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L'ÉTINCELLE DE PARK TAE-OK ET CHOI HO-CHEOL
 

Une histoire vraie

Quand on parle de la misère et des conditions de vie des classes laborieuses, on évoque souvent Dickens. Moi je n'ai jamais lu Dickens, alors je ne vous dirais pas que L'Étincelle est une histoire à la Dickens. En revanche j'ai vu beaucoup de Ken Loach et j'ai même un peu lu Fredrich Engels, alors je suis en mesure de déclarer que L'Étincelle de Choi Ho-cheol et Park Tae-ok peut s'inscrire dans cette filiation. On y pleure presqu'autant qu'en regardant Princesse Sarah mais on en sort avec une plus grande rage combative.

Jeon Tae-il est né en Corée du sud juste avant la guerre civile qui pérennisa malheureusement les frontières héritées de la Seconde guerre mondiale. Malgré les efforts de ses parents pour faire perdurer leur activité commerciale de tailleurs, la richesse et le confort restent inaccessibles. C'est même la misère totale lorsque le père se fait arnaquer et que la boutique familiale se retrouve en faillite. Le paternel sombre dans l'alcool et la mère tombe malade. Tae-il est alors un jeune adolescent qui doit s'occuper de trouver de quoi nourrir les siens... avec un petit frère et deux petites sœurs, ce n'est pas évident. Ce n'est pas joyeux. Il essaie à peu près tout ce qui est de son ressort : fouiller les poubelles, vendre des journaux à la criée, des parapluies, cirer les chaussures, faire le colporteur de bricoles...

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Les réactions de mépris de ceux qui refusent de voir ses efforts sont assez écœurantes et l'heure n'est pas aux triomphes des organisations syndicales et des organisations de solidarité.  La société sud-coréenne des années soixante est assez marquée par la victoire de l'idéologie capitaliste qui ne fera que s'accentuer par la suite, la dictature militaire qui s'installe durablement à partir de 1961 n'arrangeant évidemment rien. Un féroce anticommunisme d'État, facilité par la menace nord-coréenne, permet d'empêcher toute revendication des travailleurs. Ces derniers ont face à eux des patrons très soudés pour étouffer dans l'œuf toute contestation et qui n'hésitent pas à user de violences avec le soutien total de la police et du gouvernement.

Plus tard Tae-il deviendra en effet syndicaliste et sacrifiera sa vie de manière mémorable pour attirer l'attention sur les conditions de travail déplorables des ouvriers sud-coréens. Mais ce n'est pas cette période qui est retranscrite dans les deux tomes de L'Étincelle. Juste ses jeunes années d'enfant des rues... et c'est déjà bien assez éprouvant.Les détails de la vie quotidienne sont très bien rendus, ainsi que les caractéristiques si particulière de l'urbanisme coréen d'alors, fait d'une infinité de ruelles courant sur les pentes de petites collines. Les couleurs des albums ne sont pas très heureuses, hélas. Informatiques et mollassones, elles ne mettent guère en valeur le dessin, pourtant expressif et sans surcharges.Jeon Tae-il deviendra un figure exemplaire pour les travailleurs coréens en lutte dans les décennies qui vont suivre sa mort. Cette période n'est pas traitée par la bande dessinée, mais si cela vous intéresse, vous saurez vraisemblablement dénicher le film  A Single Spark : Jeon Tae-il que lui consacra  Park Kwang-su en 1995. Très intelligemment, ce film entremêle les cinq dernières années du héros de la classe ouvrière avec la vie d'un intellectuel, opposant au régime, qui cherche justement à écrire un livre sur Tae-il, cinq ans après sa mort, afin que son sacrifice ne soit pas oublié. Presque sans chichis et avec une certaine mesure dans le pathos, ce film est un excellent complément à la bande dessinée.

L'Étincelle ne semble pas avoir rencontrer un grand succès lors de sa parution en France, en 2008 et en 2009, mais ce relatif désaveu ne doit pas vous décourager. Cette lecture est très instructive, notamment grâce aux excellentes préfaces de Robert Chesnais qui présente bien le contexte historique.

Nous avons l'honneur de vous proposer quelques packs regroupant les deux tomes pour la somme de 15 € au lieu des 48 € initiaux en neuf ! Si ce tarif prolétarien vous indiffère et que vous souhaitez uniquement acheter le tome 1, c'est également possible, mais pour 9 € (au lieu de 24 €).

L'Étincelle T.1, L'Enfance de Park Tae-ok et Choi Ho-cheol, Vertige graphic, 2008. EAN : 9782849990551L'Étincelle T.2, L'Ange de la rue de Park Tae-ok et Choi Ho-cheol, Vertige graphic, 2009. EAN : 9782849990674Cet article m'a convaincu, j'ai très envie de m'acheter un pack L'Étincelle à 15 €, mais j'habite assez loin du 6e arrondissement parisien : j'appuie sur le bouton rouge...[button link="http://aaapoum.com/boutique/product.php?id_product=455" color="red"] L'Étincelle[/button]

 
PUNISHER Max n°6 : LE TIGRE par GARTH ENNIS
 

Récurrence de la figure eastwoodienne (annexe 7)

Le sixième recueil de le collection "MAX" du Punisher[1], contient 4 histoires. Les deux du milieu, scénarisées par Justin Gray et Jerry Palmiotti sont dispensables et assez ridicules. Le personnage de tueuse amazone sicilienne au charme eighties nommée Suspiria est particulièrement dur à avaler. En revanche ces produits médiocres sont encadrés par deux perles signée Garth Ennis, le scénariste qui n'aime pas les hommes au yaourt.

La nouvelle qui donne son nom au recueil, Le Tigre, est dessinée par John Severin dont nous parlions il y a peu. Excellente idée que de demander à un dessinateur né dans les années 20 de mettre en scène une histoire se passant dans l'enfance de Frank Castle, donc dans une sorte d'Amérique de l'ancien temps évoquant aussi bien Sur les quais de Kazan que les bandes de Will Eisner. Un encrage duveteux et une mise en couleurs intelligente (tramant les fonds de croisillons clairs) parfont l'atmosphère brumeuse de souvenirs ayant valeur de mythe fondateur. Si Garth Ennis date précisément la naissance de Frank en 1950 ("1960 : j'ai dix ans") le dessin de Severin évite de trop caractériser l'époque, conscient de la tension qui résulte à envisager un Punisher de... 56 ans[2]. En effet, le personnage du Punisher, par son passé au Vietnam, est cœur d'un des plus important problème auquel sont confronté les animateurs de l'univers Marvel, la vraisemblance historique et le vieillissement des héros...

The Cell, dessinée par Lewis Larosa, a retenue notre attention pour une raison dont vous commencez à vous douter. Ce n'est pas ma faute... Il y a encore Clint Eastwood dedans ! Au début, je me suis dit, ce n'est pas possible, je me fais des idées... On va pas recommencer. Et puis lorsque Stanley m'a emprunté mon bouquin pour le feuilleter et qu'il m'a glissé : "dis-donc, il serait pas un peu eastwoodien celui-là ?", mes réticences se sont évanouies : Oui c'était bien Eastwood qui jouait le Punisher.

Cette histoire carcérale, plongée dans les ténèbres, met bien en évidence les liens qui relient la mythologie du Punisher à celle des incarnations de Eastwood à l'écran. C'est tellement évident que jusqu'à présent j'avais omis d'en prendre conscience ! Un homme seul face au système. Un homme entre deux clans (ses ennemis se comptent des deux côtés de la Loi) . Une vengeance personnelle comme carburant. D'expéditives méthodes... voilà bien des caractéristiques de la figure qui a rendue Eastwood populaire auprès du grand public. Si l'acteur-réalisateur a toujours cherché à éviter tout excès de complaisance envers la violence alors que Garth Ennis aime se baigner dans l'hémoglobine et les tendons arrachés, comment ne pas établir rétrospectivement un parallèle entre les nuances qu'apporte Magnum Force au personnage de Harry Callahan[3] et la défiance du Punisher vis-à-vis de ses émules indésirables, dans la première et jubilatoire mini-série[4] que Ennis consacra au personnage.

Garth Ennis ne semble pas encore prêt à creuser autour des racines de ses propres fascinations barbares, pas plus qu'il ne montre l'envie de mettre en perspective les conséquences de la violence (a contrario du réalisateur d'Unforgiven) en cela ses héros sont plus bronsoniens qu'eastwoodiens. Toutefois, en l'occurrence, sa volonté de relier les actes du Punisher à son passé, son réel attachement au personnage et à son potentiel ainsi que son ardeur à en revisiter les mythes fondateurs, placent les deux récits évoqués aujourd'hui loin au dessus de ses habituelles bidasseries potaches.

[1] Panini France, 2007, 15€ .

[2] et oui, car The Tyger est paru au États-Unis en février 2006.

[3]Magnum Force (1973) de Ted Post, est le deuxième volet des aventures de L'inspecteur Harry. On l'y entend formuler cette fameuse phrase : "Je crois que vous avez fait une erreur de jugement à mon propos."

[4] En français cette série fut publié par Panini dans les 3 premiers 100% Marvel consacrés au Punisher puis regroupé dans un petit format moche mais pas cher distribué par Maxi-Livres : Un monde sans pitié, 2004.

 
Vagabond de Takehiko Inoué
 

La plume et le sabre

Suivant la tradition des biographies romanesques sur Musashi, Vagabond s’ouvre sur la plus grande date de l’Histoire médiévale japonaise, octobre 1600, bataille de Sekigahara.

Sur le visage engourdi du héros sonne la pluie, autour de son corps étendu gisent les cadavres de ses alliés déchus. Laissé pour mort, la défaite de son camp sonnant l’instauration d’un régime politique qui durera 300 ans, son réveil a un goût de renaissance, le Japon des airs de nouveau monde. Cet instant inaugural conditionne dès lors l’errance de l’adolescent. Il s’agira à l’avenir de ne plus se précipiter dans la bataille sans réfléchir, et de maîtriser les techniques qui assurent la victoire.Miyamoto Musashi est une figure essentielle de l’Histoire et du Folklore nippon.

Depuis toujours s’incarne dans l’image chevaleresque et philosophique de ce samouraï  l’idéalisation d’une « âme japonaise », faite de rigueur et d’obstination, d’abandon de soi et de recueillement au plus près de la nature. Des associations d’idées d’autant plus fortes qu’elles furent flattées à de nombreuses reprises dans d’illustres créations artistiques.Au-delà du symbole identitaire, Vagabond fascine par la volonté de l’auteur à se mesurer au mythe.

Même l’européen déconnecté de la mentalité nippone ne manquera pas de ressentir à chaque image le challenge. Voie du Sabre et voie du dessin sont liées au sein des pages, auteur et sabreurs unis à dans l’expérimentation et le changement d’outils (commencée à la plume, la série se poursuit désormais au pinceau). Une ode à la perfection dans l’humilité, enveloppée d’un graphisme à se pâmer de beauté...

Bref, l’essence pure en manga du mythe Musashi.