Publications dans 2006
Mad et Gloria
 

Et si j'étais Jane Birkin ?

par Vlad

Lorsque l'on est libraire on dispose d'un horizon de lectures illimité ; lorsque l'on est libraire dans le cinquième, on peut, pour peu qu'on ait un peu d'entregent, lire tout ce que l'on souhaite quasiment au moment où on le souhaite. Dans ce cas la liberté ne consisterait-elle pas à choisir de s'immerger dans  ce que l'on aurait a priori aucune raison de lire ?

C'est précisément ce qui m'a conduit aujourd'hui à ouvrir "Mad et Gloria : Le mystère de la patinoire". Un truc qui normalement n'aurait dû se produire que si j'étais né au milieu des années quarante de l'autre côté de la Manche... Un bouquin pour Jane Birkin ou David Bowie, rien que ça.Edité par Dargaud en 1958 dans la collection "Line", il s'agit de la reprise en album des épisodes parus publiés dans la revue du même nom (Line, "le journal des chic filles") depuis 1955.

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Mad et Gloria, curieuse traduction de la série anglaise Wendy and Jinx dessinée par R. Bailey sur des histoires de Valerie Hastings. Comme vous pouvez vous en douter nous avons affaire à des histoires théoriquement destinées à un public purement féminin.

C'est apparemment au début des années cinquante que les éditeurs anglais pensent à segmenter leur lectorat par sexe, inventant ainsi en quelque sorte le shojo manga britannique en quadrichromie.  La couleur y tient effectivement un rôle de premier plan et est particulièrement soignée. On comprend à contempler les magnifiques grandes cases qui ouvrent chaque épisode que les éditeurs aient  choisi  Mad et Gloria pour la première page de Line.

Mad et Gloria, deux collégiennes britanniques, au comportement mature et appliqué, au corps élancé et sportif, l'une brune piquante, l'autre blonde diaphane. Leur esprit est vif et concentré sur des énigmes d'importance : qui est la mystérieuse correspondante de Dorothée ? Qui a oublié de fermer le robinet du gymnase ? Qui cherche à causer du tort à la jolie monitrice de la patinoire ? Qui a saboté les cables de la bicyclette ?

L'histoire n'a guère d'attrait sans être réellement ennuyeuse. C'est visuellement que la série a de l'impact. Néanmoins, il est quasiment certain que l'intérêt que j'ai trouvé à la lecture de cette enquête est bien différent de celui que pouvait éprouver Jane Birkin.

En revanche on peut pronostiquer sans risques qu'il se rapproche de celui qui s'éveilla en Serge Gainsbourg lorsqu'il découvrit la jeune anglaise. C'est ce qu'il exprime par "Gainsbourg et son Gainsborough" dans 69, année érotique : le trouble sexuel et le trouble artistique étroitement imbriqués.  Qui de nos jours pourrait dessiner des jeunes filles d'une innocence lucide aussi compacte ? Quel lecteur pourrait d'ailleurs y croire ? Les modèles de la féminité ont bien évolués et leur sensualité est plus arrogante.

Cette mise en situation qui consiste à choisir en dehors de ses prédilections pour élargir son champ de liberté ("imaginons que j'ai été Jane Birkin") me rappelle une autre situation de lecture contrainte il y a plus de 20 ans qui présente de troublantes similitudes avec l'expérience d'aujourd'hui...

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J'étais en vacances chez des amis de mes parents au coeur de la Castille torride. Dans la grande maison pleine de fantômes il n'y avait guère de livres en français excepté quelques Alice de la bibliothèque verte (encore un truc de 1955 !).

Je me souviens avoir ouvert ces livres avec un air dubitatif et d'avoir été happé, frémissant d'être initié aux mystères de Vénus que je devinais touffus, bien que leur intérêt essentiel m'échappât encore.Mon dieu... qu'est-ce que je vais lire demain ? ... Bigre, je ne vois que Sky Doll 3 bis ou Golden City...

 
Le client loufoque du jour
 

Comme là j'ai une grosse flemme, je fais appel à nos lecteurs :

si un érudit sait pourquoi les "Ononos" (je connais pas l'orthographe exacte) de Hogarth dans Tarzan sont passées du statut de grosses boules avec visages et membres à celui de pygmées et QUI les a redessiné, qu'il n'hésite pas à laisser un commentaire, on transmettra à notre client loufoque.

Je pense que les "Ononos" c'est ça (en tous cas avant !) :

 
Le Futur, cet inconnu
 

Devoirs de vacances

par Stéphane

Avant de partir pour 12 jours de vacances sous le soleil d'Asie, et laisser Vladimir seul à travailler 60 heures semaine dans la librairie (courage l'ami), je pose ici un catalogue d'illustrations fantastiques conseillé par mon ami London Julian :

"En fouinant dans mes bookmarksdel.icio.us, je retombe sur Tales of the Future Past. Un site consacré aux visions du futur développées au début et au cours du XXème siècle. Pas mal d'illustrations d'époque permettent de se faire une idée du passé, plus que du futur:

"The future wasn't tomorrow, next week, next year, or next century.  It was a place with a form, a structure, a style."

"Le futur n'était ni demain, ni la semaine prochaine, ni l'année prochaine, ni le siècle prochain. C'était un endroit avec une forme, une structure, un style".

Parmi les illustrations de la "guerre du futur", je recommande le Gyro-Electric-Destroyer ou l'Artillery Tower (image ci-contre). Le Radio Gun, une sorte de rayon laser de la mort, préfigure quant à lui le système anti-balistique Airborne Laser développé par l'armée américaine, qui ne relève déjà plus des fantasmes de la Science-fiction."

De quoi vous occupez des heures durant à rêver au monde tel qu'il ne sera jamais.

 
La mauvaise note qui tue
 

Lorsque pipeau et molo vont au Japon

Depuis plusieurs semaines, l'éditeur Français Glénat clamait à la presse avoir remporté l'achat de l'ultra best seller manga Death Note, ainsi que deux trois autres titres majeurs du catalogue japonais de la Shueisha....

La sortie etait parait-il imminente, et augurait surtout un rapprochement singulier entre les deux maisons.

OOOOOHHHHHH, les gros menteurs, en fait ils n'avaient rien du tout conclu.

Non seulement le poids lourd Death Note est toujours aux enchères, mais les japonais n'étant pas très fans de ce type de propagande,  Glénat semble maintenant bien mal barré pour décrocher la licence.

Tant mieux pour les autres....

 
L'ARCHE DE MARVEL
 

House of M , le génocide Mutant


Par Stéphane

Elle nous refait le coup. Elle, c’est la prestigieuse maison Marvel, qui, quinze ans après l’inoubliable Âge d’Apocalypse, bidouille un nouveau scénario miracle chargé d’amaigrir son univers trop dilaté par le succès. Avec quelques millions de nouveaux mutants, la planète Terre et le catalogue de parution commençaient à être sérieusement encombrées. Lassés, les aficionados se désengageaient. En réplique, parul’été dernier au U.S.AHouse of M. Bouleversement fondamental version Weight Watcher que les Français découvriront d’ici quelques mois ; contrecoup irrémédiable de ces périodes fastes où les éditeurs, avides d’éponger le moindre dollar égaré dans la poche du comic addict, multiplient les séries jusqu’à l’écoeurement. Curieux et fans, arrêtez cette chronique ici même, les paragraphes suivants sont un spoiler de grande envergure.

Commençons par les conséquences. A la sortie d’House of M ne survivra qu’une poignée de mutants (200 tout de même). Les millions d'autres finiront morts où dépossédés de leurs pouvoirs par la Sorcière rouge. Exit Magneto (vous savez, le grand méchant aimanté), Vif Argent, et même de nombreux X-men. Un mémorandum ferme circule dans les couloirs de la célèbre maison : interdit de ressusciter qui que ce soit pour au moins quelques années. Fini aussi les vieux mythes usés jusqu’à la corde, Serval par exemple se souvient maintenant de son passé. Un bouleversement aux airs d’apocalypse religieuse : un univers s’écroule, un nouveau est à reconstruire.

Seulement, à bien y réfléchir, ce chavirement tactique tout a fait habituel éclipse peut-êtreun second signal, imprévu et plus inquiétant. Et si, à l’aube du XXIeme siècle, la métaphore du mutant n’avait plus de sens ! En effet, quelle minorité peut aujourd’hui crier au rejet et à la haine totale. Et bien que la situation soit loin d’être parfaite en occident, l’icône du mutant telle qu’elle était perpétuée n’est plus à même de rendre compte de la réalité, n’exsudant qu’une image archaïque et déformée jusqu’à la caricature des problèmes de communautarisme et d’exclusion modernes.

Alors se joue, peut-être, larvé dans l’évènement House of M, la raison artistique même qui justifierait la survie d’un tel univers. Et ainsi, les Kevin Smith amateurs qui adorent se prendre le chou sur les valeurs existentielles du superhéros, peuvent ressortir leur question favorite : Mais quelles valeurs devront donc incarner les superhéros de demain ? Je me demande bien moi-même.

PS: la série est dessinée par un Froggy, Olivier Coipel...

 
Pétillon parle à la TV
 

C'est quand même rude au pti Déj...

Par Stéphane

A l'occasion de la sortie de L'Affaire du voile, et du débat médiatique autour de la caricature du prophète dans la presse française, René Petillon était dès potron-minet invité à l'excellente émission La Matinale sur Canal+. Il s’est exprimé sur son admiration politique pour Nicolas Sarkozy (deux fois de suite) et ses envies de «décrisper» les problèmes d’actualité à travers l’humour de ses livres (ce qui pour le coup est raté vu la timidité du dernier).


Ah ! Si je me souviens avec plaisir de ce temps où je recevais un mail de mépris de sa famille pour m'être montré critique avec le scénario caricatural de Super catho, je préfère encore la nostalgie douloureuse de ce lointain passé où l’homme, entre Le Canard enchaîné et le Baron Noir, suscitait chez moi une foule de rires. 

 
Quel Futur pour les éditeurs de manga en France ?
 

Par Stéphane

Au lieu de faire des bilans, pourquoi ne pas s'essayer à prédire l'avenir.

Pour prolonger ici ma réflexion sur les évolutions à venir pour le marché du manga en 2006, réflexion publiée dans le magazine Bulldozer de décembre à l’occasion du rachat de la maison d’édition Tonkam par Delcourt, il me semble qu'après quelques années d'expansion et de dilatation, 2006 marquera pleinement un tournant vers la concentration et le rassemblement. La seconde manche de la professionnalisation en quelque sorte. Mais peut-être peut-on, aussi, s’amuser à imaginer la tournure que pourrait prendre le marché d’ici peu. L’article qui suit est donc un état des lieux synthétique, suivi d’une analyse prospective à court terme, puis à long terme des chavirements possibles dans l’organisation des éditeurs de mangas. Des informations inédites y sont glissées, mais l’article est un peu complexe (entendez chiant) et je ne conseille sa lecture qu’à ceux qui s’intéressent au fonctionnement économique du marché de la bande dessinée. Une dernière précision : je n’avance rien de sûr, il s’agit encore une fois d’une envie de préfigurer, pour mieux anticiper.

J’annonçais en décembre dernier le rachat des éditions Tonkam par Delcourt avec une pointe d’ironie. Comme l’actuel directeur éditorial des éditions Delcourt avait fondé Tonkam avant de se faire jeter dehors sans ménagement, ce rachat sonnait un peu comme un sympathique «retour du roi» après l’exil, mais aussi le coup d’envoi d’une course effrénée, celle du gobage des petites maisons d’édition de manga par des structures plus grosses. Attention petits fantômes japonais, les pacmans Franco-belges sont lâchés et ils ont faim.

2006 sera donc l’année de la concentration éditoriale, une course qui démarre en fanfare avec le rachat à hauteur de 50% des éditions SEEBD (Tokebi, Saphira, Kabuto…) par le groupe Soleil. Le mois prochain, J’ai lu annoncera la fin de son catalogue manga, qui va rejoindre le giron Casterman au sein des éditions Flammarion. Pika, un autre indépendant, serait parait-il courtisé par un grand groupe dont on ne connaît pas encore le nom (info qui reste cependant à vérifier). Un début d’année en fanfare qui augure ce constat : il semble certain que la plupart des petites structures indépendantes se feront aspirer par les mammouths éditoriaux de la bande dessinée.

 

La raison la plus évidente : le marché est trop encombré, donc trop virulent, pour qu’une petite pirogue puisse y évoluer désormais en toute sérénité. Une armature et des reins solides sont devenus indispensables, et c’est précisément pour cette raison que la concentration semble inévitable. C’est la rançon du succès.

 

Il ne serait donc pas étonnant que, d’ici deux à trois ans au plus, il ne reste au mieux qu’une dizaine de structures éditrices de manga, elles-mêmes détenues par des groupes éditoriaux plus larges. Alors le marché sera mûr pour une troisième manche industrielle et commerciale, que l’on peut d’ors et déjà imaginer en fonction des indices qui nous sont donnés à voir aujourd’hui. Brossons donc un plan prévisionnel.

 

1. Les coulisses de l’industrie japonaise du manga semblent désormais limpides pour les professionnels français. Les hasards éditoriaux se sont raréfiés, la chance de tomber sur une perle méconnue aussi. Tout est transparent et le savoir presque plus un avantage. Pour se départager, seule compte désormais la taille du porte-monnaie des acheteurs français. Hors…

 

2. …la multiplicité des concurrents, conjuguée au succès commercial dans l’hexagone, a permis aux éditeurs japonais de multiplier X fois le prix de vente des licences de manga à leurs confrères gaulois. L’arrivée en automne dernier de la maison Kurokawa, en fait une sous-marque du groupe Fleuve Noir, a tout accéléré. Très riche, cette dernière n’hésite pas à acheter les licences à prix d’or en surenchérissant largement au dessus des propositions. Peu de concurrents sont ainsi capables de s’aligner. Conséquence inévitable, les dernières licences à la mode comme Full Metal Alchémist sont raflées par Kurokawa sans mal, et les éditeurs moins fortunés condamnés peu à peu à se rabattre sur des produits de seconde catégorie, moins porteur en terme de rentabilité. Kurokawa vient ainsi en quelques mois de faire une entrée spectaculaire dans le monde du manga, et rejoint Panini et Dargaud dans le clan des béhémoths aux accès illimités. Les plus petits éditeurs de se demander comment faire pour ne pas dilapider leur bas de laine dans l’achat de licences à haute teneur commerciale, eux qui n’ont même plus le privilège de « l’éclaireur » avantagé par sa connaissance du terrain.  Ont-ils encore une raison d’exister ? Ou même les moyens de survivre ? Rien n’est moins sûr ?

 

3. Un autre élément est à considérer dans l’équation, peu exposé car effrayant la plupart des professionnels qui ne sont pas dupes. Et si, le succès aidant, les japonais décidaient demain d’éditer eux-mêmes leurs catalogues sur le sol Français. Après tout, ils sont les champions du monde de la rentabilité éditoriale, et possèdent le premier marché du livre au monde. Ils savent faire aussi bien nous, pour ne pas dire mieux. Certes la machine des achats de licences entre nos deux pays semble maintenant lancée et difficile à arrêter, mais pas impossible. Et si le jeu commençait à en valoir la chandelle, après tout pourquoi les nippons ne gagneraient-ils pas eux même l’argent que nous autres français empochons à leur place ? Il leur suffirait de ne pas renouveler quelques grosses licences, puis de les relancer eux-mêmes une fois les contrats les liant aux français tombés à échéance. Quelques années suffiraient pour renouveler complètement le parc des éditeurs hexagonaux par des nouveaux arrivants japonais. Que de rentabilité gagnée pour peu d’efforts fournis. Une possibilité pas si fantasque, puisque la plupart des majors japonaises ont ouvert une succursale à Paris depuis quelques années dans le but de surveiller et comprendre le phénomène manga et son évolution sur le marché français. D’ailleurs, dans notre fonctionnement, de nombreux points les agacent, comme par exemple l’exploitation gratuite de l’iconographie dans la presse (elle est payante au Japon, et le droit de regard des éditeurs est bien plus obligatoire).

 

Ainsi, en additionnant les trois paramètres, il est possible de deviner les enjeux que devront relever les français dans les prochaines années, pour ne pas se laisser engloutir dans le sol instable de l’édition manga. Certains bruits courent, annonçant les pourparlers d’association entre maisons Françaises et Japonaises. La solution de demain, stabilisante, économique. Mais où peu seraient vainqueurs, les monstres de l’édition japonaise étant en moins grand nombre.

 

Une autre alternative consiste aussi à importer le mode de production en France, et engager les jeunes français désireux de dessiner du manga. On pourrait ainsi éviter de payer des fortunes pour des licences japonaises, et se libérer des contraintes commerciales liant les deux parties, puisque l’éditeur fabriquerait sa bd de A à Z sur le territoire. Comme par hasard, seules les maisons de moyenne envergure ou de seconde catégorie (entendez celles qui ont de bons moyens, cependant insuffisants pour être de ceux qui ont le pouvoir de s’associer avec les leaders japonais), comme Pika et Delcourt, se sont lancés dans ce projet. Est-ce un indice que les leaders français ont d’autres priorités ? Certainement. En tous cas, on sent plus d’urgence chez les poids moyens à se rabattre sur la production locale. Les grands groupes, au contraire, accélèrent les processus les liant au marché d’import japonais. D’ailleurs, les partenariats franco-japonais pourraient aussi permettre aux éditeurs choisis de mieux s’exporter au pays du soleil levant.

 

Bref, beaucoup d’informations, plus encore de désinformations, sont à traiter avec du recul et de la hauteur. Aujourd’hui le marché du manga est complexe, les éditeurs essaient de tirer leur épingle du jeu et de se stabiliser pour le futur. Une stabilisation bien difficile à mettre en place dans l’actuel marasme éditorial, d’ailleurs amplifié par l’arrivée dans la compétition de mastodontes financiers inhabituels pour le monde de la bande dessinée.