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Tassili : Dédicace de Maadiar vendredi 4 mars 2022
 

Quelques questions à propos de Tassili, une femme libre au néolithique (éditions La Boîte à Bulles)

 
 

Nous connaissons Maadiar depuis presque huit ans, lorsqu’il était venu nous présenter, mèche rousse et demi-sourire hilare, son album sur le peintre Mathurin Méheut (Mathurin soldat, un crayon dans le canon aux éditions du Pélimantin). Depuis, nous avons suivi, curieux et amusés, ses diverses frasques néo Hara-kiri dans la blogosphère mourante et les réseaux sociaux triomphants. C’est avec surprise que nous avons lu l’album qu’il a scénarisé sur la période néolithique dans la région de la Tassali-n-Ajjer (située dans ce qui est aujourd’hui le Sahara algérien). Un album sérieux, mêlant bases historiques, recréation fantasmée et récit métaphorique. Le tout servi par le dessin de la dessinatrice Fréwé, dont la douceur aquarellée évoque les bandes dessinées de la revue Okapi dans les années soixante-dix.

Tassili, une femme libre au néolithique (éditions La Boîte à Bulles) présente donc un petit clan familial de chasseurs cueilleurs. La survie est difficile, même si le Sahara d’il y a 10 000 ans n’est pas le désert aride que nous connaissons. L’héroïne, Djané, ne se résout ni à se soumettre aux lois du clan, ni à envisager la pénurie comme seul horizon. L’histoire montrera qu’elle ne manque pas de ressources et d’astuce. Cela sera-t-il suffisant pour qu’elle puisse vivre son amour avec Doro, qui n’est point le mâle dominant du clan ?

C’est assez naturellement que nous avons convié Maadiar à présenter et à dédicacer Tassili, une femme libre au néolithique. Il sera dans cette optique rue Serpente, le vendredi 4 mars à partir de 18h. Nous aurions bien fait venir aussi la dessinatrice Fréwé, mais son exfiltration depuis sa campagne alsacienne a semblé trop compliquée et coûteuse. En attendant la rencontre nous avons posé quelques questions à Maadiar, ce qui pourra toujours servir de point de départ à une discussion plus approfondie vendredi.

 
 

D’où t’est venue l’envie de travailler sur le néolithique, toi qu'on attend plutôt sur les deux guerres mondiales ou sur les mœurs de la société actuelle, vu ton travail passé et ce qui filtre de tes œuvres sur les réseaux sociaux ?

En fait, en tant qu'enseignant en lycée, j'ai donné des cours de géopolitique à des élèves de première que j'ai alors fait travailler sur le risque terroriste djihadiste en Afrique et dans ce cadre, la Tassili et la frontière libyenne me sont revenues en tête. J'ai repensé aux fresques du Tassili et j'ai eu envie d'abord de créer un récit autour d'un groupe terroriste, j'ai abandonné mais le site est resté dans ma tête. J'ai quand même fait des recherches et l'aridification du Sahara au néolithique, que j'ai alors découverte, m'a semblé intéressante à creuser. Je fais aussi des remplacements au collège, et la "révolution néolithique" fait partie des programmes. Cette idée de région légèrement humide devenant un désert en quelques siècles me semblait bien faire écho à nos préoccupations actuelles. Oui, c'est vrai que Mathurin Soldat ou mon nouveau projet sur la Deuxième Guerre mondiale font détonner Tassili dans ma bibliographie, mais je ne sais pas, je trouvais mon scénario vraiment bien ficelé, un vrai drame préhistorique que je verrais bien adapté au théâtre… D'ailleurs j'ai pensé au début le proposer pour la scène, une piste "fiction radio" a été ouverte avec France Culture, mais le projet a été abandonné. 

Oui, c’est vrai que je fais beaucoup de dessins polémiques sur les réseaux sociaux et j'avoue que j'irais bien dessiner en Ukraine un fusil à la main mais ça ne prend pas. Le côté polémiste n'intéresse personne, donc pas d'album méchant en vue malheureusement ! 

 
 

Ton intérêt pour les peintures rupestres de Tassili n'Ajjer en Algérie est-il ancien ? As-tu été sur place voir ces vestiges ?

Oui l'intérêt est ancien chez moi. Mon grand-père avait pas mal de bouquins sur le Sahara, c'était un ancien de la coloniale, il a fait la Deuxième Guerre mondiale dans la Première Armée Française, la France Libre et il avait gardé un côté "coloniophile", pas forcément pour l'empire colonial en lui-même mais pour les terres et les peuples, oui. Non, malheureusement, j'aimerais aller en Algérie voir les fresques, mais ce type de voyage est trop coûteux ! 

Tu inventes un clan très réduit de chasseurs cueilleurs. Comment as-tu élaboré leurs coutumes et lois ? Le meilleur chasseur se voyant réserver le droit de reproduction par exemple ?

Simple analogie avec les loups et généralement les mammifères carnassiers vivants en clans réduits comme certains grands singes. Mettre au cœur de leurs rapports un mélange d'inceste et de frustration sexuelle me semblait intéressant. C'était aussi un moyen de jouer avec nos propres tabous. 

Comment s’est faite la rencontre avec la dessinatrice Fréwé ? Le projet était-il antérieur à ta rencontre avec elle ?

J'ai pondu le scénario tout seul dans mon coin. J'ai essayé de le dessiner moi-même mais je trouvais mon trait trop caricatural, pas adapté au récit. En discutant du projet avec Éric Dérian (dit Turalo) le nom de Frédérique Riche, Fréwé, qui avait fait un album chez Warum, Cheval Caillou est sorti de sa bouche. Alors j'ai décidé de la rencontrer. Je lui ai fait abandonner le pinceau et on a vraiment travaillé ensemble sur la construction du dessin. C'est pour ça que la genèse de l'album a pris deux ans bien tapés. Mais je suis content du résultat ! 

Est-ce la première fois que tu scénarises pour quelqu’un d’autre ? Quel bilan retires-tu de cette expérience ?

 Oui ! C'est la première fois que je scénarise pour quelqu'un. Ça a été assez simple parce que Frédérique a été très souple avec moi. Elle a accepté mes remarques et changements même quand ça pouvait être un peu violent, vexant. Même chose quand on a dû faire disparaître les propulseurs – une erreur de ma part – car ces manches servant à propulser les sagaies en Europe n'ont jamais été utilisés en Afrique. Du coup il fallait tout changer… L'horreur ! Et elle l'a fait ! Pareil pour certains animaux qui ont fait tiquer les archéologues relecteurs du projet et que du coup elle a dû éliminer sans pitié. Ses animaux sont très beaux d'ailleurs. C'est vraiment son point fort en dessin. 

Peux-tu nous montrer à quoi ressemble une page de ton scénario originel ? Est-ce qu’il y a des dessins dessus, des schémas, un découpage ?

Elle a fait un storyboard, oui, que j'ai retouché et que Camille et Vincent de la Boîte à Bulles ont relu (coquilles, allégement de certaines bulles). 

Le story-board de la planche 106 de Tassili…

Quels sont tes prochains projets ? As-tu renoncé à essayer d’aller en prison pour tes dessins ?

 NON ! Je veux continuer à prendre des risques ! Je veux gagner un jour un lectorat de gens cyniques comme moi. Je ne perds pas espoir, mon nihilisme sexy VAINCRA !

Rencontre-dédicace avec Maadiar
14 rue Serpente
75006 Paris,
vendredi 4 mars 2022
à partir de 18h.
Entrée libre, pas de réservation nécessaire.

Oui comme Maadiar est également dessinateur, il apportera sa boîte de couleurs, et il pourra vous décorer la page de garde de son album.

Tassili, une femme libre au néolithique, de Fréwé et Maadiar, éditions La Boîte à Bulles, 122 p. couleurs, 20 €. Code EAN : 9782849564045

 

Sans les étiquettes aaapoumiennes on voit mieux le dessin…

PRISONNIER DES AMAZONES DE BORIS HURTEL CHEZ THE HOOCHIE COOCHIE
 

Un infirmier à domicile a une relation amoureuse avec une de ses patientes. Henri n'assume pas tout à fait et la relation capote. Il finit par en perdre son boulot. Improbablement il se retrouve en Amérique latine aux côtés d'une guérilla majoritairement constituée de femmes. Voilà, vite résumée, l'intrigue de ce petit pavé de Boris Hurtel récemment publié chez The Hoochie Coochie.

La première partie, qui expose le quotidien du héros, ses relations aux patients, sa fatigue croissante face au fait que ces derniers ne cessent de lui prêter des livres, est tout à fait passionnante et crédible, y compris et surtout cette irrésistible attraction, un peu auréolée de fantastique, pour Louise... qui est le sosie parfait d'une de ses ex. Toute cette introduction est à la fois inquiétante et drôle.

Je suis moins convaincu par la suite où Henri rejoint un pays imaginaire d'Amérique Latine (une tradition franco-belge plutôt déconnante) où une guérilla affronte le régime. C'est à la fois caricatural tout en semblant rester soucieux de parler de la réalité. Certains aspects relèvent de l'observation de l'humanité et de la société tandis que d'autres s'apparentent à de la bande dessinée d'aventure purement distractive. L'observation du machisme régnant souvent dans des mouvements révolutionnaires pourtant à vocation émancipatrice est assez pertinente, mais les péripéties sexuelles du personnage central sont assez prévisibles : évidemment il va avoir des relations avec des membres féminins de la guérilla, forcément cela va lui causer des problèmes en révélant une certaine hypocrisie générale. Mais au final il m'est difficile de dégager un parti pris dans tout ceci. De là à penser que l'auteur est à l'image de son héros, un peu perdu et sans plan d'ensemble, ni objectif autre que la distraction potache, il n'y a qu'un cheveu, que j'effleure. La dernière partie, avec le consul et l'indien Juan est à nouveau assez enthousiasmante, plus originale et plus rythmée. La veine satirique m'y semble plus assumée, ce qui permet de finir la lecture sur une note plus agréable pour un type qui comme moi aime savoir dans quoi il marche.

Six cases par planche : un style efficace.

Le dessin qui baigne dans l'influence de la gravure sur bois et refuse d'utiliser des pinceaux de moins d'un centimètre est parfaitement cohérent. L'expressivité de cette esthétique est parfois annihilée par son imprécision, si bien que les figures qui en émergent tendent vers le statut d'écrans sur lesquels chacun projette ce qu'il veut ou ce qu'il peut. Ainsi se crée une BD dont vous êtes le dessinateur, comme si un scénariste vous avait fait parvenir un scénario vaguement storyboardé, à l'instar de ce que peuvent faire Ferri ou Cortegianni. Le lecteur se retrouve dans la position du metteur en scène à la lecture d'une pièce de théâtre, ce qui est une expérience enrichissante.

Au final j'ai lu sans déplaisir cet ouvrage, mais il y plane quelque chose qui me dérange et j'ai bien conscience de ne pas être ici parvenu à mettre le doigt dessus. Vous avez l'occasion de vous faire une opinion car ce livre est à vendre, chez nous et ailleurs.

Prisonnier des Amazones de Boris Hurtel, éditions The Hoochie Coochie, 234 planches, 15 €, noir et blanc, EAN : 9782916049373PS : Notons que le sujet Femmes et Guérilla est également traité dans Tintin et les Picaros avec un constat inverse : le chef des guérilleros est dominé par sa femme (qui est tout de même une occidentale). Chez Boris Hurtel les femmes sont dominées par les hommes de la guérilla, avant de se rebeller, et l'occidental, porté par les événements, est dominé par tout le monde.