Publications dans Octobre 2011
Jonni Future de Steve Moore et Arthur Adams
 

Une poitrine abondante gêne-t-elle la manœuvrabilité du réacteur dorsal ?

Je les aimais bien, les Semic books. Ils étaient élégants et, à  75 %, c'était au moins des livres agréables. J'ai été un peu triste quand Semic a perdu la quasi totalité de ses licences américaines. Ainsi mon étagère supérieure allait arrêter d'être encombrée par de nouvelles tranches noires. Je pensais connaître tous les titres, mais en fait, vers la fin, 2004-2005, j'en ai loupé pas mal, comme ce Jonni Future de Steve Moore et Arthur Adams. Steve Moore est présenté sur le rabat comme un scénariste anglais ami de Alan Moore (ça fait toujours bien, un peu comme de dire qu'on a travaillé chez Aaapoum Bapoum). Steve serait même "celui qui a tout appris à Alan". C'est vrai qu'il y a un certain état d'esprit commun qui mêle révérence et dérision en abordant les classiques de la SF rétro. La série Jonni Future fut d'ailleurs initialement publiée par ABC dans les Tom Strong's Terrific Tales où l'on trouvait aussi les aventures du "jeune Tom Strong", de la plume du même Steve Moore.

Nous avons donc affaire à 9 courtes histoires qui forment un hommage à la science-fiction d'exploration aventureuse et exotique telle qu'elle se déploya au Etats-Unis dans le sillage des aventures de John Carter, le Guerrier de Mars d'Edgar Rice Burroughs (1912),  jusqu'à Adam Strange à la fin des années cinquante, sans oublier l'excellent Flash Gordon.

Jonni Future est surtout une série humoristique qui repose sur l'idée de remplacer le traditionnel héros masculin par une créature qui aurait beaucoup de mal à cacher qu'elle est une femme. Ainsi le héros viril qui offrait sa protection aux femmes réfugiées à ses pieds et accrochées à ses genoux est remplacé par une version triomphante des créatures mêmes qu'il défendait.

Jonni Ray, une jeune femme respirant la santé, hérite du manoir de son oncle, qui écrivait de la science-fiction sous le nom de Johnny Future. Jonni se rend vite compte que le manoir recèle un pont dimensionnel et que les aventures narrées par l'oncle, fussent-elles très mal écrites, étaient parfaitement vraies : de l'autre côté son oncle était un véritable héros galactique. Le costume et la fonction font partie de l'héritage et voilà la belle Jonni amenée à faire la justice et à sauver le monde, aidée par un homme-tigre se consumant de désir pour elle.

Les histoires sont souvent réussies, mais elles souffrent un peu de leur briéveté, qui fait pourtant leur singularité. Le second degré est sympathique, mais il n'est véritablement digeste sur le long terme que porté par une histoire vraiment accrocheuse au premier degré. C'est ce que réussit si bien Alan, mais que Steve maîtrise moins, car il ne prend pas le temps. Du coup on s'attache moins aux personnages et aux enjeux.  Il manque un protagoniste entre Jonni et son tigre, qui relancerait un peu la conversation...

Une mini-série agréable mais pas fondamentale.

Si je suis aussi décontracté pour expliquer ici que mon produit est assez honnête mais sans plus, c'est que pour convaincre les lecteurs, Jonni Future a des arguments qu'aucun de mes babillages verbeux ne saurait effriter. Portée par le dessin précis d'Arthur Adams et l'encrage soigneux d'Al Gordon (sauf sur l'avant-dernière histoire où ils devaient tous deux avoir une sacrée grippe), la plastique de l'héroïne saura convaincre beaucoup de nos clients toujours prompts à acquérir le moindre fascicule arborant un beau fessier ou une poitrine abondante. Les fesses de Jonni Future sont parfaitement moulées dans sa combinaison, et ses seins débordants sont... bref, je ne me fais aucun souci quand à l'avenir des dix exemplaires que nous avons récupérés et que nous vendons 9,90 € (prix initial 11,90€).

 
Hugo Pratt : Wheeling, édition originale italienne 1972
 

S; du Aaablog est en admiration devant sa trouvaille. Il salive intérieurement. Il le veut... Il le veut mais il résiste car je le regarde d'un sourcil inquisiteur. Il s'agit donc de la très belle première édition de Fort Wheeling de Hugo Pratt. Une édition totalement italienne – Archivio Internazionale Della Stampa Fumetta, pour être précis – sur beau papier, pratiquement au format des originaux, ici très bien réproduits, avec des noirs bien noirs et pas baveux.

C'est donc un album rare que vous pouvez aller voir et acheter rue Dante pour la somme raisonnable quoique souvent dure à sortir de 400 €. J'imagine que Patrick Batman ne le laissera pas traîner au milieu des mangas à 3,50€.

Mon conseil : dépêchez-vous avant qu'un de nos voisins libraires ne franchisse le seuil.

 
Une bonne tonne de nouveautés
 

La photo ci-contre montre, sommairement étalée en vue d'un pré-classement, la moitié de notre arrivage (rue Serpente) d'il y a une dizaine de jours. Nous aurons bientôt fini de tout mettre en rayon.

De la bande dessinée de tous horizons est ainsi amenée à renouveler une partie de notre stock et l'aspect de nos rayons. Il y a eu notamment une avalanche de Blagues Coquines, ces bandes dessinées humoristiques que l'on achète "parce qu'elles font bien rire les collègues au bureau !" et qui reprennent la formule popularisée par Dany, en retraite de créativité avec ses Ça vous intéresse ?.

D'ailleurs nous en avons aussi du Ça vous intéresse ?. Pour les nostalgiques de l'ancien Dany, nous avons aussi eu de l'Olivier Rameau et de l'Arlequin, cette série qu'il commença avec Van Hamme. Au rayon cérébral, nous avons enrichi notre catalogue de pas mal de titres de la collection Horizons de Dupuis. Il s'agit d'œuvres de la prestigieuse collection Aire Libre, publiée à un tarif plus économique sous couvertures brochées...

Couvertures d'ailleurs déclinées avec des illustrations inédites. Vous pourrez ainsi lire et relire, ou faire découvrir les classiques que sont Le bar du vieux français de Stassen, Le voyage en Italie de Cosey, Halona de Berthet ou Sur la route de Selma qu'il dessina sur un scénario de Tome. Vous pourrez même vous creuser les méninges sur l'elliptique et peu compréhensible Missié Vandisandi de l'irritable mais talentueux Hermann...

Bon je laisse le clavier, j'ai des livres à classer avant l'ouverture.

 
Marco Nizzoli (1) : Raymond Capp
 

"— Oh Ray ! Toutes ces émotions m'ont excitée. Embrasse-moi !"

Le style "sous-mœbius" est quasiment un genre bédéïque en soi et qui mériterait d'être analysé, car à travers lui, c'est un pan de l'histoire du neuvième art que nous pourrions retracer. Marco Nizzoli est un dessinateur italien qui avait 20 ans quand l'Incal de Mœbius et Jodorowsky a pris fin. Cette lecture a profondément marqué l'œuvre qu'il réalisa avec son compère Federico Amico au scénario : Raymond Capp.

Il est inutile de crier au plagiat tant la référence est évidente. Il s'agit d'un polar cyberpunk extrêmement classique, qui se veut un démarquage futuriste des enquêtes de Philip Marlowe, exactement comme l'Incal noir, le premier volume des aventures de John Difool, mais avec en plus une orientation réseaux informatiques formant dimension parallèle – la fameuse "matrice" – qui n'intéressait pas encore Jodo à l'époque. On retrouve ainsi éparpillés dans Raymond Capp divers motifs tant graphiques que scénaristiques de l'Incal, mais aussi d'autres œuvres de Mœbius en noir et blanc. John Difool s'appelle donc ici Raymond Capp, l'holo-maquillage s'appelle "générateur holographique", etc.

Les envolées mystiques de Jodorowsky sont ici réduite à un personnage assez grotesque qui s'exprime comme Yoda, et la tonalité est nettement plus terre-à-terre et vulgaire que dans la saga cosmique des Humanoïdes Associés. Ces réserves émises, l'exercie est assez réussi, et depuis Nizzoli a trouvé en France une sorte de consécration en travaillant avec Jodo sur le Monde d'Alef-Thau, prenant ainsi la suite d'Arno, un dessinateur qui poussa lui-même à la lumière moebiusienne.

La meilleure création de l'album, c'est ce groupe de terroristes critiques littéraires prêts à tout pour défendre la culture face à l'abrutissement des masses (masses auxquelles ils se sentent forcément infiniment supérieurs).

Raymond Capp de Nizzoli et Amico, environ 180 pages à vue de nez, Vertige Graphic 1994, 10€ en neuf, mais quelques exemplaires à 5€ vus à Aaapoum Bapoum.