Publications dans Avril 2008
Bird de Carlos Trillo et Juan Bobillo
 

Masque, tatouages et vengeance

Le masque et la dualité qu'il crée forment le cœur des histoires de super héros. Plus anciennement c'est un thème couramment abordé dans la littérature populaire. Jekyll et Hyde, Dantès et Monte-Cristo,  de la Vega et  Zorro... les ancêtres de Hulk, Iron-man et Batman sont innombrables. Dans la littérature comme dans le monde des comics certains cas relèvent de la double identité, les autres de la double personnalité (les uns choisissent de revêtir le masque, les autres le subissent). C'est tout naturellement que Carlos Trillo, scénariste argentin à la créativité généreuse et bouillonnante, s'était attaché tout au long du projet Cybersix, qu'il mena avec Carlos Meglia, à souligner les liens qui unissait la bande dessinée à ses sources littéraires. Dans la série Bird, dessinée par Juan Bobillo, 3 tomes parus chez ERKO, il reprend le thème du masque mais cette fois-ci dans un thriller contemporain délaissant le super-héroïsme et les références au profit d'une approche plus psychologique.

Le masque dissimule tout en modifiant ce qu'il recouvre. Le porteur du masque change : puisque sa personnalité est voilée, une nouvelle peut surgir. Le masque est justement un élément primordial dans beaucoup de rituels magiques et le risque est grand pour le porteur de se retrouver possédé.

L'héroïne de Bird s'appelait Jobeth. Son frère parvint à la faire interner dans un  hôpital psychiatrique  pour être le seul à bénéficier d'un héritage familial. La pauvre et timide Jobeth est rendue à l'état de légume à cause des drogues dont elle est abreuvée. Elle parvient tout de même à s'évader. Son ordure de frère lance des tueurs à ses trousses. Pour leur échapper elle change donc d'identité. Le passage se fait par une initiation classique : abandon de pilosité, scarifications et tatouages. Un masque créé par retraits et ajouts à une figure initiale. Désormais elle sera Bird, mannequin adulé au charisme arrogant. Pour se dissimuler elle étale donc son visage sur tous les murs de la ville. Omniprésente (sans pour autant se marier au président) elle devient invisible et tout lui est permis. Elle va pouvoir ourdir sa revanche.

Sans dévoiler davantage une intrigue pleine de rebondissements et d'action mâtinée de sado-masochisme dont sont friands les argentins, il me reste à vous dire que l'histoire est bien complète, menée avec vigueur sans s'embarrasser des ressorts les plus prévisibles. Le plat corsé de drogues, de sexe et de violence tant physique que psychologique est ici servi en couleurs directes, en aquarelles fort tendres, ce qui créé un effet déroutant assez séduisant. Le dessin de Bobillo arrondit ainsi les excès de Trillo par un voile de lavis et insuffle un peu de douceur dans un univers à la noirceur désespérée.

Bien sûr chez AAAPOUM BAPOUM vous trouverez les trois tomes en pack, en très bel état pour ne pas dire neufs, pour la somme concurrentielle de 19,50€ au lieu des 37,50 € initiaux...

 
La cité feu, "Le Métro" de Mœbius et Geof Darrow
 

Une image-monde

En septembre dernier nous vous chantions les louanges d'une affiche tirée du portfolio La Cité-feu de Mœbius et Darrow. Il s'agissait de "La rue", voici maintenant son pendant : "Le métro". Cette magnifique reproduction d'un magnifique dessin est une réussite rare.

Il est peu d'images qui possèdent cette richesse. Une plongée, une perspective presque cavalière, une diagonale, deux quais de gare souterraine, un étrange attelage et ses wagons, la foule des voyageurs et leurs activités variées... Partout où notre regard se pose, il découvre une multitude de détails et décèle autant d'histoires potentielles. Plus on s'approche et plus il est donné à voir et à rêver. Une telle réussite tient du miracle : les crayonnés maniaques de Darrow, alliés à la souple précision de Mœbius qui les encra, sont parvenus à sculpter une vision inépuisable. Un espace pourtant plat que l'esprit ne se lasse jamais d'explorer.

Le collectionneur qui a été amené à s'en défaire me confiait justement, qu'au bout de 20 ans, il ne l'avait pas épuisé.

Imprimée en un offset précis par les éditions Aedena en 1989, d'une taille appréciable (86 X 68 cm), cette merveille fut tirée à 150 exemplaires (le nôtre a reçu le n°117) et porte la signature des deux visionnaires. Même dans un cadre moche, elle est si belle, exposée rue Serpente, que je peux vous dire que nous ne sommes pas pressés de la vendre ! D'ailleurs je me bats chaque jour avec moi-même pour résister à l'envie de la soustraire au public et de l'emporter chez moi.

Pour l'instant elle est à vendre. 450 euros, sans cadre. Si vous voulez vraiment le cadre, faudra y mettre 20 euros de plus.

Au fait, le pendant "La rue" a bien été vendu il y a quelques mois, mais miracle, son acquéreur n'est toujours pas passé le prendre (alors qu'il l'a bien payé !), si bien que vous pouvez toujours venir l'admirer.

 
Radio Crumb bonsoir
 

Un portrait radiophonique de  Robert Crumb

Si ça se trouve il existe des lecteurs du AAABLOG qui ne lisent pas le blog de Cornélius et qui ne suivent pas de près les programmes de France Culture. Alors pour ces hypothétiques habitués je fais ici un petit rappel : ce soir à 22h15 l'émission Surpris par la nuit sera consacrée à Robert Crumb. Conçue par Christian Rosset (tiens, ça me dit quelque chose ce nom) et réalisée par Anne Fleury, ces 45 minutes ont l'air alléchantes,  jugez plutôt (je recopie ci-après le descriptif du site de France Culture pour ceux qui, comme moi, n'aiment pas passer leur temps à suivre des liens) :

crumb_radio.jpg

Robert Crumb (né le 30 août 1943 à Philadelphie) parle peu. Il vit àl'écart avec sa famille, depuis le début des années 90, dans le sud dela France (son départ des Etats-Unis a été filmé par Terry Zwigoff). Sa côte est de plus en plus élevée. Une anthologie en langue française,réalisée avec un soin maniaque à partir des originaux, est en cours de publication aux éditions Cornélius. Robert Crumb, autobiographe et contempteur de l'Amérique contemporaine, est aujourd'hui plus reconnu que jamais, survivant légendaire d'une époque - les années 60-70 - qui continue de fasciner (il vient d'être compté par un magazine américain parmi les 100 génies vivants, toutes catégories confondues, ce qui n'est certes pas sérieux mais nullement hasardeux). Ce qu'on sait peut-être moins, c'est que Crumb, loin d'être un apôtre de la contre-culture, est un pur "inactuel", n'écoutant que des 78 tours, et dessinant du matin au soir sur des carnets ce que son regard nostalgique mais précis capte d'un monde en voie de disparition. Pour faire un portrait de Robert Crumb, il est nécessaire de varier les angles d'approche. Pour cela, un miroir à trois faces est parfait. Un assez grand miroir qui pourrait capturer, au-delà du mutique et solitaire Crumb, les résonances toujours sensibles de ce qu'on a appelé"l'underground". La réédition de Breakdowns, l'album mythique des débuts d'Art Spiegelman, augmenté d'une réflexion en texte et en bande dessinée sur ces temps agités, nous incitera à creuser, en sa compagnie, quelques pistes parmi d'autres qui, par montage, nous permettront de composer un portrait aussi labyrinthique que concret,retrouvant la voix de Crumb : non l'organe de la parole mais celle qu'on entend très précisément quand on plonge dans son monde de dessin.

Avec :

- Edmond Baudoin, dessinateur

- Blutch, dessinateur (sous réserves)

- Florence Cestac, dessinatrice et ancienne éditrice (Futuropolis)

- Alain Dister, écrivain, photographe

- Lora Fountain, agent de Robert Crumb

- Jean-Louis Gauthey, éditeur (Cornélius)

- Jean-Pierre Mercier, responsable de l'anthologie Crumb chez Cornélius

- Gilbert Shelton, auteur des Freak Brothers (sous réserves)

- Art Spiegelman, auteur de Maus et de Breakdowns

- Et la voix de Crumb

Ah au fait si je vous conseille cette écoute c'est parce que Robert Crumb c'est bien et qu'en plus, ô surprise, on vend ses livres chez AAAPOUM BAPOUM !

"A vos cassettes !" comme disait Jean-Christophe Averty, car j'ai l'impression que cette émission ne pourra être podcastée.

 
Récurrence de la figure eastwoodienne (annexe 5)
 

Jeunes talents Fnac 1999

Depuis l'ouverture de ce blog je me suis donné une tâche : recenser les apparitions de Clint Eastwood dans la bande dessinée et jeter les ébauches d'une analyse de l'utilisation de cette figure. C'est ma mission, je dois la mener à bien, quand bien même je n'aurais pas grand chose à dire de certains des objets qui passent sous mes yeux.

Ainsi ce Rue Watt issu d'un concours lancé en 1999 par les Fnac d'Île-de-France. Il s'agissait de découvrir de jeunes talents... Aux participants étaient soumis un thème, le polar, et une phrase "Rue Watt, 31 décembre 1999, il pleut, une ombre passe...". Passons sur la banalité de l'argument, après tout les sujets de rédac' ne sont que des prétextes, et concentrons-nous sur l'objet primé, donc édité, puisque tel était l'enjeu. 3 feuilles A3 pliées en deux et agrafées, celle servant de couverture étant plus épaisse, merci. 8 planches de BD donc. Passons également sur le caractère pingre du mécénat fnacquien pour nous attarder sur ses conséquences. Le scénario élu, écrit par Laurent Benosa, semble avoir été conçu pour s'étendre sur une pagination plus proche d'un "roman dessiné" à la (A suivre...) que d'une nouvelle.   Résultat :  à force d'être elliptique l'histoire en devient obscure.

rue_watt.jpg

Dans un noir et blanc synthétique, entre ténèbres et surexposition, Olivier Georges dirige correctement son petit théâtre sans parvenir à dépasser la rigidité de ses sources photographiques. Un défaut propre à de nombreux débutants dont il est malaisé de se départir. Au moins le lauréat arrive-t-il ainsi à produire un Clint Eastwood ressemblant (dans près de la moitié des cas). Curieux choix, néanmoins, que de recourir aux traits du célèbre Américain pour incarner "Cosme Vilard", un ancien de l'Indochine, fraîchement libéré du pénitencier de l'Île de Ré et arpentant les rue de Paris. Eastwood ne me paraît pas crédible en Français. La star transportant dans ses rides un demi-siècle de cinéma hollywoodien est depuis longtemps déjà un des visages de l'Amérique, identifiable par tout un chacun. Vouloir l'intégrer dans une trame marquée par un féroce ancrage dans le terroir de Lino Ventura était un défi un peu téméraire.

Si ce fascicule est un échec, il n'en demeure pas moins une proposition intéressante. Les deux jeunes talents découverts par la Fnac ne semblent pas avoir récidivé... Dommage.

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