Publications dans Septembre 2008
Le charme désuet des réclames d'antan
 

Conseils à un jeune libraire

S'il y a quelque chose sur laquelle tu pourras toujours compter, c'est bien le soutien de tes collègues. Ils auront souvent une attention touchante pour toi. Par exemple, reconnaissant ta grande capacité d'expertise ils t'honoreront par une jolie pile laissée à ton attention, qui illuminera ton regard matinal en ouvrant la porte de la librairie...Oh comme c'est gentil à vous de m'avoir laissé à trier cette pile de vieux journaux défraîchis des années soixante... Vous savez me faire plaisir, vous connaissez mon goût prononcé pour la poussière et les ouvrages dur à manipuler ! Vous respectez mon goût pour le labeur de fond et mon attirance pour le travail inutile !

Quelle joie en effet de vérifier page après page ces vieux Journal de Mickey, afin de m'assurer qu'ils sont bien complets, avant de les dépoussiérer, de leur découper des petits cartons de soutien ("backings boards" disent les yankees) et d'empaqueter le tout, car ces petites choses sont molles et fragiles, pour finir par leur appliquer à chacun une étiquette ornée d'un prix dérisoire (1 ou 2 €).

La publicité pour les caramels mous enrobés de chocolat est extraite du Journal de Mickey nouvelle série n°670 (1965).

Sous une apparence ingrate ce travail méticuleux te permettra de faire de belles découvertes au fil des lignes d'une actualité déchue. Ainsi ces pages d'un  roman inédit de H. Rider Haggard, Les dieux de la glace, dans lequel le narrateur,  en respirant les fumées d'une herbe africaine –le "Taduki"– se croit transporté en des temps reculés, dans une région polaire où vit une tribu gouvernée par le chasseur Wi. Un peu plus loin tes yeux se régaleront devant ces pages méconnues de Paul Gillon, sur des scénarii de Jean Canolle inspirés de la série télé adaptée par lui-même de son propre roman, Le temps des copains. Parfois ton esprit sera happé par le courrier de jeunes lecteurs désormais vieux ou par de si sympathiques publicités de ce bon vieux temps.

 
Leçon d'économie
 

Une gestion brillante

Il est parfois utile de vérifier les factures.

Ainsi, hier j'ai mesuré l'ampleur de notre générosité. Grâce à nous des centaines, oui j'écris bien des centaines, d'amateurs de peinture et de science-fiction ont pu se procurer à bon prix le très agréable recueil consacré au peintre anglais John Harris, grand visionnaire de panoramas planétaires, de paysages démesurés et de cargos inter-systèmes. Mass, l'art de John Harris...

On peut dire que ce livre est un de nos best-sellers. Publié par les éditions Soleil en l'an 2000, ce livre valait alors 35€. Et, jusqu'à hier, nous le vendions au tarif fou de 5€, comme le soulignait malicieusement l'étiquette.

Un prix fou.

D'autant plus fou que 5€ c'est le prix auquel nous l'achetions à notre fournisseur.

Nous avons donc vendu des centaines d'exemplaires qui ne nous ont pas rapporté un seul centime !Nous aurions pu vous faire croire que c'était une stratégie commerciale, un produit d'appel en quelque sorte, un coup de pub, une marge sciemment sacrifiée...

Mais non, la riante vérité est bien que nous nous sommes plantés. Que bercés d'insouciance et de béatitude, drogués par l'odeur des encres d'imprimerie et de la colle des reliures, nous n'avons pas surveillé l'évolution des prix sur les factures...

Tant mieux pour les heureux clients. En ces temps d'économie mouvante, il faut être plus réactif ! Nous avons commencé par changer les étiquettes.

 
Coquillages et crustacés
 

Bizarre et rare

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En Novembre 1992, la Galerie Stardom organisait une exposition de dessins originaux de Moebius d'inspiration érotique. De cet événement il resta un portfolio intitulé Histoire d'X, tiré à 525 exemplaires. Par la suite (1994) ces dessins furent complétés par d'autres et publiés en album par les Humanos sous le titre de Griffes d'anges, mais ceci est une autre histoire puisque c'est bien un des portfolios  qui nous est arrivé hier. C'est l'exemplaire hors commerce ("épreuves d'artiste") n°5 sur 25.

Un peu de fouet, de sadisme du téton et de masochisme scolaire ("pardon Ô maîtresse"), quelques bizarreries tubulaires en apesanteur (c'est Moebius tout de même) forment un bel ensemble modelé avec soin en noir et blanc impeccablement sérigraphié. 20 planches + une préface de Jodorowsky ("Christ et Lucifer s'amalgamèrent alors pour créer l'homme nouveau") et un "entretien" avec l'artiste sur le mode absurde habituel. Un bel objet qui ne plaît pas à tout le monde.

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Dans un registre très différent, je viens de faire un échange qui m'a permis de récupérer les deux premiers volumes de Shaman des frères Peru. Il s'agit des éditions originales publiées chez Nucléa², donc possédant des couvertures différentes de leur réédition chez Soleil. Le tome 2 est orné d'une dédicace couleur d'Olivier Peru, ce qui est toujours un plus, même quand on ne s'appelle pas Michel.

Ah... Pour finir la journée un de nos habitués m'apporte un manga rarissime de Shotaro Ishinomori Les secrets de l'économie japonaise en bande dessinée, qu'il n'hésite pas à qualifier de "nul, nul, nul !!!", mais d'après lui ce Ishinomori serait le même que le Ishimori qui avait fait Le vent du nord est comme le hennissement d'un cheval noir. Très vendeur.

 
Exposition Schuiten à Paris
 

Retour au noir

Au Centre Wallonie Bruxelles, sis juste en face du Centre G. Pompidou, sont présentées de nombreuses planches originales, illustrations et esquisses préparatoires pour de La théorie du grain de sable, le dernier opus des Cités obscures de Schuiten et Peeters, dont la seconde partie devrait paraître début octobre.

C'est réellement une bonne surprise : d'une part les quelques illustrations couleurs présentées se révèlent bien plus riches en vrai que leurs reproductions (une évidence pourtant, mais toujours étonnante), d'autre part, l'encrage noir et blanc des planches de l'album semble s'être enfin affranchi de son habituelle rigidité.

J'avais toujours trouvé le trait de Schuiten trop figé, sans doute à cause de sa volonté d'imiter la gravure. Là, enfin la plume semble danser sur le papier, les masses de noirs se positionner avec légèreté et évidence. La surface vibre. Je ne sais rien de l'histoire, ni si elle s'achève en eau de boudin comme la plupart des Cités obscures, mais graphiquement, c'est une vraie joie. Dans un court film projeté dans le cadre de l'exposition, François Schuiten s'exprime d'ailleurs sur son envie de revenir au noir et blanc qui fut sa grande motivation pour cette œuvre, après plusieurs albums couleurs.

Vous remarquerez qu'alors que les planches originales, de grand format (environ 50 cm sur 40), sont à la française, les deux albums de la Théorie du grain de sable sont à l'italienne... C'est un peu étonnant tant les planches semblent être conçues pour leur appréhension verticale et que d'ailleurs, contrairement à Giraud, Schuiten ne travaille pas par demi-planches. Faut-il voir derrière ce saucissonnage une simple affectation arty un peu vaine ? Ou une astuce commerciale pour produire deux albums épais de 109 planches au lieu de deux albums classiques qui auraient semblé trop fins à l'acheteur ? Epineux problème marketing en effet que de faire croire à l'amateur que rien n'a changé depuis l'époque des "romans-bd (A Suivre...)". Enfin, il faut bien que les créateurs vivent et chacun sait que deux petits albums se vendent davantage qu'un seul gros. Pour une fois je ne critiquerai pas trop : cette stratégie nous permet de lire et d'admirer les dessins de Schuiten à une échelle de reproduction plus grande que d'habitude.

Et rien n'empêche Casterman de ressortir plus tard une intégrale de luxe géante en format français...

Notons pour finir une belle scénographie qui happe le promeneur hors du quotidien : bruit du vent, éclairage subtil, le sable qui emplit les salles et s'écoule jusque sur le trottoir... au grand dam des marchands de fringues d'à côté qui ne goûtent guère ces raffinements artistiques.

Lumières sur Brüsel, Jusqu'au 2 novembre 2008, au Centre Wallonie Bruxelles, 127-129 rue Saint Martin, 75004, 11h à 19h sauf le lundi, 3€ (tarif réduit 2€).

 
Universal War One
 

Routier spatial ?

Au fil d’une conversation anodine avec Stanley (en fait onessayait de savoir si le Hulk vert intelligent est plus fort que le Hulk vert bestial ou le gris…) et après moult extrapolations, ce dernier me convainc de lire la célèbre série de Denis Barjam. Série que j’ai volontairement boudée tout au long de sa parution. Je dois confesser que le genre science fiction spatiale n’étant pas franchement celui qui m’électrise le plus, de plus je m’étais stupidement persuadé que le personnage principal (Kalish pour les initiés…) était un routier spatial dont le job consistait à transporter de la marchandise atomique à travers l’espace !!!!

Avec son look bandana à têtes de mort et sa grosse bedaine je me suis fait berner. J’étais plus lourdaud que le personnage dont je pensais tout savoir. Au fil des pages j’ai découvert que c’était juste l’homme le plus intelligent du monde et un formidable pilote de navette et un leader né et le plus grand espoir de l’humanité et en plus il fait la vaisselle quand il vient manger chez vous… Bref, six tomes plus tard me voila devenu un partisan exalté de ce mélange dosé d’anticipation et d’astro-physique.

Mais pourquoi je vous expose,sans pudeur, mes lectures du week-end alors que finalement vous vous en tamponnez copieusement ?

C’est parce que notre librairie rue Serpente vient de s’enrichir de la première intégrale d’U.W.1 (les 3 premiers tomes pour 30€) et qu’en fouillant un chouïa dans nos rayons à 7€ vous trouverez très probablement les trois derniers tomes.

Universal War One, Denis Barjam éditions Soleil.

http://www.cyriak.co.uk/lhc/lhc-webcams.html

 
MANGA MUSEUM
 

Par Stéphane

De passage pour trois jours à Kyoto, j'en ai profité pour visiter le Manga Museum. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment un musée, mais plutôt une maison du manga, vivante et peu sacralisée, disposant de nombreuses bibliothèques et arpentée en tous sens par des cohortes d'adolescents déguisés, ou cosplayés comme on le dit désormais pour faire plus jeune. L'expo du moment était sur la bande dessinée à travers le monde, et l'on pouvait y découvrir un bon nombre de nos productions locales traduites en japonais. Un bien beau lieu, dont voici quelques clichés.

 
L'infirmière mystère !
 

La jeunesse a ses péchés que la vieillesse préfère sans doute oublier...

Une nuit de garde pour le docteur Anne, un blessé admis en urgence, il doit être opéré... Las, le professeur Dulin reste injoignable, Anne prend la décision de remplacer le chirurgien, risquant de provoquer la colère du grand patron de la clinique...

Et ce malgré la mise en garde de l'infirmière... Qui est ce mystérieux blessé ? Comment va réagir le professeur Dulin ? Anne gagnera-t-elle son estime ?

Ce récit de neuf planches, comportant de superbes a-plats couleurs so seventies, doté d'un suspense narratif équivalent à l'encéphalogramme d'une vache sous valium,  paru dans un magazine du début des années 70, est franchement dénué d'un quelconque intérêt fictionnel... Mais...Regardez attentivement cet extrait de l'histoire, examinez cette œuvre issue des mains d'un dessinateur débutant, considéré depuis, de façon unanime, tant par la profession que par les lecteurs, comme l'un des meilleurs auteurs franco-belges de ces trente dernières années.

Oui, mais lequel... Non ce n'est ni Zep ni Bilal...

 
Metal Brain 109
 

La liberté ou la mort

Faîtes gaffe on balance plein de gâcheurs (légers) dans cet article !

"La guérilla est l'avant-garde combattante du peuple (...), [elle] est appuyée par la lutte de masse des paysans et des ouvriers de la zone et de tout le territoire où elle se trouve. Sans ces conditions, on ne peut admettre la guerre de guérilla."E. Che Guevara in La guerre de guérilla : une méthode (1963).

Oui il est permis de lire le manhwa Metal Brain 109. Il est même possible de s'acheter la série complète (en 3 tomes bien épais) pour la somme totale de 6€. Maintenant que l'argument financier est balancé, avançons-nous vers le contenu.Le petit Gun vivait heureux avec son super-flic de père et sa belle femme au foyer de mère jusqu'au jour où cette dernière se prend une balle perdue lors d'un affrontement entre forces de l'ordre et "cyborgs" rebelles... Fou de douleur et soucieux de préserver l'équilibre de son rejeton, le père fait recréer sa défunte épouse sous la forme d'un cyborg haut de gamme. Kim Jun Bum peut dès lors exploiter ce canevas dans deux directions assez classiques. D'une part la question de la prise de conscience des machines,  de leur accès aux émotions et le problème de la reconnaissance de leurs droits. D'autre part la description d'une organisation sociale fondée sur l'oppression. Ces deux aspects étant liés par une mécanique implacable parfaitement tragique accentuée par un hymne à l'amour filial.

Lecture résolument adolescente, Metal Brain 109 (on peut se demander pourquoi "109" d'ailleurs, nulle mention n'étant faite de ce numéro au long des 700 pages) peut être perçu comme une introduction ludique aux univers d'Isaac Asimov et de Philip K. Dick, références incontournables et ici incontournées, ainsi qu'une tentative d'illustrer ce que donneraient les tactiques de guérilla dans un univers urbain et futuriste, la population des cyborgs se substituant à la classe ouvrière et le "Metal brain" (le front de libération des cyborgs) tenant lieu de "noyau combattant". C'est d'ailleurs dans cette veine d'exaltation de la résistance, dans l'hymne désespéré à la liberté, que Kim Jun Bum livre ses meilleures pages. Ainsi le tome 3 présente un trépidant crescendo vers l'inéluctable. Les cyborgs sont assiégés par les forces répressives... Un agent tueur a été infiltré parmi les rebelles pour en assassiner le leader charismatique. Des ex-amants séparés par la barrière de classe sont sur le point de se retrouver... pour un final très Duel au soleil. Comparé aux séquences d'action confuses du premier tome, le troisième témoigne d'une bonne progression de l'auteur (le travail, il n'y a que ça !). Dommage qu'il s'auto-sabote trop souvent par un humour à la con désarmorçant à l'excès les situations les plus noblement dramatiques. Je sais que c'est un procédé typiquement extrême-oriental, mais là, ça ne fonctionne pas.

Car ce qui est exaltant dans cette histoire c'est le sérieux du parcours de son héroïne qui l'élève au rang de métaphore exemplaire. D'épouse-mère aimée, elle est reléguée au statut d'esclave et de femme battue. D'abord résignée devant l'injustice et croulant sous les mésaventures, elle finira par s'ébrouer et renaître en pasionaria. Si un chant funèbre embrase les derniers chapitres, la série ne se clôt pas sur le renoncement moraliste que l'on aurait pu redouter.

Une fois refermé l'ultime livre une question demeure : l'enfant Gun (que l'on suppose avoir autour de 10 ans) s'endormait-il déjà en palpant les seins de sa mère quand elle n'était pas encore cybernétique ?

 
Vitrine vaticane
 

Des barrières, des flics et des bédés : Le Quartier latin aujourd'hui.

Profitant de la venue du pape dans le quartier, j'ai -parfaitement opportuniste- hier soir disposé en vitrine la biographie de Bernadette Soubirous par Jijé, la vie de Jésus par le japonais Yoshikazu Yasuhiko (3 tomes couleurs, s'il-vous-plaît !) et enfin, trop méconnue des amateurs, la biographie de Karol Wojtyla par Sergio Toppi... Parue en 2001 cette œuvre est souvent ignorée des adeptes de Toppi, car très mal distribuée dans le circuit des librairies spécialisées BD. En revanche vous la trouverez facilement à La Procure ! Je ne sais pas si elle a déjà été réimprimée, mais l'exemplaire que nous possédons est bien une édition originale.

Mais... mais c'est quasiment miraculeux... tandis que je vous écris on me demande le Bernadette Soubirous et on me le réserve ! J'empoche joyeusement mes 5€ d'arrhes.

Bon. J'en reviens à Toppi. Le vieux maître s'exprime un peu sur son Wojtyla sur le site de Mosquito. Quand on pense que cette pièce n'est même pas intégrée à la bédétheque. Une bonne idée pour collectionneur : venir m'acheter mon EO pour être le premier à en créer la fiche dans la fameuse base en ligne.

Je regarde le ciel. Je ne vois pas la Vierge, mais il y a des hélicoptères.

Dans nos archives :L'apparition d'hier (3 août 2006).