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BAGGI : TRAVAUX ET L'AFFAIRE LORETTA STEVENS
 

Les univers cannibales

À propos de Travaux et de L’affaire Loretta Stevens de Alessandro Baggi.

Alessandro Baggi ne compte guère à son actif qu’une poignée de Dylan Dog et d’albums divers qui n’ont soulevé l’enthousiasme ni en France, ni de l’autre côté des Alpes. L’auteur a pourtant quelques qualités à faire valoir, notamment son dessin soigné. Quand son style ne revisite pas le comics ou l’école française moderne, il s’appuie sur le classicisme italo-argentin, tendance Alberto Breccia ou Dino Battaglia, selon les besoins de l’intrigue. Malgré le faisceau de références qui convergent dans son dessin, le travail de Baggi n’a rien d’un fourre-tout, car l’auteur se réapproprie la technique du patchwork ou du photomontage cher aux surréalistes italiens. Travaux ou L’affaire Loretta Stevens sont en outre hanté par la présence de Buzzati, Lovecraft… ou Steve Gerber (Howard the Duck). Baggi recompose à chaque fois un récit onirique qui glisse immanquablement vers l’horreur la plus noire.

Le héros de Baggi est toujours inaccompli. Sa peur puise son origine dans la certitude qu’il n’y a pas d’issue. Quoi qu’il fasse, il est d’ors et déjà condamné à revenir à l’état primal ; à être happé et ensuite digéré dans quelque chose d’utérin et à la fois intestinal… pour l’éternité.

Les tentatives de Baggi, en dépit de leur manque de reconnaissance, prouvent qu’une bande dessinée transalpine affranchie des canons des fumetti et des récits prattiens existe bel et bien. Nos boutiques proposent chacun de ces deux titres à 9 euros (au lieu de 13).

 
Interview de Agnese Micheluzzi, à propos de son père.
 

Hier soir, lors du vernissage de notre exposition des planches d'Attilio Micheluzzi, nous avons accueilli sa fille, Agnès, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions. Elle entretenait avec son père une relation conflictuelle et devait quitter le foyer familial à 24 ans. Mais ses souvenirs sont chargés de nombreux et précieux renseignements. La retranscription qui suit est brute. 

"Micheluzzi travaillait tout le temps. De 7 heures du matin à 8h le soir. Même quand il partait en vacances, il emmenait des planches. Il lui fallait en moyenne 2 mois pour dessiner un album de  48 planches, recherches et documentations comprises. Toutes les données objectives au sujet du Titanic, par exemple, sont issues de recherches. Imaginez sans Google le temps que cela demandait. Il aimait d’ailleurs à dire que l’écriture du scénario et la recherche documentaire prenait bien plus de temps que le dessin. En tant que père, en revanche, c’était un désastre puisqu’il n’avait pas de temps pour nous. Il faisait tout, seul, sans assistant, dans son bureau, à la maison. Tout ce travail-là était alimentaire, pour nourrir sa famille. Architecte en Lybie, il se retrouve soudainement au chômage, à 40 ans, suite au coup d’état de Kadhafi, et doit rentrer au pays sans travail, mais avec une famille à assumer.

Non ce n'est pas Agnese Micheluzzi, mais Michel Jans des éditions Mosquito... Qui assurait la traduction en y ajoutant son savoureux grain de sel. La photo fut bien prise par Agnese en revanche !

Non ce n'est pas Agnese Micheluzzi, mais Michel Jans des éditions Mosquito... Qui assurait la traduction en y ajoutant son savoureux grain de sel. La photo fut bien prise par Agnese en revanche !

Sa reconversion dans la bande dessinée ne se fait néanmoins pas par hasard. Son histoire avec la BD remonte à son enfance. Son père était général de l’aviation italienne et, gamin, il remplissait ses cahiers d’avions et de machines. A 18 ans, il a même dessiné une première bande dessinée qui n’a jamais été publiée. Parmi les inspirations dont je me souviens, je peux citer Milton Caniff qu’il adorait, Muñoz et Sampayo, Toppi avec qui il avait une relation d’admiration particulière, Battaglia et Pratt évidemment, et le Flash Gordon d’Alex Raymond…

Mais surtout, mon père aimait beaucoup le cinéma américain. Comme tous les gens de sa génération, il raffolait des comédies et des westerns. Leur fascination pour l’aventure et les militaires, qui leur a été souvent reprochée, soi-disant malsaine, admirative pour la cause militaire, était un héritage d’une enfance en temps de guerre. Ils avaient grandi avec les américains, et le cinéma hollywoodien entretenait ce fantasme de l’héroïsme issu de l’enfance. Cependant on ne peut pas dire que mon père soit pro militariste, ou qu’il flatte les mérites de la guerre. La guerre n’est qu’un contexte qui peut révéler les hommes, mais en aucun cas ils ne se sentent investis d’une mission.

On sentait également chez lui la nostalgie de l’exotisme. La vie qu’il avait vécue en Afrique avait été une vie aventureuse, avec de la place pour beaucoup d’aléas et d’exotisme. Son retour à la mère patrie dans des conditions de pauvreté était douloureux et il avait trouvé dans l’écriture de bande dessinée un moyen de sublimer et de compenser ces voyages du passé.

Sa carrière d’auteur  fut ainsi très courte, une vingtaine d’année. Une très petite partie seulement a été traduite en français. Captain Eric, par exemple, compte plusieurs centaines de planches. Micheluzzi  a écrit dans énormément de registres, comme le gore avec une histoire d’enfant qui tue le Père Noël et se sert de ses entrailles comme guirlandes. Des histoires de science fiction, et même un Dylan Dog pour les éditions Bonelli. Quant à Air Mail, si en France la série n’a pas été terminée, c’est parce que le 4ème volume a été perdu par Dargaud Editions.

Dans le milieu, il n’avait pas beaucoup d’amis car nous vivions à Naples, excentrés par rapport au monde de la bande dessinée. Il avait des amitiés d’estime, il correspondait avec Sergio Toppi, Hugo Pratt ou Andrea Pazienza par exemple. Mais sa seule vraie amitié était je crois avec l’éditeur Bonelli.

Au bénéfice du doute, je pense que la bande dessinée favorite de mon père était Petra Chérie, probablement parce qu’il avait vraiment une grande affection et une grande admiration pour les femmes, et surtout car il avait réussi à créer un personnage hors-normes pour l’époque.  Peut-être également parce qu’il avait transposé un peu de sa relation conflictuelle avec moi dans ce personnage, même si la plupart des sources d’inspiration venaient essentiellement du cinéma…

Sur son rapport au monde politique, je me souviens qu’il allait voter, conservateur généralement. Il était engagé, concerné, et n’avait aucune sympathie pour les extrémismes. Son idéal politique, ses histoires l’expriment, c’est la nostalgie de la Mittel Europa, ce monde qui n’a sans doute jamais existé. Chez lui cette nostalgie répond à l’amertume éprouvée face à la situation politique de l’Italie qu’il venait de retrouver après des années d’absence, et qu’il n’aimait guère. Par exemple, pour exercer son métier, en tant qu’architecte, il lui fallait obtenir une carte de membre partisane, et sur Naples c’était le socialisme. Son expérience personnelle l’a rendu très critique vis-à-vis du système politique italien. Il n’aimait pas non plus tout ce qui avait trait à la réclamation, lui qui était toujours dans la rigueur et la sobriété. Il a eu par exemple des échanges assez vifs avec des féministes italiennes des années 70 car il n’appréciait pas les revendications trop provocantes, qu’il assimilait à la vulgarité. Pour lui le féminisme c’était Petra, un personnage qui porte ses valeurs très loin dans l’action, mais discrète, voire secrète. Elle refuse la sujétion, elle est complexe, libre, mais voit plus loin que sa propre condition qu’elle assume avec une force naturelle.

Sur la fin de sa vie il commençait à se fatiguer de la bande dessinée car il en faisait beaucoup sous pression. Il a ainsi eu une petite activité de peinture à l’huile et parlait de se reconvertir dans le dessin sur tissu. Se prendre une maison en Ombrie, et peindre des motifs."

 
Liberatore
 

Ce bon Tanino Liberatore se montre en interview d'une naïveté désarmante...

Ainsi dans une récente interview accordée à K. Plejwaltzsky pour le magazine Zoo, il confiait :

«Je me demande bien ce qu’elles [les féministes] reprochaient à la bande dessinée, parce que Ranxerox ne se comporte pas comme un salaud avec les femmes. C’est même exactement le contraire… c’est Lubna qui en fait voir de toutes les couleurs à Ranx ! Et on peut appliquer cela à tous les personnages masculins qui traversent ma trilogie.»

Hilarant.

Plus loin il ajoute :

«Nous nous attendions à être attaqués sur l’âge de Lubna mais curieusement, personne n’a songé à le faire. J’imagine que dans l’esprit des gens, il y avait encore le souvenir de tous ces textes faisant l’apologie de la pédophilie pendant les années 60. Aujourd’hui, avec toutes les affaires qui ont été révélées, le regard a considérablement évolué sur la question.»

Certes... Aujourd'hui relire ce qu'il disait en 1981 dans une interview (que l'on peut trouver dans l'ouvrage Tanino Liberatore édité par Kesselring en 1985) fait son petit effet :

«On me demande "Mais pourquoi dessines-tu des gamines, elles te plaisent ?" Je réponds : "Pourquoi tu ne les aimes pas, toi ?" Alors ils n'ont plus le courage de poursuivre. Pourquoi ne pas désirer de te faire toucher par une gamine qui ignore tout du sexe mais qui est assez grande pour qu'on la désire ?»

Tout ceci pour vous dire que nous vendons toujours cette intéressante monographie de ce bon dessinateur, mais que son prix vient d'augmenter, car le stock s'est bien amenuisé. L'ouvrage est donc passé de 3€ à 5€, ce qui reste tout de même très abordable.

On vous avait prévenus que ça allait arriver.

 
Hugo Pratt : Wheeling, édition originale italienne 1972
 

S; du Aaablog est en admiration devant sa trouvaille. Il salive intérieurement. Il le veut... Il le veut mais il résiste car je le regarde d'un sourcil inquisiteur. Il s'agit donc de la très belle première édition de Fort Wheeling de Hugo Pratt. Une édition totalement italienne – Archivio Internazionale Della Stampa Fumetta, pour être précis – sur beau papier, pratiquement au format des originaux, ici très bien réproduits, avec des noirs bien noirs et pas baveux.

C'est donc un album rare que vous pouvez aller voir et acheter rue Dante pour la somme raisonnable quoique souvent dure à sortir de 400 €. J'imagine que Patrick Batman ne le laissera pas traîner au milieu des mangas à 3,50€.

Mon conseil : dépêchez-vous avant qu'un de nos voisins libraires ne franchisse le seuil.

 
Pulp Stories de Cajelli et Rossi, éditions Clair de Lune
 

C'est invraisemblable !

Le bouquin a une bonne épaisseur, il promet un moment de détente assez long. Le dessin est agréable, Lucca Rossi connaît bien ses classiques du noir et blanc, qu'ils soient italiens ou américains. Il a beaucoup lu Frank Miller, Risso et Mignola, ça tombe bien nous aussi : le terrain est famillier. Le scénario commence tout à fait classique, un privé alcoolo qui se fait piéger comme un bleu, puis on sent que l'intrigue se veut chorale et qu'on va avoir droit à une construction un peu éclatée tarantinienne... Bref pas de suprises, mais du confort, les pages se tournent avec satisfaction avec le café matinal. Seulement voilà, page 57 il y a une scène d'action qui ne tient pas la route :

Jack le privé et son vieil ami Giusti, tueur professionnel, commencent à se démener pour innocenter Jack. Giusti c'est le type qui jure dans la première case. Alors qu'ils sont en observation à la porte du hangar, il semble péter un cable et fait brusquement irruption à l'intérieur en interpellant le méchant, "Donovan". Observez bien que la mitraillette de Donovan est bien située sur le bureau, un bon mètre devant lui.

Giusti, qui est un tueur professionnel, je le répète, au service de la Mafia, et qui a bien une cinquantaine d'années, doit être un type sacrément fort et expérimenté, il devrait savoir que c'est idiot de faire des tirades à formules pendant que son adversaire désarmé s'avance vers le bureau, attrappe sa mitraillette, pivote et largue une bonne rafale. Et bien non, ça Giusti ne le sait pas... Il n'a dû rester en vie jusque là que grâce à un incroyable concours de circonstances.

Mais Giusti n'est pas le seul à être très con. Il n'est pas ami avec Jack pour rien. Car Jack, ce vieux briscard de détective privé, assiste à tout ça sans faire usage de son flingue pour tirer sur Donovan. Oui Jack est armé, même si on ne le voit pas sur les images présentées, il y en a déjà assez dans ce post. Non, il ne fais rien de plus malin et sacrificiel que de pousser Giusti pour prendre la rafale à sa place.

Encore une fois voilà mes élans de lecture brisés... Je vais essayer de m'y remettre, mais ça va être dur.

Pulp Stories fait partie d'un lot de défraîchis de Clair de Lune que nous avons reçu à Seprente. De nombreux titres à prix réduit de séries B italiennes (des éditions Bonelli) pleines de qualités et de quelques défauts.

Pulps Stories 6€ au lieu des 12,90€ initiaux.