Souvenirs d’enfances, mise en abyme de la pratique du dessin ou interrogation des affres du créateur, une peinture précise de la normalité du jour après jour, tirant de son expérience personnelle, singulière, le multiple parlant au plus grand nombre, à chacun de nous.
A priori, là se trouve l’intérêt de ce genre fictionnel. Si on veut savoir avec qui le yorkshire de Madonna a chopé la myxomatose (Elton John ? Possible…) on ouvre « Poils de cul images des blondes », pas le dernier Crumb.
Seulement voilà, à force de lire leurs petites histoires, de se marrer aux anecdotes de beuveries dans les festivals, de regarder s’étaler en noir et blanc ou couleurs directes leurs coucheries et autres ivresses de l’onanisme, on s’est habitué à leur intimité, on a cru bien les connaître, et on a fini par ne plus voir qu’eux, non l’histoire racontée.
Ce n’est pas pour rien que Soleil a tenté un journal d’articles et d’interviews plus « léger », abondamment illustré non de dessins mais bien de photos, prises sur le vif, essayant de saisir la star sommeillant chez l’auteur de Bd. Choper l’état d’esprit, les demandes inconscientes du public est la marque d’un éditeur compétent s’pas. Manque de pot, les dessinateurs se débrouillent très bien tout seuls, qui mieux qu’eux pouvant maîtriser les images de autopeoplelifiction. Quand ce n’est pas leur compagne s’y roulant avec délectation.
Exemple au hasard (mais alors vraiment au hasard l’exemple. Sarcastique moi ? Jamais) : «fraise et chocolat 2 le retour de sa verge dans mon fion ou son écume à la rencontre de ma vague parce que la poétique orientale sexuelle c’est trop classe ». Soit un lourd prémisse de cette tendance, l’argument en est simple, classique en un sens, un couple, lui mûr et mature, elle dans l’espérance pétillante de la jeunesse, s’aiment et adorent baiser ensemble. Elle narre cela en naïveté fraîche, pleine d’une pudeur exhibitionniste, car ce vécu est bien trop puissant pour ne pas le partager avec le monde.
En soi, on aime ou aime pas, qu’importe (Pardon ? Une appréciation négative semble transparaître de mon propos ? Etrange, un aaapoumien est d’une objectivité sans failles, c’est un critère de recrutement, si, si, regardez Vlad)[1]. Non, si un tic agite pensivement mon sourcil gauche c’est en constatant que le protagoniste mâle en question est un auteur connu, principalement pour ses ouvrages autobiographiques (Encore qu’on ait déniché une série historique de jeunesse à base de romaines dénudées, tout se trouve chez Aaapoum Bapoum)[2], où il découvre que les Français ont un super pouvoir avec les japonaises, je vous laisse deviner lequel. Et là, bardaf, la question s’abat avec toute la légèreté d’un carnet de Sfar sur le crâne d’un représentant fourguant son troisième office de la semaine (Mais non ça n’a aucun rapport avec Fox…)[3] : en quoi le fait de savoir le nom de cette personne, et donc sa notoriété (A la mesure du milieu, relative quoi), apporte quoi que soit à l’histoire ?
A part flatter l’instinct mortifère du voyeurisme (Et accessoirement m’énerver) ?
Aucune création de sens n’influe cette tendance : les états d’âmes des « stars » s’étalent sans recul, sans lecture distanciée, sans ce travail de transposition fictionnelle qui fonde l’autobiographie. Même le matériau brut précédant la construction d’une œuvre branchée sur le direct du vécu a disparu... Il ne subsiste que la plus plate apparence du quotidien.
Tous n’en sont pas là (Attention, note d’espoir et final positif en vue, la chèvre, le chou, tout ça). Un Sattouf s’amuse énormément de ça en présentant ses conversations avec des archétypes de dessinateurs, le format utilisé, strip à l’américaine, renforçant la parodie, et Gaudelette trace discrètement le visage d’une autobiographie au vitriol tendre de l’humour, usant d’un second degré salvateur d’émotions (Comment ça je deviens emphatique quand j’aime ?). Et Joe Matt repointe son museau et ses kleenex, Moebius décortique ses peurs et son imaginaire, tous prouvant que le sujet importe peu, la manière de l’exposer et ce qui l’étaye fait la différence.
Les couches du petit dernier nous intéressent quand le propos n’est pas la marque des langes, mais plutôt les relations parentales et les réminiscences de notre enfance, entre autres. Reste à expliquer ça aux auteurs, facilement persuadés par les éditeurs que le moindre gribouillis sur leur intimité a valeur de patrimoine public.
Illustration extraite de Mes problèmes avec les femmes, Robert Crumb, Ed. Cornélius, 2007.
[1] Cette parenthèse est un exemple parfait de peoplelisation, ironique certes mais tout de même.
[2] Non, ça c’est de la publicité habilement glissée mine de rien, je vous ai déjà causé de la première série de Davodeau ? Vaut vraiment le coup celle là.
[3] Deuxième exemple de peoplelisation. Vous connaissez pas Fox ? Tsssssssss…