intéressant : les lieux choisis relèvent essentiellement des sphères psychologiques de l'individu. Il n'y a aucun lieu de loisirs, aucun site de travail productif - le collège faisant davantage référence à l'activité éducative.  

La ville est peu présente graphiquement : ce manque de précision géographique participe de la caractérisation psychologique des lieux, même si Chabouté n'apprécie pas dessiner la ville :

"Dans une ville, je ne vois pas la ligne d'horizon, cela m'oppresse et il n'y a pas suffisamment d'arbre. La ville ne me fait pas vibrer. Après tout il faut aimer les choses qu'on dessine."

[5]

On peut également remarquer que deux psychologies se rencontrent.

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La maison et le collège sont à la fois des lieux de rencontre et de réflexion, d’introspection. Ils sont en accord avec la situation psychologique du gamin, empreinte de dépendance à la double référence familiale et éducative.

Les lieux associés au clochard sont liés à l’errance du sans domicile fixe. Le clochard apporte les germes d’un ailleurs plus humain. Les oiseaux - qui vont en couple, faut-il le souligner ! - que le gamin envie à trois reprises (pages 5, 45 et 62) ne peuvent représenter un avenir potentiel, à moins de croire en la réincarnation.

Les deux naufragés de l’existence vont s’offrir l’un à l’autre une chance de salut sur l’îlot que représente ce banc - en bois, comme le radeau de tout naufragé- au milieu du parc municipal.  Il y a même un arbre. En effet, l’enfant que tout lecteur a été ne dessinait-il pas un îlot avec un arbre planté en son centre ? En s’approchant de ce banc, on sent presque le sable crisser sous les semelles ! Même les requins rodent et mettent en danger cette belle amitié.

La dimension sociale

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Le discours de Chabouté n’est absolument pas déconnecté d’une réalité sociale lourde de conséquence. Les difficultés financières d’une classe ouvrière qui même si elle est parvenue à la propriété, est confrontée à une certaine précarité. Le père est obligé de faire des heures supplémentaires, provoquant une absence qui est néfaste à sa vie de couple. Sa femme ne se plaint-elle pas d’être « la boniche ».  

 Il semble qu’elle soit la seule à veiller à la propreté vestimentaire, aux respects des heures de sommeil, etc.  Toujours est-il qu’elle a le rôle le plus ingrat dans cet album. Faut-il y voir une critique de la condition de femme au foyer, situation archaïque dans le monde actuel, mais parfois imposée par les circonstances économiques : chômage, garde d’enfant, trajet domicile/travail ?

La taille de la première vignette de la page 10, qui occupe toute la hauteur de la page permet à la mère d’y exprimer ses revendications.

L’impact social des problèmes de cette famille se retrouve dans les relations qui existent entre le gamin et le milieu scolaire. Davantage que sa rédaction à l’orthographe médiocre, la première case du chapitre 2 traduit graphiquement l’accablement de cet enfant sous le joug de l’établissement scolaire.  

On se demande tout de même pourquoi l’enseignante ressemble étrangement à sa mère : coupe et couleur de cheveux, sourcils, boucles d’oreilles.  

Une analyse de l’image de la femme dans l’œuvre de Chabouté, en dehors de son album Sorcières, où elles n’apparaissent vraiment pas sous leur meilleur jour, mériterait d’être menée !

[1] Lire la bande dessinée, Peeters, Champs Flammarion 1998. .

[2] Système de la bande dessinée, Groensteen, PUF formes sémiotiques, 1999.

[3]Dans un entretien d’octobre 2008 – CaseMate n°8 – Chabouté précise : « Mes cases silencieuses parlent autant que les autres. Peut-être même plus »

[4]L'écriture cinématographique, Pierre Maillot, éditions L'Harmattan, 1997.

[5]Itinéraires dans l'univers de la bande dessinée, éditions Flammarion, 2003.

 
l'Eternaute : le film
 

Hola chicos,

Sans connexion internet durantplusieurs jours, je n’avais pas pu vous en tenir informé. Mais lors de monséjour à Buenos Aires, j’ai rencontré Lucrecia Martel. Elle m’a invité chezelle un soir pour parler du projet filmique de L’Eternaute. Au début je voulaisfaire, réflexe pavlovien de critique, une interview. Mais dès les premières minuteselle m’a prévenu : le projet n’est pas signé. Ce soir on échangera despoints de vues ou des idées, l’interview se fera plus tard, si elle fait lefilm.

Bref, il y a quand même plusieurschoses que j’ai droit de révéler et qui, d’ors et déjà, donnent une idée deson projet, alléchant je dois avouer. D’autant plus qu’il est aux mains de ce queje considère clairement comme l’une des plus talentueuses cinématographes d’aujourd’hui(merci TG pour la découverte et ses coordonnées)

1° : ce ne sera pas uneadaptation, mais une réécriture. L.M ne voit plus l’intérêt de parler de la dictaturede nos jours. L’Argentine est selon elle à l’abri pour quelques temps, protégéeà la fois par son système législatif et par l’appréhension encore très présenteà l’esprit de ces concitoyens. Elle voit d’autres fléaux bien plus menaçantsaujourd’hui, et c’est d’eux dont son Eternaute va parler.

2° : L.M a conscience queson film pourrait être le premier film de genre science-fiction ou fantastique ducinéma argentin. Elle travaille donc à définir ce qui pourrait constituer uneidentité sud-américaine. Pour elle, il est primordial que ce film soit culturellementmarqué dans son esthétique et son traitement.

3 °: Le script est à moitiéfini. Elle a quelques difficultés à incarner sous forme de monstres et autresfantasmagories les maux qu’elle devine dans la société argentine contemporaine.Pour ce que j’en ai vu, c’est très cohérant, finement pensé, et assez beau. L.Ma une grande culture du film d’horreur et sait parfaitement ce qu’elle aimedans ce genre. Elle bossait d’ailleurs à un projet de la sorte quand lesproducteurs l’ont contacté pour adapter l’Eternaute. Honnêtement c’estprometteur.

4° : Pourquoi le projet tardetant à se mettre en place ? Pour plusieurs raisons. Tout d’abord lesréticences de producteur à son idée de réécrire L’Eternaute. Des questions demoyens, ensuite, vu qu’un tel projet coûte inévitablement plus que les films qu’ellea l’habitude de réaliser. Bref, elle saura plus ou moins avec certitude d’iciquatre mois si le projet se fait ou non. Le tournage aurait alors lieu en 2010.

Voilà, je n’en dirais pasbeaucoup plus pour le moment. Mais comptez sur moi pour retourner en Argentinesi le projet est signé pour faire une grande interview et des photos detournages.

Beso.

S. d'Argentine

Ci-joint, photo d’une étrangecafé musée de la bande dessinée argentine, où j’ai vu plein de dessinsoriginaux et de très veilles historieta,dont des E.O de l’Eternaute

Edit : avant de pleurer ou de vous réjouir, jetez un œil sur les commentaires.

 
Courts-métrages et super héros
 

Bilan de la soirée d'hier

Un agréable sous-sol métal-goth avec ossements et fûts de bière, une petite salle de projection bien aménagée, même s'il faudrait réserver les premiers rangs aux respectables citoyens de moins d'un mètre cinquante... tel était le cadre du "Jeudi de l'angoisse : super héros" organisé par Mathieu Berthon et Alain Cogne à La Cantada II.

Nous avons ainsi pu voir une volée de courts-métrages inspirés par le mythe du Super héros. Comme prévisible la plupart des productions souffrent de deux syndrômes, classiques dans le fan-art :

1) un humour potache régi par une règle : l'inversion des valeurs. C'est parfois drôle et souvent répétitif.

2) le souci de produire à tout prix pour s'exercer... Les auteurs se focalisent alors sur les aspects techniques au détriment du scénario.

Ceci étant posé, il y avait pas mal de choses intéressantes.

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Les courtes animations sobrement intitulées Super de Christophe Blanc étaient bien dessinées et son Génèse assez poétique, même si je n'ai pas bien compris (il faut dire qu'au début du film, mon portefeuille est tombé de ma poche arrière et que ça m'a perturbé de le rechercher à tâtons).

Superman va en baver de Frog and Rosbif très simple et efficace m'a bien amusé. L'acteur escargot est très fort et il me semble qu'il n'était pas doublé dans les scènes d'action.

Techniquement très abouti le Batman: Ashes to Ashes de Julien Mokrani et Samuel Bodin, dans le registre Sin City mais en mieux, souffre d'un scénario extrêment confus et est plombé par une volonté d'avoir l'air finaud alors qu'en fait l'histoire est basique.

Mon coup de cœur ira certainement au Lovin' Mary Jane de Paul Belêtre et Stefan Gaillot : ludique, harmonieux et débarrassé de la contrainte de l'intrigue par le choix du film musical. Il est vrai que voir Octopus passer de DR à DJ en s'installant aux platines est un spectacle déjà bien réjouissant.

Notre impression générale à la vision de cet assortiment est que cette génération de fans trentenaires semble avoir surtout retenu de ses lectures que la violence c'est fun et qu'un Super héros c'est quelqu'un qui cogne, davantage que quelqu'un qui lutte pour la Justice. Même si ce constat est un peu désagréable il n'est guère surprenant, assez en phase avec les productions yankees de l'époque, qu'elles soient cinématographiques ou bédéïques.

Je ne peux vous parler du long métrage canadien Cul-de-sac, car nous sommes alors honteusement partis manger une choucroute, non sans avoir préalablement distribué les lots de bédés que nous avions apportés lors d'une amusante tombola.

Gare au loup !

Pour finir j'ai glané dans cette distrayante soirée un genre de scoop pour les bédéphiles : Aurélien Poitrimoult, le réalisateur de Green Hornett (court-métrage aux combats très bien menés, mais lénifiant pour cause d'indigence du scénario) est en train de travailler sur un court métrage qui sera distribué sur DVD en même temps que le cinquième et dernier tome de la série Garous (Ed. Soleil). L'histoire en a été scénarisée par Jean-Charles Gaudin lui-même. Ce sera donc un petit plus, un à-côté complémentaire à la série.

A noter, car je ne perds pas trop le nord, que nous avons justement quelques tomes de Garous anciennes maquettes à des prix très agréables en ce moment dans notre magasin de la rue Serpente... 

 
Soirée Super héros à La Cantada...
 
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La Cantada II (13 rue Moret, 75011 Paris - 01.48.05.96.89 - M° Couronnes/Ménilmontant), je n'avais pas entendu parler de ce bar, jusqu'à ce que nous soyons partenaires de la soirée qui y a lieu ce soir...

Une soirée consacrée aux Super héros, avec moult courts métrages et un film canadien, peuplé, paraît-il, de Ninjas...

Au programme à partir de 20h  :

-Batman : Ashes to Ashes de Julien Mokrani et Samuel Bodin

-The Punisher de David Sarrio

-The Green Hornet de Aurélien Poitrimoult-Lobotoman de Fabrice Blin-Génèse de Christophe Blanc

-Fils de justicier de Nathalie Saugeon-Spiderman vs Panther de Paul Belètre

-Superman va en baver de Frog and Rosbif-CMD+Z de Kris Wong, Daniel Chang,Michael Relth et Andrew Tan+ trailers + surprises

Et à partir de 22h:

Le long-métrage CUL-DE-SAC de Jean-Mathieu Bérubé et Carlo Harrietha (1h30)

Désolé de vous prévenir si tard, mais il reste tout de même quelques heures aux parisiens pour se décider. J'y serais en compagnie de Lady Stardust. Patrick Batman serait bien venu mais il est bloqué par une soirée crevettes asperges.

 
Les Guerilleros de Jesús Blasco
 

Un méridional exubérant

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Dans cet album de 1980 reprenant en noir et blanc deux histoires complètes jadis publiées en couleurs dans le journal de Spirou à la fin des années soixante, on rencontre un pistolero nommé Ray Walker. C'est le héros. Il porte un tout petit chapeau et, à la façon dont il noue le ruban qui lui serre  le col, on peut supposer que pendant la guerre de sécession il devait être sudiste.

C'est bien connu, contrairement aux yankees, les rebelles ont toujours apprécié la fioriture vestimentaire. Ainsi il porte son colt la crosse en avant. De surcroit son holster est tantôt sur sa hanche gauche, tantôt sur la droite...L'acolyte de Ray est un jeune apache nommé Yuma. Comme tous ceux de son espèce qui ne forcent pas trop sur la bouteille, Yuma est un fin pisteur et il a du flair. Dans les deux aventures qui nous occupent les deux compères ont affaire à un sacré loustic : Don Pedro Alvarado de Guzman, un mexicain roublard et pochtron, mais terriblement attachant, un peu à l'image de son contemporain Tuco, le "truand" joué par Eli Wallach dans Il buono, il brutto, il cattivo de Sergio Leone.

Comme souvent quand le héros est un type insipide sans peur et sans reproches, confit dans ses certitudes et son machisme, ce sont les personnages secondaires qui portent le récit. Don Pedro est parfait : il met en péril les héros sans être vraiment méchant, il leur donne un coup de pouce sans être vraiment gentil. Surtout il est drôle et flamboyant et se montre tout à la fois grotesque (rampant en pyjama dans les joncs) et magnifique (mettant en déroute les sales types, insouciant de la mitraille sous l'effet euphorisant de l'alcool).

Tout ceci ne serait rien sans le trait de pinceau vif et généreux de l'espagnol Jesús Blasco, qui, s'il fut fameux de l'autre côté des Pyrénées, est resté quelque peu dans l'ombre par ici, excepté pour les amateurs de petits formats et de "bandes dessinées insolites", car il œuvra beaucoup pour la très étrange série anglaise Main d'acier (Steel Claw).

Il serait très regrettable que nos clients et lecteurs se privent de ce bon western, magnifiquement dessiné, alors qu'il ne coûte que 8€ dans notre librairie...

Ce qui pour un bouquin de presque trente ans et tiré seulement à 2100 exemplaires, est une affaire aguichante.

 
Dernier Jour à Buenos Aires
 

Par S., plus fainéant qu'immodeste (il faut bien répondre à la vilénie de ses collègues)

  Comme vous l'avez compris, je suis fainéant. Et la carte postale numérique a cela de pratique qu'elle économise bien du temps. Buenos Aires, donc, est une ville magnifique bien que peu dépaysante. C'est un paradoxe, un mélange d'espaces verts et de flux automobiles délirants qui offre l'impression d'être au calme alors que l'agression urbaine est au plus fort.

Vous pourrez dire à Véronica qu'elle avait raison : je me suis fait pour la première fois de ma vie chourrer en vacances, mon disque dur portable avec non moins de six mois d'archive photo, dans la soute du bus, probablement par des employés de la compagnie. Ca m'apprendra à aller à la mer.

En attendant, une petite photo du jardin botanique, une merveille de verdure en plein chaos citadin.

bises à tous.

Le seul et l'unique aaapoum du monde.

 
Pour un clin(t) d'œil de plus
 

Tueur repenti ? Jusqu'à quand ?

Grâce à nos chers voisins de Pulp's Comics, j'ai pu lire la dernière sensation yankee qui est sortie cette semaine : Old Man Logan, part 0ne, paru en VF dans la revue Wolverine n°183.

Mark Millar scénarise ce futur délabré dessiné par Steve McNiven, où les vilains ont pris le pouvoir. Si l'affaire ne me convainc pas vraiment pour le moment (en même temps, 24 pages c'est court pour se faire un avis), je n'ai pu passer à côté de la figure de Logan, en vieux tueur repenti, ex-homme le plus dangereux du monde, devenu éleveur de cochons...

J'y vois là un clin d'œil évident à qui vous savez dans un de ses meilleurs films, justement oscarisé. Ce n'est d'ailleurs pas la première empreinte eastwoodienne de la carrière du mutant griffu, mais est-ce vraiment la peine d'enfoncer des portes ouvertes ?

Bon dimanche et bonnes lectures.

 
Davantage de Breccia !
 

Une promenade ailleurs...

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A l'occasion de l'exposition à la galerie Martel  (jusqu'au 11 avril - Prolongée jusqu'au 25 avril !!! -), le site Point G nous régale d'un "gros dossier" sur Alberto Breccia.

Au programme, un montage de films qui nous montre le Maître au travail et s'exprimant avec lucidité ("un éditeur est un homme qui vend des livres comme des saucissons"), une interview de Latino Imparato des éditions Rackam et José Muñoz qui commente quelques originaux.

Bravo.