Publications dans Avril 2012
Superman identité secrète et Superior
 

"Reculez ! C'est super lourd en fait !" - Superior #3

Le hasard a voulu que je lise successivement deux ouvrages qui ont pas mal de points communs. Est-ce vraiment le hasard ? Ne serait-ce pas plutôt qu'ayant lu une bédé m'ayant bien plu, j'ai instinctivement cherché, dans les piles de livres à lire qui s'entassent chez moi, un aliment me permettant de prolonger le plaisir que j'avais éprouvé ? Qu'importe, j'ai donc lu le premier tome de Superior de Mark Millar et Leinil Yu (2011 aux EU, en nouveautés en France). Puis j'ai enchaîné sur Superman : identité secrète de Kurt Busiek et Stuart Immonen (2004 aux EU, 2005 et 2006 en France).

superman superior

superman superior

Ces deux histoires ont comme point commun de présenter des univers où les super-héros n'existent qu'à l'état de fiction. Dans l'univers de la série Superior, le personnage éponyme n'est qu'un héros de comics aussi adaptés au cinéma. Idem pour Superman dans Identité secrète. Un peu comme chez nous, quoi.

Pour du Mark Millar le ton de ce premier Superior est étonnamment peu cynique. Le récit s'ouvre sur le quotidien de Simon, un adolescent atteint de sclérose en plaques. Avant il était bon au basket, mais c'est bien fini. Il ne lui reste plus que les BD et le cinoche, et un pote qui veut bien le voir une fois par semaine. Du Millar lacrymal. Par la suite on rigole beaucoup. Parce qu'un singe venu de l'espace lui permet d'exaucer un voeu  et que Simon devient aussitôt Superior, avec la tête de l'acteur qui l'incarne au cinéma. Le rythme est assez lent, mais c'est très jubilatoire, alors on est content que ça n'aille pas trop vite. Le suspens de la fin est très bien.Quant à Superman : identité secrète, c'est l'histoire d'un ado que ses parents, les Kent, ont stupidement appelé Clark, parce que c'était marrant. Du coup tout le monde se fout tout le temps de sa gueule au collège... Mais un jour,

Bon je m'arrête tout de suite car je sens que je ne suis pas assez en forme pour écrire un texte qui soit un tant soit peu à la hauteur de cette très belle histoire, fort bien dessinée, fort bien écrite, fort agréable à lire, fort sensible, fort émouvante, fort intelligente. Pas besoin d'apprécier spécialement Superman ou les super-héros pour accrocher à cette histoire. On va d'ailleurs faire un pack avec les deux tomes et le mettre non pas en rayon "Superman" ou "comics", mais dans la petite caisse "sélection aaapoumienne, dans cette caisse tout est bon !". D'ailleurs je vous le dis, Alex vous le dit, Stéphane pourrait vous le dire s'il n'était pas en week-end et Florent de chez Pulp's, grand amateur de Superman, pourra vous le confirmer : c'est excellent. Le tome 1 fut édité chez Semic books et le second chez Panini. Si on trouve encore assez facilement le premier, le second est plus dur à attraper. On vend le pack des deux pour 35 €. C'est assez raisonnable.

Superior (éditions Panini, 11,20 €) en revanche, vous n'en trouverez pas chez nous aujourd'hui, mais vous pouvez toujours l'acheter chez nos voisins. Surtout s'ils sont fans de Superman.

 
Revue de presse : courrier international n°1120
 
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À noter : un beau papier de Leila Guerriero, journaliste argentine, sur sa relation avec Mafalda de Quino. Initialement paru dans El País espagnol, il est traduit dans le Courrier international de cette semaine.

Un extrait :

"Comprendre qu'une mère pouvait douter de ses choix – et peut-être même les regretter – fut pour moi une découverte terrifiante. Parfois pendant que ma mère reprisait des chaussettes, lavait par terre ou faisait la vaisselle, je lui demandais : "Maman, qu'est-ce que tu aurais voulu être, toi ?" levant les yeux au ciel, elle me répétait : "Ah mon Dieu, cette petite ! T'as de ces questions !" Mon personnage préféré était Liberté – et toute sa mystérieuse famille –, mais aux yeux de ma mère, Liberté et toute sa famille étaient des tarés. Décidément, ce n'étaient pas des livres pour les enfants."

 
Totendom tome 1 et 2, édition luxe, de Recht et Delmas
 

"—Les héros sont immortels !

— Mais les héros doivent-ils  être inconscients ?"

2 albums... 3 ex-libris

2 albums... 3 ex-libris

La prose grandiloquente de Gabriel Delmas est toujours jubilatoire et exaltée... Ici dans la postface du récit wagnérien mis en images par Robin Recht, il écrit :

"Gloire aux marges fangeuses de l'édition qui défendent la vérité de l'être humain et travaillent à remettre l'artiste sur le piédestal d'où il a été viré autrefois par les charlatans et les menteurs. Je ne fais pas de la putain de bande dessinée. Je fais avant tout du dessin et de l'écriture."

Les commerçants que nous sommes proposent à la vente en ce jour les tirages de luxe numérotés et signés des deux tomes de Totendom.

• Le tome 1 est accompagné de deux ex-libris numérotés et signés. L'un d'Alex Alice, cover artist de la série, l'autre de Robin Recht. Tirage : 300 exemplaires. Cette édition comprend, par rapport au tirage standard,  un cahier supplémentaire de 16 pages fort plaisantes de croquis et d'esquisses. Les 1er et 4e plats sont un peu frottés. 50 €.

Une dédicace de Robin Recht. Correcteur liquide blanc sur pages de gardes noires.

Une dédicace de Robin Recht. Correcteur liquide blanc sur pages de gardes noires.

• Le tome 2 fut tiré à 250 exemplaires. 125 réservés à la librairie Forbidden Zone à Bruxelles et 125 à la  librairie Boulevard des Bulles à Paris, désormais disparue. Un ex-libris numéroté et signé par Robin Recht est glissé à l'intérieur. De plus notre exemplaire, le n°43, est agrémenté d'une dédicace pleine page au correcteur liquide sur fond noir. Ce tirage bénéficie comme celui du tome 1, d'un cahier d'esquisses dont nous déplorons cette fois la maquette immonde et surchargée. 65€.

Avertissons tous de même nos clients que l'acquisition de cette variation fantastique sur Gilles de Rais ne connaîtra sans doute jamais de dénouement, comme tant d'œuvres de cet art si laborieux et long qu'est la bande dessinée...

Ces ouvrages seront à vendre rue Dante d'ici une heure.

 
Interview de Agnese Micheluzzi, à propos de son père.
 

Hier soir, lors du vernissage de notre exposition des planches d'Attilio Micheluzzi, nous avons accueilli sa fille, Agnès, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions. Elle entretenait avec son père une relation conflictuelle et devait quitter le foyer familial à 24 ans. Mais ses souvenirs sont chargés de nombreux et précieux renseignements. La retranscription qui suit est brute. 

"Micheluzzi travaillait tout le temps. De 7 heures du matin à 8h le soir. Même quand il partait en vacances, il emmenait des planches. Il lui fallait en moyenne 2 mois pour dessiner un album de  48 planches, recherches et documentations comprises. Toutes les données objectives au sujet du Titanic, par exemple, sont issues de recherches. Imaginez sans Google le temps que cela demandait. Il aimait d’ailleurs à dire que l’écriture du scénario et la recherche documentaire prenait bien plus de temps que le dessin. En tant que père, en revanche, c’était un désastre puisqu’il n’avait pas de temps pour nous. Il faisait tout, seul, sans assistant, dans son bureau, à la maison. Tout ce travail-là était alimentaire, pour nourrir sa famille. Architecte en Lybie, il se retrouve soudainement au chômage, à 40 ans, suite au coup d’état de Kadhafi, et doit rentrer au pays sans travail, mais avec une famille à assumer.

Non ce n'est pas Agnese Micheluzzi, mais Michel Jans des éditions Mosquito... Qui assurait la traduction en y ajoutant son savoureux grain de sel. La photo fut bien prise par Agnese en revanche !

Non ce n'est pas Agnese Micheluzzi, mais Michel Jans des éditions Mosquito... Qui assurait la traduction en y ajoutant son savoureux grain de sel. La photo fut bien prise par Agnese en revanche !

Sa reconversion dans la bande dessinée ne se fait néanmoins pas par hasard. Son histoire avec la BD remonte à son enfance. Son père était général de l’aviation italienne et, gamin, il remplissait ses cahiers d’avions et de machines. A 18 ans, il a même dessiné une première bande dessinée qui n’a jamais été publiée. Parmi les inspirations dont je me souviens, je peux citer Milton Caniff qu’il adorait, Muñoz et Sampayo, Toppi avec qui il avait une relation d’admiration particulière, Battaglia et Pratt évidemment, et le Flash Gordon d’Alex Raymond…

Mais surtout, mon père aimait beaucoup le cinéma américain. Comme tous les gens de sa génération, il raffolait des comédies et des westerns. Leur fascination pour l’aventure et les militaires, qui leur a été souvent reprochée, soi-disant malsaine, admirative pour la cause militaire, était un héritage d’une enfance en temps de guerre. Ils avaient grandi avec les américains, et le cinéma hollywoodien entretenait ce fantasme de l’héroïsme issu de l’enfance. Cependant on ne peut pas dire que mon père soit pro militariste, ou qu’il flatte les mérites de la guerre. La guerre n’est qu’un contexte qui peut révéler les hommes, mais en aucun cas ils ne se sentent investis d’une mission.

On sentait également chez lui la nostalgie de l’exotisme. La vie qu’il avait vécue en Afrique avait été une vie aventureuse, avec de la place pour beaucoup d’aléas et d’exotisme. Son retour à la mère patrie dans des conditions de pauvreté était douloureux et il avait trouvé dans l’écriture de bande dessinée un moyen de sublimer et de compenser ces voyages du passé.

Sa carrière d’auteur  fut ainsi très courte, une vingtaine d’année. Une très petite partie seulement a été traduite en français. Captain Eric, par exemple, compte plusieurs centaines de planches. Micheluzzi  a écrit dans énormément de registres, comme le gore avec une histoire d’enfant qui tue le Père Noël et se sert de ses entrailles comme guirlandes. Des histoires de science fiction, et même un Dylan Dog pour les éditions Bonelli. Quant à Air Mail, si en France la série n’a pas été terminée, c’est parce que le 4ème volume a été perdu par Dargaud Editions.

Dans le milieu, il n’avait pas beaucoup d’amis car nous vivions à Naples, excentrés par rapport au monde de la bande dessinée. Il avait des amitiés d’estime, il correspondait avec Sergio Toppi, Hugo Pratt ou Andrea Pazienza par exemple. Mais sa seule vraie amitié était je crois avec l’éditeur Bonelli.

Au bénéfice du doute, je pense que la bande dessinée favorite de mon père était Petra Chérie, probablement parce qu’il avait vraiment une grande affection et une grande admiration pour les femmes, et surtout car il avait réussi à créer un personnage hors-normes pour l’époque.  Peut-être également parce qu’il avait transposé un peu de sa relation conflictuelle avec moi dans ce personnage, même si la plupart des sources d’inspiration venaient essentiellement du cinéma…

Sur son rapport au monde politique, je me souviens qu’il allait voter, conservateur généralement. Il était engagé, concerné, et n’avait aucune sympathie pour les extrémismes. Son idéal politique, ses histoires l’expriment, c’est la nostalgie de la Mittel Europa, ce monde qui n’a sans doute jamais existé. Chez lui cette nostalgie répond à l’amertume éprouvée face à la situation politique de l’Italie qu’il venait de retrouver après des années d’absence, et qu’il n’aimait guère. Par exemple, pour exercer son métier, en tant qu’architecte, il lui fallait obtenir une carte de membre partisane, et sur Naples c’était le socialisme. Son expérience personnelle l’a rendu très critique vis-à-vis du système politique italien. Il n’aimait pas non plus tout ce qui avait trait à la réclamation, lui qui était toujours dans la rigueur et la sobriété. Il a eu par exemple des échanges assez vifs avec des féministes italiennes des années 70 car il n’appréciait pas les revendications trop provocantes, qu’il assimilait à la vulgarité. Pour lui le féminisme c’était Petra, un personnage qui porte ses valeurs très loin dans l’action, mais discrète, voire secrète. Elle refuse la sujétion, elle est complexe, libre, mais voit plus loin que sa propre condition qu’elle assume avec une force naturelle.

Sur la fin de sa vie il commençait à se fatiguer de la bande dessinée car il en faisait beaucoup sous pression. Il a ainsi eu une petite activité de peinture à l’huile et parlait de se reconvertir dans le dessin sur tissu. Se prendre une maison en Ombrie, et peindre des motifs."