Publications avec le tag Giraud
BLUEBERRY ET LE PARADOXE TEMPOREL
 

Une pinaille de Hugues.

C'est notre vieille connaissance Hugues, grand amateur de westerns et de Jean Giraud qui a remarqué une troublante incohérence dans la fausse nouveauté Blueberry de 2007, l'album nommé Apaches qui n'est qu'un remontage aberrant des éclairs du passé montrés dans le cycle Mister Blueberry. Rappelez-vous, dans ces aventures de Blueberry vieillissant (sur fond de fusillade à O.K. Corral, octobre 1881), celui-ci évoquait sa jeunesse et sa première rencontre avec Géronimo, aux lendemains de la Guerre Civile dite par ici Guerre de Sécession (1861-1865). L'album Apaches remonte donc à la suite toutes les séquences de l'hiver 1865 et rejette toute l'action de 1881.

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À mon sens c'est aberrant parce que l'intérêt du cycle de Mister Blueberry est précisément la mise est perspective de l'expérience d'un vieux soldat. Mais bon, le service séduction du consommateur avait pris soin pour vendre cette fausse nouveauté de préciser que Apaches "comprend de nombreuses pages, images et textes complètement inédits". Hugues, qui est un vrai passionné à comparé chaque planche et a pu mesurer l'ampleur de ces ajouts. Moi je n'ai pas eu ce courage tant le projet "Apaches" me semblait vain. Si je l'avais fait aurais-je pu comme lui relever l'énorme pinaille dont je vais vous parler ?

Dans l'un de ces ajouts, deux assez belles planches qui clôturent l'album on voit un plan d'ensemble où Mike S. Blueberry se recueille devant une tombe, celle de Caroline Younger, morte à la page précédente. Ce plan d'ensemble est surmonté d'un récitatif précisant "Trois mois plus tard". Donc cette scène, se déroule au tout début de l'année 1866. Le plan d'ensemble est suivi par un gros plan en contrechamp, nous permettant de déchiffrer la stèle funéraire :

"Caroline Youngerborn jul. 1860died nov. 1881"

"Caroline Youngerborn jul. 1860

died nov. 1881"

C'est bon, vous avez vu où on voulait en venir ? La bonne Caroline ne peut être née en 1860 puisqu'elle a une vingtaine d'années au moment de l'action (1865 donc) et elle ne peut être morte en 1881, puisqu'elle meurt quand Blueb est jeune. D'ailleurs à la fin de Apaches, celui-ci part pour "Fort Navajo, un coin un peu plus tranquille qu'ici, paraît-il".

Que le vieil artiste s'emmêle un peu les pinceaux est bien pardonnable, revenir sur un truc qu'on avait bouclé est jamais très motivant, comme de remonter l'escalier le matin quand on se rend compte qu'on a oublié sa carte de bus. En revanche c'est assez consternant que personne chez Dargaud n'ait alors pensé à relire les planches, trop occupés qu'ils étaient à se frotter les mains à l'idée de tout l'argent qu'ils allaient engranger en vendant un nouveau Blueberry qui ne l'était pas.

J'ai une occaz d'Apaches à vendre rue Serpente, devinez qui me l'a revendue ? Oui Hugues. C'est une réédition de novembre (1ère édition en octobre, signe que la "nouveauté" a bien fonctionné !).

PS : s'il y en a qui ont une théorie moebusienne sur le cycle, l'anneau et le serpent qui se mord le nœud pour justifier l'anomalie, qu'ils n'hésitent pas à nous en faire part ici.PPS : il y a tellement d'exégèse et de glose sur Mœbius que tout ceci a certainement déjà été signalé sur plusieurs forums, mais moi je le découvre juste alors j'en fais part à nos clients.

 
UNDERTAKER T.1 DE MEYER ET DORISON
 

Si l'on parle ici de Undertaker T.1 : Le Mangeur d'or de Meyer et Dorison ce n'est pas parce que nous en avons à vendre, mais juste parce que je m'intéresse aux westerns.

Il se trouve que j'ai trouvé celui-ci pas mal dans l'état actuel de son développement. Ce qui est amusant parce que je l'ai empoigné en ayant plutôt l'intention de le détester.

Les raisons sont nombreuses mais pour une fois assez indépendantes de l'œuvre elle-même : l'impression que désormais écrire une histoire de l'Ouest est un  passage obligé pour couronner une carrière, une campagne de presse trop bien agencée, et pour finir cet autocollant sur le premier plat, qui proclame carrément : "LE PLUS GRAND WESTERN DEPUIS BLUEBERRY" ! Allez hop, sans complexes.

Le classique est dans le catalogue de la maison alors on va pas se gêner ! Habituellement les publicistes habillent ce genre de promo dans la citation plus ou moins fausse d'un média (un journal ou à défaut le blog de trouduc).

Là non, chez Dargaud au rayon Stimulation du consommateur on fait dans le bien lourdingue, le vulgaire. De plus, quand les codes graphiques d'une œuvre sont à ce point inspirés de celle d'un autre (en l'occurrence, oui, le Giraud de Blueberry) on devrait avoir l'intelligence de ne pas trop insister, de laissez le public y voir un hommage appuyé, et non une tactique éprouvée de séduction flattant ses sens avec ce qui les fit chavirer jadis. Cette insistance redondante se retrouve d'ailleurs dès la page de garde, où ce qui se révèlera être un bon mot du personnage principal (pl. 16), est cité et mis en exergue, désarmorçant ainsi sa force lors de sa lecture ultérieure. C'est ici la vulgarité d'un gros balourd riant de sa propre blague et apostrophant la cantonnade : "Haha ! Hilarant, non !?".

Mais vous l'aurez remarqué ces reproches s'adressent plutôt à la stratégie commerciale de l'éditeur qu'à l'œuvre elle-même.

J'ai effectivement apprécié, en vrac :• La digestion du style giraudien (?). La filiation de Ralph Meyer avec Giraud / Mœbius n'est pas nouvelle, et bien visible depuis IAN, elle est ici plus simplement plus évidente à cause du cadre du récit. Les plans d'ensemble sont très réussis, la scène de pluie à la fin aussi.• L'expressivité appuyée mais riche des personnages, notamment celle du héros.• La ludicité du scénario qui nous promet une expédition qui est sans cesse retardée. Le reserrement imprévu sur la ville.• La quatrième de couverture.• L'idée d'un croque-mort itinérant, que je n'avais pas vue ailleurs, mais peut-être est-ce par inculture.• Le fait que l'album comporte 54 planches.


L'ensemble est fort correct et achetable, mais n'est pas exempt de défauts, la vraisemblance n'est pas toujours recherchée et certaines choses sont un peu dures à avaler. Ainsi par exemple, j'aurais vraiment apprécié que lorsque un personnage se fait brûler la main, à vue de nez au "deuxième degré profond", il éprouve ensuite quelques difficultés à s'en servir, ne serait-ce que pendant une page ou deux...

Undertaker T.1 : Le Mangeur d'or de Ralph Meyer et Xavier Dorison, Dargaud, 64 p. 13,99 € EAN : 9782505061373

 
ARRIVAGES RUE DANTE
 

Bonsoir,Depuis la réouverture de la boutique de la rue Dante, je n'ai guère eu le temps de venir ici faire dans le détail de nos arrivages. Il est urgent de faire une petite pause pour vous donner envie de faire un tour par ici.

Tout d'abord, le BDM est arrivé et nous le vendons. 49,50 €. 1184 p. imprimé en Italie. De nombreux chapitres semblent avoir été sacrifiés, mais nous saluons le retour des ouvrages publicitaires.

Franco-belge : quelques belles bandes arrivées aujourd'hui :

Bon il y aurait beaucoup d'autres choses à montrer, mais comme je l'explique souvent, si on devait mentionner tous les livres qui passent entre nos mains, on ne s'occuperait plus jamais des clients qui viennent nous voir !

Bonne soirée.

 
MŒBIUS – HENDRIX : LE PORTFOLIO
 

En 1975 la maison Barclay demanda à Mœbius une illustration pour la pochette de la compilation en un double album des deux premiers disques du Jimi Hendrix Experience : are you experienced  / bold of axis. Pour l'aider dans sa tâche on fournit à Mœbius un lot de photographies du musicien. Celle qui retient l'attention du dessinateur a immortalisé Hendrix en train de manger. Ce cliché fut pris le 6 mars 1967 à Bruxelles, par Jean-Noël Coghe, alors jeune critique de rock. Pendant des années ce dernier ne sembla guère se soucier de ce qu'il était advenu de l'image qu'il avait saisie, avec un appareil qui n'était pas le sien... Puis un beau jour des années 90, sans doute fort bien conseillé, il se décide à menacer de procès le dessinateur. Mœbius dont l'inspiration, tout au long de sa carrière, puisa abondamment à la source de ce qu'on appelle parfois le huitème art (bien qu'antérieur au septième, cette classification est débile), Mœbius donc, commença à transpirer à grosses gouttes. Finalement les deux hommes s'arrangèrent à l'amiable et firent un livre et un portfolio de toute cette histoire. Le livre s'appelle Jimi Hendrix, émotions électriques (EAN : 9782859203863), et fut publié par le Castor astral en 2000. Il fut précédé par le portfolio en 1998, édité par Stardom. Sous un emboîtage imprimé en orange sur le front, on trouve une page de colophon, une page de photos de Jimi Hendrix, une page de texte de Jean-Noël Coghe,  et 10 planches sérigraphiées en couleur. Édition numérotée 263 sur 500 exemplaires et signée par Moebius et par Coghe sur le colophon. 41x51 cm.


Quelques rousseurs sur la page de titre et quelques traces d'usure sur l'emboîtage. 700 € est son prix de vente dans notre échoppe rue Dante. Un exemplaire similaire fut vendu à Artcurial en 2011 pour 750 €. C'est d'ailleurs dans le catalogue de cette vente que j'ai appris le mot "colophon", qui ne me semble pas forcément super approprié mais que j'ai tout de même recopié, car il est amusant.

 

 
Blueberry : Nez Cassé et case amputée
 

Qu'elle est belle cette case d'ouverture de Nez Cassé, ce si bel album de Blueberry, mis en scène par un Giraud au sommet de son souci de la précision et du détail. Il y a tout ce qu'on aime dans le western dans cette case d'introduction.

Un décor somptueux aux rochers impressionnants, une belle plongée permettant de saisir en un instant le contexte tactique et cette distance quasi-démiurgique qui assimile les protagonistes à de petites figurines que l'on peut mouvoir par la pensée justement dans cet environnement détaillé, rempli d'accessoires. L'enfant-joueur qui sommeille dans le lecteur est ainsi sollicité pour son plus grand plaisir.

Cependant cette case n'est pas extraite de l'album Dargaud (1980), mais de sa prépublication dans le mensuel Métal Hurlant, qui débuta dans le n°38 de février 1979 pour s'achever dans le n°40.

En effet, ces créateurs prolixes que sont Jean-Michel Charlier et Jean Giraud n'ayant pas réussi à boucler les péripéties de leur lieutenant rebelle en maximum 46 planches comme les contraintes de rentabilité induites par les standards de production l'exigent, mais en 47, l'éditeur décida –exceptionnellement– que cette aventure démarrerait en page 2 et non en 3 comme la tradition le réclame. Sauf qu'en page 2 la tradition est, chez Dargaud, que l'on trouve l'achevé d'imprimer... Et l'achevé d'imprimer c'est sacré, on ne peut pas le bouger d'un micron, oh non ! On ne peut pas imaginer le déplacer, par exemple, en page 1, sous la silhouette de Mike S. qui dégaine.

Non, ce serait trop inconvenant. Le mieux c'est de réduire la place accordée au dessin. Par exemple en coupant cette case du haut, ce paysage qui ne sert à rien. Ouais, les agaves en fleurs, les cailloux, le chariot et les chevaux, on s'en fout ! L'essentiel c'est que les clients puissent lire le texte et voir les onomatopées au milieu, blam blam.

Et voilà comment on cisaille une magnifique tableau.

Tout cet exposé se termine, comme souvent quand on a affaire à un libraire, qui n'est souvent qu'un commerçant en chandail, par une conclusion mercantile : demain mardi, aux alentours de 15h, les trois numéros de Métal Hurlant contenant l'histoire complète de Nez Cassé, dans sa version intégrale et non censurée de ses agaves en fleurs, seront mis en vente rue Dante en lot pour la somme de 24€. Et là j'entends la voix de Laurent qui s'élève :"— Quoi ?! 24 euros ! Mais... Tu me les as repris 3€ pièce à l'échange ! C'est beaucoup moins que la moitié !".Ce à quoi je réponds avec fermeté :"— En effet, mais as-tu remarqué le mal que je me suis donné pour mettre en valeur la marchandise ?"

 
Pilote n°210 : FORT NAVAJO !
 

Toutoute première fois

"Pilote le magazine des jeunes de l'an 2000", n°210 daté du 31 octobre 1963...

Et oui comme ça converture l'indique, voici le numéro de l'hebdo mythique dans lequel furent publiées les deux premières planches de FORT NAVAJO, la toute première  aventure du Lieutenant Blueberry.

"Chaque semaine désormais avec cette nouvelle aventure toute l'épopée fantastique des guerres indiennes !" claironne fièrement un bandeau jaune au-dessus de la deuxième planche. 

C'est une pièce rare. C'est à vendre chez AAAPOUM BAPOUM pour 7€. 6€ si vous arrivez avant que je n'ai eu à découper un carton pour la "backingboarder". Il y a un petit accroc racommodé avec du scotch en bas du quatrième plat.

 
Métamœbius
 

Un beau gâchis

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L'exposition Mœbius à la fondation Cartier est très bien. On peut regretter le parti pris de la présentation à l'horizontale de certains dessins, ce qui oblige le curieux à littéralement ramper sur le pupitre pour pouvoir observer les détails des miniatures. Mais bon, c'est tout de même une visite très enrichissante. Le catalogue en revanche ne m'a paru ne contenir que du déjà-vu pour l'amateur, alors que l'expo présente un nombre incroyable d'inédits... C'est tout à fait regrettable. Aussi j'ai privilégié, en fin de parcours, l'achat du DVD du film qui était projeté au sous-sol. En effet après deux heures de visite j'en ai, en général, plein les pattes et j'ai plus envie de manger un cheeseburger et de boire une pression dans un digne estaminet tout en discutant des œuvres vues que de regarder un documentaire.

C'est donc chez moi que j'ai pu voir Métamoebius de Damian Pettigrew...

Grosse déception. Alors qu'il suffit de poser Giraud devant un micro pour qu'il se mette à raconter quelque chose d'intéressant sur l'art, les relations humaines, les voyages, la vie, alors qu'il suffit de le regarder dessiner pour vivre une expérience inoubliable, et bien ce film passe complètement à côté de son sujet.

Il semble que Giraud ait participé à l'élaboration du concept...  Un concept marrant sur le papier. Jean Giraud passe un casting pour un film d'un réalisateur imaginaire sensé provenir du Désert B. Or assister à des castings ou à des répétitions théâtrales est un vrai calvaire. Voir Mœbius s'adonner à cet exercice masochiste pendant de longues minutes est douloureux. Surtout quand on pense à ce qui aurait pu être fait, avec moins de prétention et d'attitude "arty". Le pire c'est que Pettigrew suit Giraud depuis longtemps, plus de dix ans, et qu'il a forcément en stock le materiau nécessaire pour faire un grand film sur Giraud, comme le Mystère Picasso fut un grand film sur le catalan. On trouve d'ailleurs un hommage au film de Clouzot dans ce naufrage qu'est Métamoebius.

Le film sur Gir/Moebius reste donc à faire. Espérons que le septième art ne passera pas à côté de ce qu'a si bien réussi la radio, en l'occurrence France Culture qui dès 1987 ou 88 consacra cinq ou six heures à l'artiste dans un excellent Le bon plaisir de Jean Giraud-Gir-Mœbius qui a marqué à jamais ma mémoire. France Culture encore qui, il y a deux ou trois ans, produisit sur le même artiste une nouvelle série d'entretiens, dans À voie nue, si je ne me trompe pas.

Toutefois je puis terminer sur une note positive. En complément de programme le DVD permet de voir du même réalisateur un documentaire plus ancien, Mister Gir et Mike S. Blueberry, qui montre Giraud à l'époque de la sortie du Blueberry Géronimo L'Apache et de la préparation de 40 days dans le Désert B. Ce film beaucoup plus simple et traditionnel dans sa construction est beaucoup plus intéressant. On y voit Giraud parler, dessiner, se mouvoir, et non débiter un texte abscons en faisant semblant d'être un mauvais acteur. Ces images ayant une dizaine d'années, on y retrouve un Giraud plus jeune que dans le film que l'on a vu préalablement. La constatation de ce décalage est poignante. Dans le visage ridé de Jean Giraud c'est notre propre mort que l'on peut regarder dans les yeux.

Métamoebius, DVD, 20€. Indispensable pour le fan, dispensable pour les autres.

Moebius TranseForme, exposition jusqu'au 13 mars 2011 à la Fondation Cartier, fermée le lundi.