Publications dans 2008
Lebeault a bien travaillé
 

Convictions et trahisons

Ce qui est bon avec les principes c'est de les trahir de temps en temps pour pouvoir mieux juger de leur justesse.

Ainsi moi j'ai comme principe de ne jamais mettre de pièce en réservation si on ne me verse pas des arrhes. J'ai de collègues qui ne respectent pas ce principe, sans doute pour avoir l'air cool, si bien que tous les six mois je suis obligé de faire le ménage dans notre armoire de réservation remplie de trucs que des braves gens ne sont jamais venus chercher. Vous avez compris : le mec pas cool, c'est moi.

La dernière fois que j'ai fait le ménage parmi les livres oubliés qu'il fallait remettre en rayon, je retrouve deux belles éditions originales de Horologiom soigneusement dédicacées...

Or là, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, c'est de ma faute... Il y a 6 mois j'avais fini par capituler. Au bout d'une demi-heure de "Je te les prends à coup sûr la semaine prochaine ! Je t'assure ! Tu me connais Vlad ! Quand je dis quelque chose je le fais ! Je ne me permettrais jamais de faire mettre quelque chose de côté pour rien ! La semaine prochaine à coup sûr !". Bref, j'avais failli, je m'étais trahi moi-même, ce qui me permet aujourd'hui de triompher paradoxalement : Ô comme mes principes sont beaux et justes, comme mon analyse des comportements humains est fine et élaborée.

 Donc nous avons à nouveau deux belles pièces à vendre. Il s'agit des tomes 3 et 5 dédicacés deHorologiom en édition originale. La dédicace du 3 (65€) consiste en un audacieux contrechamp de la couverture comme les visuels vous permettent de le constater.

 
De la déchéance de la pensée sociale.
 

"L'existence determine la conscience, et le manga éduque les masses" Karl Trademarx, Le Capitrol.

Cher Camarade.

Ne sachant que faire pour soulager un tant soit peu ta peine, et la mienne, causée par le décès du adoré, flamboyant, et iconoclaste Guy Peellaert, je me lance à corps perdu dans un post que je sais coup d'épée dans l'eau pour te faire rire. Te connaissant, je crois qu'il va te consterner plus qu'autre chose mais diantre, il y a fort longtemps que je n'ai pas pollué ce blog de ces informations inutiles sur le monde de la bd.

Alors voilà, toi qui a tout lu de Marx, ses oeuvres bien sûr, maisaussi ces correspondances, journaux et autres listes de courses pour lesupermarché, je me dis que tu pourrais trouver un quelconque intérêt à parcourir

cette toute récente adaptation du Capital en manga

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Nous pourrions même préempter les droits et nous lancer dans le monde de l'édition avec une magnifique adaptation en français, reliée cuir, et préface de ta main, détaillant, avec la minutie  et la causticité qui sont les tiennes, l'importance qu'il y a à "populariser" certains maillons de sa pensée sociale. Insuccès garantie. Sur ce, je te laisse deux magnifiques illustrations reprises du Telegraph londonien qui, je dois te l'avouer, m'ont fait mourir de rire durant dix minutes interminables. Je n'arrêtais de voir, en surimpression, ton visage penché au-dessus d'elles, fulminant et contrit.

amitiés

S. du aaablog,

PS: Un câble de mon ami Julien le londonien m'informe qu'il y a aura des débats à science po sur l'importance du manga la semaine prochaine.

PS2: Note comme l'association des deux images laisse à penser que c'est K.M qui se prend le coup de bâton de San Goku dans la gueule. Que j'aime la causticité anglaise.

 
Pravda (1968-...)
 

Les survireuses sont éternelles

Guy Peellaert est mort lundi comme je l'apprends sur ActuaBD.

Pravda la survireuse (Losfeld, 1968, une hisoire coécrite par Pascal Thomas) fait partie dela poignée de BD pour laquelle je n'ai aucune objectivité. L'ayant lueet relue sous toutes les coutures durant mon enfance,  avant même demaîtriser l'alphabet, ses planches sont à mes yeux chargées d'unmystère frôlant le divin. Certes l'aspect sexuel n'est pas étranger àcette fascination. Je sentais bien qu'il se passait en moi desréactions inédites à la vue de ces chairs tantôt criardes ou blafardes,de ces poses lascives... Assurément c'était une lecture qu'il étaitconvenable de faire isolé, dans le recueillement d'un bureausilencieux, dans un coin de bibliothèque quand la lumière oblique dusoleil transforme la poussière en paillettes d'or suspendues. Maisle frisson pré-érotique ne peut seul élucider la portée de ces images,de ces péripéties étranges, de ces activités incongrues, de cesrapports de force dévoyés...

Une chose est sûre. Pour moi il n'y a aucun humour dans Pravda.Ce n'est pas un bouquin rigolo, qu'on s'achète parce "c'est fun".Pravda c'est sérieux, il faut s'y immerger ou ne pas y toucher. Vaderetro amateurs de kitsch et de gaudriole ! Passez votre chemin,vampires de sofa !

Le Seuil doit rééditer Pravda le 15 décembre 2008. Un tempsbradée à 10 francs chez Boulinier, l'édition originale était devenueassez onéreuse (difficile de s'en sortir pour moins de 50 euros, etencore pas chez nous), c'est donc une bonne nouvelle : ceux qui neconnaissent pas pourront se faire un avis. Espérons que la qualité del'objet soit à la hauteur de l'événement. Éditeurs, le monde vousregarde.

Peellaert c'est aussi celui qui signa les pochettes de plusieursdisques qui sont des jalons de mon histoire personnelle. Mais trêved'épanchement, je vous laisse, qu'on ne me dérange pas.

 
Les bretelles de Tintin
 

Lisibilité et cohérence

Les héros de BD se doivent d'être reconnaissables avec aisance. Plus que leurs cousins de littérature et de cinéma, il faut qu'ils soient immédiatement identifiables. Ainsi classiquement, chaque personnage récurrent se voit affublé d'une panoplie, qu'il s'agisse d'un héros costumé ou non. Les héros de BD sont toujours habillés pareil. Possèdent-ils chaque pièce de leur équipement en un nombre considérable d'exemplaires (à l'instar de Schwarzenegger dans Last Action Hero), font-ils une grande lessive entre chaque épisode ou sont-ils simplement crados ? Difficile de trancher. Ce qui est sûr, c'est que le changement de costume est toujours signe d'aventure, de danger, de circonstances liées à ce qui est en train de se dérouler sous les yeux du lecteur et surtout... temporaire. Ce n'est pas pour rien qu'un des plus célèbres des héros de BD a mis plus de 40 ans avant de timidement troquer ses pantalons de golf pour des jeans de la même teinte.

Il est connu que les albums de Tintin furent souvent remaniés par Hergé, afin de les moderniser, d'en corriger les éventuelles erreurs. Ces infimes nuances ne peuvent qu'encourager les collectionneurs dans leur compulsive passion. Certaines des aventures de Tintin, à partir du Temple du soleil furent prépubliées dans le Journal Tintin (dit aussi Journal de Tintin) sur la double page centrale. Ainsi, le plus ou moins jeune lecteur découvrait au cœur de son hebdo, trois magnifiques strips à l'italienne. Passer de ces trois strips à l'italienne à une planche classique de quatre strips pour la version album est une opération délicate qui nécessite de nombreux remontages et élagages. Ainsi des portions d'images, voire des cases entières peuvent disparaître. Un album Casterman, réédité en 2003, permet de constater ces modifications pour Le Temple du soleil, dont il reprend la version journal.

Récemment, je feuilletais de vieux Journal Tintin du milieu des années cinquante et m'amusais à constater les différences entre la "version originale" à l'italienne de L'affaire Tournesol et son édition album (L'affaire  Tournesol fut publiée du n°328 de février 1955 au n°389 du 5 avril 1956 de l'édition française de l'hebdomadaire)... Outre des cases qui m'étaient jusque là inconnues, une bizarrerie surgit avec force : dans une vignette de la planche 58 Tintin ne porte pas la panoplie habituelle que je m'attendais à lui trouver. Au lieu de son pantalon de golf marron, on lui voit un pantalon bleu soutenu par des bretelles... Je me reporte à l'album : il y arbore bien son pantalon de golf. Dans la séquence précédente Tintin et Haddock étaient travestis, tâchant de se faire passer pour des délégués de la Croix-Rouge afin de faire évader Tournesol. Dans la version album, Tintin commence à se changer au cours de la poursuite en voiture, ce qui lui permet d'avoir retrouvé sa panoplie après l'accident, alors que dans la version journal, il est encore à moitié déguisé après l'accident. Pourquoi ce subtil changement ?

La réponse semble évidente lorsque l'on a l'album entre les mains (ce que je vous conseille de faire) : c'est effectivement ce moment qui fut choisi pour en constituer la couverture. Scène vue à travers la brisure d'un aplat jaune, forte diagonale verte, Tintin de dos (comme sur seulement trois autres couvertures de la série)... Sans doute Hergé a-t-il jugé son visuel suffisamment déroutant sans, en plus, changer la panoplie de son héros. On remarque au passage que si Haddock garde alors son déguisement, il retrouve dans la version album des couleurs qui lui sont plus coutumières, le pardessus du déguisement passant de marron à bleu marine. Ainsi par souci de lisibilité, Hergé supprime les bretelles de la couverture et par rigueur et souci de cohérence, il les ôte aussi de la scène correspondante. D'ailleurs, la seule case qui montrait le bas du déguisement de Tintin et ses jambes de pantalon a également été retirée de la version album, si bien qu'on peut penser qu'il avait gardé son pantalon de golf, ce qui évite de heurter la vraisemblance avec un conducteur changeant de culotte pendant que son véhicule fait des tonneaux. Voilà un auteur qui avait le souci du détail !

Ci-dessous vous pourrez lire la Charte d'utilisation des visuels de l'œuvre d'Hergé énoncée par la société Moulinsart, qu'il est toujours utile de connaître quand on ne veut pas de problèmes  (charte trouvée sur objectiftintin.com, un site qui connut récemment quelques bouleversements...).

Charte d'utilisation des visuels de l'Œuvre d'Hergé

Afin de préserver l'intégrité de l'œuvre d'Hergé tant au niveau destextes que du trait et des couleurs, la SA Moulinsart interditformellement et de manière absolue toute modification, retouche,adaptation, interprétation artistique, collage et autre reproductionnon autorisée, sous quelque forme que ce soit (numérisation,photocopie, etc) et sur tous supports généralement quelconques, desnoms, personnages, objets et autres symboles extraits de cette œuvre.

De plus, la reproduction des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé est soumise aux conditions suivantes :

* Le copyright suivant doit être mentionné distinctement à proximité de tous les visuels de l'œuvre d'Hergé reproduits :

© Hergé/Moulinsart 2007

* Il est strictement interdit :

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé pour illustrerdes thèmes liés à l'argent, à la politique, au monde médical ouparamédical, au sexe, aux armes, à l'alcool, à la drogue et au tabac ;

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé sur lacouverture d'un magazine si l'article ou le dossier consacré à Hergé età son œuvre est inférieur à trois pages A4, illustrations noncomprises ;

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé sur lacouverture d'un livre consacré, en partie ou entièrement, à Hergé et àson œuvre sans l'autorisation préalable de la SA Moulinsart ;

- de reproduire de manière isolée des éléments des couvertures d'albums de l'œuvre d'Hergé ;

- de reproduire tout ou partie de la galerie de portraits figurant sur les deuxième et troisième de couverture ;

- de modifier le texte original des phylactères, couvertures, etc. oud'ajouter un texte quelconque au(x) visuel(s) sélectionné(s) ;

- d'utiliser la police de caractères (typographie) d'Hergé en dehors dela reproduction des visuels sur lesquels elle est utilisée ;

- de modifier les couleurs, le trait ou l'orientation de l'image (parex.: si Tintin regarde vers la gauche, ne pas retourner l'image demanière à ce qu'il regarde vers la droite) ;

- de réaliser des collages ou des superpositions (les visuels nepeuvent couvrir ni être couverts par une autre image ou du texte) ;

- d'associer des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé à des visuelsextraits de l'œuvre d'un autre auteur et ce, à des finspromotionnelles ou commerciales ;

- de reconstituer un strip de plusieurs vignettes n'existant pas dansl'œuvre originale - le changement de l'ordre des vignettes ainsi quela composition d'un strip à l'aide de vignettes qui ne respectent pasl'ordre initial de l'œuvre originale ne sont pas autorisés ;

- de redessiner des visuels, y compris pour un modèle, une peinture, une sculpture.

D'une manière générale, les visuels fournis par le Studio Moulinsartdevront être utilisés tels quels, sans y apporter de modification oud'adaptation.

 
Opération Mort de Shigeru Mizuki
 

À cumuler les lectures en mode automatique, on glisse sur les images sans leur laisser le temps d’accrocher votre rétine, encore moins le cerveau ingrat qui s’abrite derrière. À cumuler les métiers dans le milieu du livre, l’on devient mauvais lecteur. Du moins mauvais lecteur pour soi, en ce sens que l’activité ne vous nourrit plus de la même manière. C’est un triste constat mais, ces derniers temps, je ne laisse plus les mots et les images m’imprégner, je ne leur laisse plus jouer leur rôle fondateur.

Si j’évoque ce gâchis, c’est parce qu’il arrive qu’une image surmonte d’elle-même ce marasme et vous percute de plein fouet, contourne votre passivité et vous réveille. Ces images, vous l’imaginez, ne courent pas les rues. Alors quand l'on en rencontre une, il faut la partager (plus encore lorsque l’on vend le livre qui l’abrite dans son magasin), histoire de lui dire merci pour le coup de semonce qu’elle vient de vous envoyer.

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Un soldat au corps grotesque explosant sous le coup d’une bombe, image si paradoxale dans son traitement de l’horreur qu’elle m’a tout simplement prise au dépourvu Au moment même où j’écris ce texte, et alors même que je ne l’ai pas sous les yeux, je revois cette tête catapultée en diagonale vers la droite, l’expression contrite de cet homme mort, le saugrenu d’un fragment de chair intact dénonçant l’absence d’un corps disparu ou disparaissant (on ne saisit jamais exactement la trame du temps lors d’une explosion de bande dessinée). Elle est venue enrichir tout un imaginaire sur la boucherie de la guerre que je me suis constitué à force de films, photos, et même bandes dessinées, en ébranlant par son audace comique la gravité graphique qui accompagne de coutume le sujet. Cela faisait longtemps que le spectacle de la mort ne m'était pas apparu aussi terrible, éreintant.

Pourtant, si elle fait sens d’une manière générale sur le sujet de la guerre, c'est plus encore pour ce qu'elle apporte comme éclaircissement sur l’imaginaire de l'auteur qu'elle m'a, dans un second temps, bousculé, appuyant sur son obsession latente pour le corps maltraité. Chez Mizuki, l’être explose, devient difforme et monstre, mais avec une gravité secrète et noble, sans épanchement. Le masque d’un trait simple, flirtant avec le grotesque vient volontairement désarmer  la souffrance qu’il y a à illustrer un objet mort mais encore mouvant, qu’il soit yôkaï ou soldat sacrifié sur le front pacifique. Je ne m’en étais jamais rendu compte, mais il flotte en permanence comme une mélancolie derrière son ode  joyeuse au fantastique, une ambigüité discrètement instillée dans sa modernisation du folklore. D’ailleurs, rien qu’à l’écrire, je me sens d’un seul coup idiot. Car que pourrait-il y avoir d’autre, dans cet empressement à populariser et moderniser les différentes expressions de la monstruosité, si ce n’est le désir de se sentir un peu moins seul, et un peu plus en phase avec son temps.

Opération Mort, sorti il y a dix jours, est nommée au prix du patrimoine au festival d'Angoulême, et en vente dans nos vénérables échoppes pour la modique somme de 27 euros. C'est dire si nous vous le recommandons chaudement.

 
Un gros mot
 


¡ Por Dios, une pinaille !

Sympathique cette commémoration des 20 ans de la collection Aire Libre. Les classiques de la politique des auteurs par Dupuis sont réédités sous jaquette avec des pages en plus (esquisses et blah blah, de quoi exciter le collectionneur).

Le prix est en conséquence. Dommage que les éditeurs n'en aient pas profité pour corriger les erreurs. Ainsi 8 ans après, dans La terre sans mal de Emmanuel Lepage et Anne Sibran, la pauvre Eliana continue de se faire traiter de femme de petite vertu dans un sabir douteux.

En effet, "putana" ne veut rien dire en espagnol, même de l'autre côté de l'Atlantique.

 
H.M.S Sisyphe (Level I)
 

La triangulation bermudale est un peu short captain'

Sous la ligne -claire forcément- de flottaison, juste à la verticale des mille sabords du troisième pont, les moules, crochées à la coque, se désensablent les esgourdes à l'écoute des vibrations conversatoires de l'équipage, fredonnées par la structure craquante de bois, d'acier et de carton du navire.

~ Écoutilles fermées, Deathblow & Wolverine en mode ballasts, prêt à la vidange, bouclard paré aux manœuvres de plongée hivernale.

Le sourcil ébouriffé du quartier-maître Stanley plombe l'interrogation, après tout, si l'aspirant Scrat visualise le contre-torpilleur AAA en sous-marin, façon moonboots, où est-ce U-boat -le vieux moyen mnémotechnique "Dimitri et Lovecraft sont au ski..." ne fonctionne décidément pas- rien de dramatique sous le soleil de novembre. Puis, surtout, ne jamais contrarier un homme collectionnant les photos des cadavres décomposés des pires favelas de Rio. Particulièrement quand il a son sourire de Punisher sous acid. La dernière cliente ayant tenté ce combo s'est chopé un scooter en pleine poire, rien à dire, la fausse couche fut superbe.

~ Excellent. Cap sur la fin d'année engagé. Où reste le commandant Smyrn ?

D'une chiquenaude experte, l'aspirant engloutit sa septième chocolatine du matin. Contemple le lieutenant Stardust, poursuivie dans les rayons par un genre de phoque à parka difforme, répétant en boucle "vous gn'avez du gore ? gn'avez quoi comme Bd très gore, moi gn'aime le gore, gn'est gore ça ?" -l'ouvrage en question essayant d'échapper à ses mains suintantes, poisson manga souhaitant de toutes ses petites écailles en papiers atterrir plutôt sur les étagères d'une lolita sakura- avec un air sadique.

~ Calfeutré dans la canonnière, il croise vers l'archipel de Dante. Semblerait que le commandant Bullut ait foutu le bronx dans les cartes. Juste avant de se barrer en bordée à Singapour. De ce que j'ai capté, y'a le choix entre utiliser le relevé des courants du lac Léman pour faire le point dans la mer des Sargasses ou naviguer à vue.

Le sourire de Stanley ressemble à un encalminement d'ouragan. Un mélange entre Garulfo découvrant le monde et un Eusébe pensif.

~ La routine. Si on m'cherche, j'suis à fond d'cale, va y'avoir besoin d'poudre pour s'refaire en abordages. Si on m'trouve, j'veux bien un rhum 'vec mon thé.

Les moules se rendorment dans le gaufrier, bercées par le clapotis de l'océan sans surface des bulles effervescentes. A l'horizon se profile le fuselage du trimoteur Fokker F-Vll de l'amiral Benbow, cargaison de contrebande en parachutage annoncé, va y avoir du sport, Stan' reste tranquille, les coups de tabac ça se fume à la Popeye, juste des histoires supplémentaires pour emboucaner les infirmieres de la maison de retraite des vieux libraires décatis.

 
Le cadeau du jour
 

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On ne peut rien faire pour empêcher la bistouille de s'installer...

Aussi vigilants, que vous soyez les merdouilles et la poussière finissent par s'immiscer sur vos belles étagères. Des objets invendables, des schmilblicks qui n'ont rien à voir avec la boutique, qui agacent inconsciemment le coin de l'œil jusqu'à ce qu'un jour on n'en puisse plus.

Déjà quand il est arrivé je ne l'aimais pas. Quel besoin mon associé avait-il d'introduire dans notre échoppe un stupide livre disque "Sans famille" d'après la bande originale du film éponyme d'André Michel (1958) ???

Plus de deux ans après, c'est décidé, il va dégager de mon espace vital ce truc !

Donc pour l'instant il est à donner.

Qui le veut le prend.La semaine prochaine s'il est encore là je le détruis implacablement. Je sauterai dessus à pied joints, comme Prunelle dans les Gaston... ça me défoulera un peu et ça prolongera l'espérance de vie des clients qui démantibulent le rayon illustration.

Adieu Vitalis.

J'ai piqué l'image sur ebay, ce qui veut dire que vous pouvez aussi payer pour avoir cette œuvre.

 
Exposition et Dédicace Laurent Maffre : les chambres du Cerveau
 

Enfin... une bonne adaptation littéraire

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Depuis bientôt dix jours, l’exposition des planches originales du dernier album de Laurent Maffre, Les chambres du cerveau, a investi nos murs. Une vingtaine d’originaux, magnifiques, sont présentés, noir et blanc charbonneux  baignés par l’expressionnisme des films de F.W. Murnau. De sublimes grands formats au service d’une nouvelle de R.L. Stevenson contant le meurtre d’un antiquaire la veille de Noël. Rien n’est à vendre, si ce n’est le livre que nous recevons la semaine prochaine et que nous vous conseillons chaudement. Ainsi, vous pourrez le faire dédicacer par son auteur, présent dans votre Aaapoum du 14 de la rue Serpente le samedi 8 novembre dans l’après midi et la soirée. Plus d'informations bientôt. En attendant, consultez ci-dessous l’article que Stéphane a publié dans le dernier numéro de Chronic’art pour en apprendre un peu plus sur l’album..

Les chambres du cerveau, Laurent Maffre d'après Robert Luis Stevenson, Actes Sud.

L'« adaptation littéraire » ne serait qu'une vieille prostitué si, de temps en temps,ne nous arrivaient une œuvre subtile et personnellecomme celle de Laurent Maffre.

L'adaptation littéraire est devenue une terre brulée d'où se démarquent péniblement quelques livres, au mieux vains. L'exemple type : le dernier Joann Sfar. Son Petit Prince est loin d'être la plus méprisables de ces productions, puisqu'une certaine forme d'intelligence le sauve. Mais son seul mérite, in fine, sera d'avoir été sage et respectueux jusque dans la mise en image, conciliation laborieuse entre l'aquarelle originelle de Saint-Exupéry et le plume vibrante du repreneur, ajoutant de-ci de-là une tête de Prévert ou Gainsbourg et deux trois volutes de fumée de cigarette, histoire de rappeler qu'il avait bien un univers Joann Sfar avant de se faire casser les jambes par les désidératas d'une commande Gallimard. Depuis deux ans, en effet, c'est l'avalanche, pas un éditeur qui ne se soit lancé dans ce genre facile à faire, facile à vendre, d'autant plus dans notre pays blindés de bibliothèques municipales qui n'attendent que cette caution littéraire pour s'équiper en sous-produits culturels plus connue sous le nom de BD. La consigne primordiale : pas de trahison pas de risque, encore moins d'interprétation ; on illustre le texte comme une notice de maquette d'avion. Et le genre, de devenir la tarte à la crème des industriels et des professeurs de primaires, pour le malheur des grands classiques. Stevenson, à ce sujet, est l'un des plus à plaindre, maintes fois poignardé par la bande dessinée, que ce soit par l'entremise d'Hugo Pratt et de Lorenzo Mattoti, qui ne s'étaient à l'époque pas foulés, ou, pire, par le déluge des modernes qui profitent des possibilités éditoriales pour massacrer ces chefs d'œuvres, sans personnalité, sans culture sans vergogne, et au moins trois fois cette année. C'est un contexte noir qui, par contraste, offre au travail de Laurent Maffre une valeur plus grande encore.

Adapter

Le mot adaptation devrait être suffisamment porteur de sens pour que celui qui s'y lance se pose un minimum de questions. La première interrogation de Laurent Maffre, la plus indispensable, est celle que ces collègues ne se posent jamais : « A quoi sert d'adapter L'ile au trésor ou L'Etrange cas du Docteur Jekyll et Mister Hyde ? ». A rien, évidemment, puisque ce n'est pas dans ces sommets de perfection qu'il y aura quelque chose à extraire ou à apporter. Amoureux de Stevenson, il se tourne alors vers une nouvelle plus modeste, quoique très appréciée des amateurs : Markheim. Dans ce conte de noël commandé par un quotidien londonien, l'écrivain ressasse les pensées qui le travaillent, la nuit, dans ses fameux cauchemars que sa femme a pour charge de consigner. L'histoire commence lorsque un client entre chez un antiquaire, un soir de noël. Cette fois, il ne vient pas monnayer un des nombreux objets rares qu'il prétend récupérer auprès de son oncle mais acquérir en urgence un présent pour sa femme. Bientôt, le commerçant sera mort, poignardé par son visiteur, et l'assassin subitement confronté à inquiétant reflet, diable ou double de lui-même, jailli d'on ne sait où si ce n'est des nombreux miroirs disposés un peu partout, dans cette échoppe poussiéreuse croulant sous le bric et le broc. Dès le résumé, les ébauches de Jekyll et Hyde transparaissent, et avec eux le thème du combat entre le bien et le mal -libre arbitre et prédestination- qui se déroule en toute âme humaine. Pour autant, la nouvelle Markheim s'en distingue en de nombreux points, puisqu'elle ne conte pas l'abandon d'un notable à ses plus sombres penchants, mais au contraire la sursaut d'un criminel qui, reconnaissant avoir perdu tout contrôle sur sa vie, entame un couteux périple vers la repentance. Un détail scénaristique loin d'être anodin, en tout cas pour Maffre, puisque le lutte pour la liberté et la rédemption étaient déjà les thèmes au cœur de son précédent ouvrage.

Transposer

D'adaptation en adaptation, Maffre développe en effet son sujet pour l'enrichir de nombreux échos. Dans cette démarche, il inscrit son action la plus ambitieuse, celle qui oblige la nouvelle de Stevenson à dialoguer avec le reste de ses œuvres (le titre La chambre des cerveaux est tirée d'un texte de l'écrivain très éclairant sur le rêve) mais aussi, dans une plus large mesure, avec les thèmes de la condition humaine, de la folie et du double, à travers l'histoire de l'Art. Car si le texte originel opposait exclusivement le héros à un doppelgänger venu ébranler ses certitudes, Maffre enrichit ces confrontations, qui survenait principalement lors des rencontres avec un miroirs, d'autres reflets, cathartiques, que lui renvoient les peintures et autres œuvres d'art amoncelées dans l'échoppe de l'antiquaire. Cette idée lui permet non seulement de transposer une mise en scène essentiellement littéraire en une forme visuelle qui ne soit pas répétitive et laborieuse, mais elle lui permet de surcroit d'inscrire par-dessus les conceptions de Stevenson sa propre interprétation de la folie. Il imagine en effet ce magasin comme une mine d'or dans laquelle reposeraient tout aussibienle Marat Assassiné  de Jacques-Louis David que l'autoportrait Désespéré de Gustave Courbet ou Les caprices de Francisco de Goya. Et dans le choix du catalogue se dessine une conception singulière de la dualité, de l'homme comme être esclave de lui-même, condamné au témoignage de sa propre déchéance. Sur ces références (datant d'avant Stevenson), Maffre appose une esthétique expressionniste, citant à foison Murnau et Lang. Si bien que, très vite, les pages se retrouvent saturées d'intertextualité, baignant l'ancien récit dans une vision artistique et philosophique de l'humanité qui maintenant le dépasse, à la fois universelle, intemporelle, immanente. La couverture, à cet égard, est une parfaite introduction à ce projet puisqu'elle reprend le  Jugement dernier de Luca Signorelli, tableau dans lequel le diablesouffle à l'oreille de l'antéchrist un message sans que l'on sache jamais si le bras qui dépasse de sa cape est bien le sien ou celui du fourbe conseiller qui se tient derrière lui. Œuvre dense, LesChambres du cerveau n'est pas dépourvue de maladresses. Néanmoins la finesse de sa réflexion sur l'écriture de Stevenson et la mise en abime vertigineuse de ses thèmes jusqu'à notre actualité en font une lecture formidable. Et peut-être même l'ultime survivant d'ungenre en passe d'être à jamais galvaudé.