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MÉTAL HURLANT n°82, DÉCEMBRE 1982
 

Aujourd'hui je devrais plutôt vous parler du contenu des trois palettes qui sont arrivées hier, mais je creuse mon sillon sans me laisser bouleverser par la micro-actualité : voyage vers 1982 donc.

Moebius et Lisberger

Moebius et Lisberger

En ce moment nous sommes bien fournis en Métal Hurlant, cette fabuleuse revue dont la publication s'étala de 1975 à 1987 et dans laquelle palpitait l'âme des éditions Humanoïdes Associés. Le rayon Métal était tellement rempli il y a quelques jours qu'il ne vendait plus. Conseil pour les libraires débutants : un bac trop rempli nuit aux ventes, car le client ne peut rien en extraire et n'est pas dans une situation de confort, ou plutôt il est dans un inconfort excessif, car un peu d'inconfort n'est pas toujours inutile. Une fois mis en ordre, les doublons, les triplons et les quadruplons ôtés, le voilà reparti et je vois à nouveau les Métal passer en caisse. Ne manquez donc pas de faire un tour aux environs de la caisse des Métal. On peut notamment y voir le numéro 82, de décembre 1982 (justement). Il m'a tapé dans l'œil car la couverture en est consacrée au film Tron que j'ai récemment eu le plaisir de revoir. La fois précédente c'était dans les années 90, à la Cinémathèque, qui avait encore une salle rue du Faubourg du Temple à côté du Gibus. La séance avait été présentée par Mœbius qui avait alors eu plutôt tendance à minimiser son rôle dans l'affaire. Ce qui n'est pas le cas dans l'interview qu'il donne alors à Manœuvre et Dionnet dans ce numéro 82 de Métal Hurlant.

Le dossier sur Tron est en vérité très intéressant avec ses deux interviews, l'une du alors jeune réalisateur Steven Lisberger et l'autre de Jean Giraud/Mœbius. Ce dernier est toujours passionnant en entretien, mais Lisberger se révèle également très pertinent :

"Le vidéo-game est le moyen le plus génial de renvoyer un peu d'énergie humaine DANS les télés. [... ] Les kids veulent autre chose [que la télé]. Les jeux vidéo sont débiles. Okay. Mais ils n'existent que depuis deux ans... et il faut consacrer toute notre énergie à les améliorer, à les comprendre, à les maîtriser. Chaque grande invention pose ce problème, la rejeter et se faire avaler par elle un jour, en victime, ou alors se pencher dessus et tenter de la maîtriser, de la mettre à notre service."

Une petite citation de Mœbius maintenant, pour donner envie :

"C'est le cinéma qui m'a demandé. [...] J'essaie de passer du stade où je suis demandé à celui où je serai demandeur. Je termine la série Blueberry, je termine la série John Difool en trois albums et c'est fini. J'arrête la bande dessinée."

Manœuvre montre aussi pas mal de lucidité en énonçant que la science-fiction est sortie du placard et a envahi la culture populaire, qu'elle est désormais partout :

"Vous lisez bien, et ce n'est pas un canular : au hit-parade des mioches, l'extra-terrestre "E.T." a détrôné Mickey Mouse !"

Metal hurlant 82 Tron

Metal hurlant 82 Tron

Sinon c'est aussi dans ce numéro que Dionnet découvre le Daredevil de Frank Miller et c'est assez émouvant :

"C'est génial. C'est formidable. La petite fille droguée qui saute par la fenêtre est super."

Voilà. C'est un numéro que je mettrais bien à 8 € mais comme il faut bien admettre qu'il a un coin corné je me contenterai de 6 €.

 
Quelques affiches de Philippe Druillet
 

La cave d'Aaapoum Bapoum paraît sans fond. Plus je la range et plus j'y découvre des trésors insoupçonnés. Ainsi ce rouleau de feuilles qui traînait sous un chevalet est en fait un ensemble de quatre magnifiques offset de Philippe Druillet. Ce qui tombe fort à propos puisqu'un nouvel album de Lone Sloane sort ces temps-ci.

Druillet

Ces posters furent réalisés au milieu des années 70 par les éditions Décorêve, sises à Paris dans le 11e et furent imprimées en Belgique.  Si le papier présente quelques légères froissures et quelques trous de punaises dans certains coins, les couleurs ont gardées tout leur éclat.

Je n'ai jamais été très perméable au style des BD de Druillet, mais il faut bien reconnaître qu'à ce format (environ 0,7 sur 1 m), ces compositions vibrent de tout leur timbre opératique à donner le frisson et l'illusion qu'une vie plus dense est possible.

Le prince aux mille formes

Druillet_1000

Cette composition aurait été reprise dans Salammbô quelques années après,

d'après le site de l'auteur.

Format : 70 x 100 cm

100 € vendu sans cadre

La nef des étoiles

Format 99 x  70 cm

95 € vendu sans cadre

Le Chevalier Aurore

Aurait été repris dans le tome 3 de Salammbô (1986), toujours d'après le site de l'auteur.

Format 70 x 100 cm

95 € vendu sans cadre

Agorn

Tiré d'une planche de l'histoire courte du même nom, publiée en noir et blanc dans le premier numéro de Métal Hurlant (janvier 1975). 65 x 100 cm.

100 € vendu sans cadre

Et voilà, c'est fini pour le petit aperçu des nouveautés affichés sur nos murs ces jours-ci.

Je suis bien content je n'ai cassé aucun cadre aujourd'hui.

 
Blueberry : Nez Cassé et case amputée
 

Qu'elle est belle cette case d'ouverture de Nez Cassé, ce si bel album de Blueberry, mis en scène par un Giraud au sommet de son souci de la précision et du détail. Il y a tout ce qu'on aime dans le western dans cette case d'introduction.

Un décor somptueux aux rochers impressionnants, une belle plongée permettant de saisir en un instant le contexte tactique et cette distance quasi-démiurgique qui assimile les protagonistes à de petites figurines que l'on peut mouvoir par la pensée justement dans cet environnement détaillé, rempli d'accessoires. L'enfant-joueur qui sommeille dans le lecteur est ainsi sollicité pour son plus grand plaisir.

Cependant cette case n'est pas extraite de l'album Dargaud (1980), mais de sa prépublication dans le mensuel Métal Hurlant, qui débuta dans le n°38 de février 1979 pour s'achever dans le n°40.

En effet, ces créateurs prolixes que sont Jean-Michel Charlier et Jean Giraud n'ayant pas réussi à boucler les péripéties de leur lieutenant rebelle en maximum 46 planches comme les contraintes de rentabilité induites par les standards de production l'exigent, mais en 47, l'éditeur décida –exceptionnellement– que cette aventure démarrerait en page 2 et non en 3 comme la tradition le réclame. Sauf qu'en page 2 la tradition est, chez Dargaud, que l'on trouve l'achevé d'imprimer... Et l'achevé d'imprimer c'est sacré, on ne peut pas le bouger d'un micron, oh non ! On ne peut pas imaginer le déplacer, par exemple, en page 1, sous la silhouette de Mike S. qui dégaine.

Non, ce serait trop inconvenant. Le mieux c'est de réduire la place accordée au dessin. Par exemple en coupant cette case du haut, ce paysage qui ne sert à rien. Ouais, les agaves en fleurs, les cailloux, le chariot et les chevaux, on s'en fout ! L'essentiel c'est que les clients puissent lire le texte et voir les onomatopées au milieu, blam blam.

Et voilà comment on cisaille une magnifique tableau.

Tout cet exposé se termine, comme souvent quand on a affaire à un libraire, qui n'est souvent qu'un commerçant en chandail, par une conclusion mercantile : demain mardi, aux alentours de 15h, les trois numéros de Métal Hurlant contenant l'histoire complète de Nez Cassé, dans sa version intégrale et non censurée de ses agaves en fleurs, seront mis en vente rue Dante en lot pour la somme de 24€. Et là j'entends la voix de Laurent qui s'élève :"— Quoi ?! 24 euros ! Mais... Tu me les as repris 3€ pièce à l'échange ! C'est beaucoup moins que la moitié !".Ce à quoi je réponds avec fermeté :"— En effet, mais as-tu remarqué le mal que je me suis donné pour mettre en valeur la marchandise ?"