Publications dans 2006
Hors de la librairie (2)
 

Lettre de Montevideo

Cher Stéphane,

C'est en sortant de la rue Dante qu'on comprend mieux pourquoi les gens disent que "c'est vraiment la rue de la bédé !".

Ici par exemple à Montevideo, capitale de l'Uruguay regroupant la moitié de la population nationale, je n'ai pas encore trouvé de boutiques vendant des "comics" (faut préciser que je n'ai pas passé mon temps à ça).

Dimanche, sur la "feria de Tristán Narvaja", sorte de marché aux puces invraisemblable  où se presse lentement une foule sirotant son maté, le thermos d'eau bouillante vissé sous l'aisselle, entre les étals les plus divers ( des légumes jusqu'aux bouts de chaînes rouillées ), il était plus facile de dénicher des pirates de jeux PS2 ou de DVD que des comics. J'ai néanmoins pu feuilleter quelques revues argentines des années 80 en piteux état, qui m'ont permis de constater qu'il y avait encore du Risso non traduit par chez nous (pas forcément terrible d'ailleurs).

Sinon j'ai eu la surprise de découvrir au sein du petit mais charmant musée Juan Manuel Blanes (peintre uruguayen du 19e et gloire nationale), deux salles consacrées à Julio Emilio Suárez Sedrasqui, qui signait ses oeuvres Jess. Cet uruguayen, né en 1909 et mort en 1965, commença à faire de la bande dessinée et des caricatures de presse au début des années 30. Son personnage connu par ici est Peloduro ("Cheveu dur"), qui donna son nom à une revue mensuelle qui fut fameuse jusqu'à la mort de Jess qui en était l'éditeur depuis 1943. Ci-après quelques exemples de ses travaux.

Belles couvertures couleurs, Jess dessinait beaucoup De Gaulle, plutôt pas mal, non ?

Ici personne n'a oublié que l'Uruguay a gagné la coupe du Monde de football en 1950.J'espère que tu te portes bien et qu'il n'y a pas trop de clients fous ou pénibles.Je t'embrasse.Vlad.

 
Darwin & Davodeau
 

Par Stéphane...

  A l’occasion de la première diffusion télévisé sur Arte du Cauchemar de Darwin, documentaire émérite de Hubert Sauper sur l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria, en Tanzanie, je remet ici une interview d’Etienne Davodeau que j’avais réalisée à l’occasion de la sortie de son livre Les Mauvaises Gens, autre documentaire émérite sur la naissance de la conscience ouvrière dans la région des Mauges. Elle fait un tiers de plus que celle publiée dans le Bulldozer N°1, n’est pas d’un grand intérêt mais pas vaine non plus (je suis un piètre interviewer je l’avoue).

N’hésitez pas à regarder le docu ce soir, et à lire le Davodeau, dont le cumul des prix et autres récompenses officielles a depuis attesté de la grande qualité du travail.

Parlez nous du film, vos sensations, vos sentiments, vos interrogations.

Le cauchemar de Darwin est un puissant moment de cinéma. On n’en sort pas intact. Les informations délivrées sont proprement sidérantes. Pourtant, jamais la forme n’est sacrifiée au profit du fond. Sauper tourne visiblement avec des moyens techniques modestes. Ce dépouillement sert son propos. Je pense par exemple à ces scènes de nuit où de jeunes enfants livrés à eux mêmes errent dans les rues. Les images sont presque illisibles. Mais cette quasi-opacité fait sens. La question de la beauté de ces images ne se pose pas, elle serait indécente. La question qui se pose est celle de la cohérence et surtout la nécessité. Cohérentes et nécessaires, ces images le sont. Devant ce film comme devant beaucoup d’autres de ce genre, je me demande toujours si et comment l’auteur parvient à se faire oublier les gens qu’il filme. L’omniprésence du matériel et de l’équipe de tournage me semble un handicap. Réaliser un reportage ou un documentaire en bande dessinée présente cet avantage précieux : rien ou presque ne parasite la relation entre l’auteur et le sujet!

Quelles sont les notions dans lesquelles vous vous reconnaissez, dans lesquelles vous reconnaissez votre travail ?

J’aime raconter une histoire particulière et concrète qui renvoie immédiatement à des questions et des concepts plus globaux. A priori, l’Européen bien nourri pourrait se contrefoutre de qui se passe sur les rives sordides de ce lac Tanzanien. Après avoir vu le film, c’est impossible. Sauper ne tient pas de discours idéologique, ni même économique. Il regarde.

À ma mesure, c’est aussi ce que j’essaie de faire. En dessinant Rural ! ou Les mauvaises gens, mon but n’est pas d’emmerder le lecteur, bien sûr. Encore moins de le distraire. Il s’agit de le toucher. De le concerner. Ainsi, plus le sujet de ce genre de livre est “ difficile ”, plus la qualité de sa narration est importante. Le sujet du film de Sauper est a priori totalement rébarbatif. Le film est passionnant.

Et Vous, comment concevez votre narration, vos formes et vos outils ?

Pour Les mauvaises gens, j’ai totalement improvisé le récit. C’est en alternant les scènes décrivant ce que me racontent mes interlocuteurs et celles où ils me les racontent, que j’établis le rythme du livre (je suis obsédé par la qualité du rythme de mes livres !). Par ailleurs, en quittant le traditionnel format 48 pages, carton, couleurs, on gagne une liberté considérable. On peut vraiment, si besoin, ajouter ou retrancher 10 pages au dernier moment sans que l’éditeur s‘évanouisse.

Vous êtes souvent à l’image dans vos livres docu contrairement à Sauper qui n’apparaît pas une fois. Mais curieusement, on vous sent plus effacé, plus humble aussi par rapport aux personnes à qui vous offrez la parole. Qu’est ce qui motive votre présence à l’image?

Je déteste dessiner le personnage qui “ me représente ”. Mais sa présence à l’image relève de plusieurs préoccupations. Il me sert de fil rouge narratif en établissant le lien entre les différentes parties du livre. Il me permet de rythmer assez précisément l’ensemble du récit. Rural ! et Les mauvaises gens sont par natures des livres très hétérogènes. Ce personnage remplit aussi une fonction unificatrice de l’ensemble. Il est aussi là pour affirmer le caractère subjectif du récit. En racontant la vie d’une ferme ou le parcours de syndicalistes ouvriers, je ne prétends pas raconter LA vérité sur le sujet. J’en raconte ce que j’en connais, et ce que je décide d’en raconter.

Quelle est la frontière entre appropriation d’un sujet et trahison ?

Connaître la réponse à cette question doit être bien reposant.

Êtes vous un artiste engagé ? D’ailleurs, que peut bien être un artiste engagé ?

Je peux difficilement faire abstraction de tous les paramètres qui régissent notre quotidien. Et je ne rechigne pas à aborder l’aspect politique des choses, car il est, qu’on le veuille ou non, déterminant. Mais être un artiste engagé, c’est soumettre son œuvre à une idéologie. C’est terrible et me semble inconcevable de nos jours. Désormais, le doute règne. Et c’est tant mieux.

Vous vous concentrez sur votre territoire, la France, un peu comme Michael Moore avec les Etats Unis. Hubert Sauper lui va scruter les pays étrangers comme peut le faire Jean-Philippe Stassen ou Joe Sacco. D’où viennent ces choix, ses impulsions ?

Les histoires dignes d’être racontées sont partout. Celles qui sont juste sous notre nez sont celles qu’on voit le moins. Elles attendent juste qu’on les ramasse.

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Cet automne, outre Les mauvaises gens, vous pourrez lire un récit que j’ai ramené du Japon, dans un livre collectif publié par Casterman. Ce n’est pas strictement un reportage mais une nouvelle constituée de ce que j’ai glané là-bas. Je n’ai pas d’intentions particulières dans ce domaine. Je n’anticipe rien. Il faut juste laisser venir, être attentif.

Alors quelles sont les choses qui attirent particulièrement votre attention? A quoi vous sentez-vous plus particulièrement réceptif ?

Je n’ai pas d’intentions particulières dans ce domaine. Je n’anticipe rien. Il faut juste laisser venir, être attentif. C’est une question de disponibilité. Bien sûr, les sujets “ sociaux ” m’intéressent.Mais je ne veux pas m’enfermer là-dedans (tu n’imagines pas le nombre de fois depuis la publication de Rural! où on m’a proposé de “ venir faire un reportage ” sur un chantier d’autoroute ou d’aéroport !). Je suis certain d’une chose : Chaque vie humaine est digne d’être racontée.

Vous travaillez maintenant autant sur le romanesque que sur le documentaire ? Comment choisissez-vous le genre avec lequel vous traitez chaque sujet ?

Pour résumer, ça se joue dès que le projet s’amorce : Si sa matière première est constituée d’une multitude de notes hétérogènes, comme c’est le cas le plus souvent ; ce sera une fiction.

Si un sujet suffisamment riche en lui-même s’annonce, ce sera un reportage.

Le film dénonce par une investigation féroce. Vous, pour votre part, vous installez en passerelle pour permettre le témoignage de tiers. Comment et pourquoi choisit-on sa place lorsqu’on le réalise un documentaire ?

C’est une question que je me pose en permanence ! Je n’ai pas là non plus de technique bien établie. L’énorme avantage que j’ai sur Sauper et ses condisciples, c’est que ma caméra à moi tourne en permanence!

Plus qu’une question de place, c’est donc une question de temps. Je parle avec les gens dont je veux raconter l’histoire. Éventuellement, je prends quelques notes (graphiques ou verbales) mais mon interlocuteur n’a pas sous le pif une caméra, un micro et un projo. C’est simplement une discussion entre deux personnes…

Avez-vous des modeles d’auteurs de documentaires ?

Les films de Ken Loach ont été importants pour moi. Par ailleurs, je lis beaucoup en ce moment les romans d’Hubert Mingarelli, dont l’écriture sait dénicher la vérité de l’objet le plus banal. En ce qui concerne la bande dessinée, Spiegelman et Tardi comptent bien sûr beaucoup. Les premiers livres de Sacco et ceux d’ Emmanuel Guibert aussi. Mais je ne suis pas un intégriste de la cause, j’aime plein d’autres genres !

Vous citez Spiegelman. Votre nouveau livre a ceci en commun avec Maus qu’ils sont tous deux des tentatives de comprendre des parents, et par extension qui vous êtes aujourd’hui ? Le documentaire est–il un moyen de se confronter à soi autant qu’au monde dont on veut témoigner ?

Il peut l’être de façon incidente. En réalisant Les mauvaises gens, je cherche aussi à comprendre comment le milieu dans lequel j’ai grandi a conditionné ce que je suis. Ces deux univers concentriques mais antagonistes (le milieu syndical et cette région réputée conservatrice) ont eu des influences positives ou négatives sur moi. Ce livre est aussi une tentative pour m’en libérer.

Que pensez-vous que la bande dessinée puisse apporter aux autres supports exploitant ce genre ? Qu’essayez vous pour votre part de mettre en place ?

Faut-il se demander ce que la bande dessinée apporte au reportage ou ce que le reportage apporte à la bande dessinée ? À titre personnel, quand j’ai essayé de caser Rural! chez un éditeur, mon ambition était de prouver que la bande dessinée était un média idéal pour ces « récits du réel ». Je voulais juste essayer ça. Ma démarche concernait d’abord la bande dessinée et ce qu’on peut faire avec ce langage et ses spécificités. Je ne veux rien mettre d’autre en place. L’accueil de Rural ! me permet de retenter aujourd’hui cette expérience avec Les mauvaises gens.

Si ce genre se développe en télévision, en cinéma, en littérature et en bande dessinée, c’est aussi une bonne nouvelle pour ça : mine de rien, dans ce domaine-là au moins, la bande dessinée occupe pleinement sa place, aux côtés d’autres genres narratifs. Pas si mal. Ne nous faisons cependant pas d’illusions. Sur les étals des libraires, ce genre de bande dessinée restera longtemps minoritaire d’un point de vue quantitatif. Mais elle nous procurera sans doute beaucoup de ces livres qui, la dernière page tournée, nous restent longtemps en tête. Il n’y a pas de classement hebdomadaire dans L’express pour ces livres-là. Mais pour chacun de leurs lecteurs, ils sont importants.

 
L’héritage de l’abjection
 

L'héritage de Rivette à Daney, de Daney à moi.

Par Stéphane

«Il faut lire Le Ciel au-dessus de Bruxelles, le dernier Yslaire, m’ont dit de nombreux collègues, tu verras, il est ridicule.» Alors je les ai écoutés, mais ne l’ai pas trouvé ridicule, ni n’ai ri. Je l’ai surtout trouvé « abject », renvoyant à ma mémoire un texte de Serge Daney, critique de cinéma aux Cahiers du cinéma puis à Libération, fondateur dans ma manière d’appréhender les images, de les lier au monde, et d’en juger une valeur artistique.

J’ai recopié le texte de Daney ci-dessous en l’illustrant des images du fameux « dernier Yslaire ».

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«Au nombre des films que je n’ai pas vus, il n’y a pas seulement Octobre, Le jour se lève ou Bambi, il y a l’obscur Kapo. Film sur les camps de concentration, tourné en 1960 par l’italien de gauche Gillo Pontecorvo, Kapo ne fit pas date dans l’histoire du cinéma. Suis-je le seul, ne l’ayant jamais vu, à ne pas l’avoir oublié ? Car je n’ai pas vu Kapo et en même temps je l’ai vu. Je l’ai vu parce que quelqu’un -avec des mots- me l’a montré. Ce film, dont le titre, tel un mot de passe, m’accompagna ma vie de cinéma, je ne le connais qu’à travers un court texte : la critique qu’en a fait Jacques Rivette en juin 1961 dans Les Cahiers du cinéma. C’était le numéro 120, l’article s’appelait «De l’abjection», Rivette avait trente-trois ans et moi dix-sept. Je ne devais avoir prononcé le mot «abjection» de ma vie.

Dans son article, Rivette ne racontait pas le film, il se contentait, en une phrase, de décrire un plan. La phrase, qui se grava dans ma mémoire, disait ceci : «Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés : l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’à mon plus profond mépris. » Ainsi un simple mouvement de caméra pouvait-il être le mouvement à ne pas faire. Celui qu’il fallait- à l’évidence- être abject pour faire. A peine eus-je lu ces lignes que je sus que leur auteur avait absolument raison.

Abrupt et lumineux, le texte de Rivette me permettait de mettre des mots sur ce visage-là de l’abjection. Ma révolte avait trouvé des mots pour se dire. Mais il y avait plus. Il y avait que la révolte s’accompagnait d’un sentiment moins clair et sans doute moins pur : la reconnaissance soulagée d’acquérir ma première certitude de futur critique. Au fil des années, en effet, « le travelling de Kapo » fut mon dogme portatif, l’axiome qui ne se discutait pas, le point limite de tout débat. Avec quiconque ne ressentirait pas immédiatement l’abjection du « travelling de Kapo », je n’aurais, définitivement, rien à voir, rien à partager. »

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Serge Daney, Persévérance, éditions P.O.L, 1ere édition février 1994.

 
Comment j'ai compris la mort
 

De fil en aiguille, de Daredevil à l'enfance.

Par Stéphane

Comme beaucoup d'enfants, je restai longtemps intrigué par «la mort». Pourtant, il me fallut pas mal de temps avant d’en saisir, ou plutôt de définir, une image et un concept que pouvais m’approprier. Ce travail passa par deux œuvres, en partie.

La première c’est Blade Runner, le film, dont je me souviens n’avoir rien compris ou presque en dehors du sentiment à la fois vague et puissant de ce que peut être le terme d’une vie. En conclusion, Roy le robot s’éteint la caméra en gros plan son visage, alors que la pluie bat son plein et masque possiblement les larmes qui se déversent de son œil, pourtant mécanique, à l’approche de sa fin.

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La seconde image, c’est la couverture du Strange 181 signée Frank Miller et datant de janvier 1985. Elle marqua mon esprit d'enfant pour ce qui est de l’autre versant de la mort, c'est-à-dire du point de vue de ceux qui restent et sont en deuil. On y voit Daredevil, visage nu, enserrant de ses bras la croix de marbre qui surplombe la tombe de sa défunte aimée. Au geste, urgence de sentir la chaleur humaine, s’oppose la pierre, dont la froideur est soulignée par la neige qui tombe à gros flocons sur cette scène désespérée.

Aujourd’hui encore, lorsque j’utilise le mot dans une conversation ou dans une critique, c’est invariablement ces deux images qui remontent à mon esprit comme pour illustrer ma pensée, ou mon sentiment.

 
Daredevil, par Maleev & Bendis
 

Bon anniversaire, ange ou demon ?

Par Stéphane

Ça commence à se savoir dans l’industrie du comic book, Brian Michael Bendis restera le scénariste américain le plus doué de ce début de XXIeme siècle. Powers, où les aventures d’un duo de policiers dans un monde envahi de superhéros. Alias, récit de la réinsertion d’une superhéroïne qui abandonne le port du costume à la suite d’un drame violent. Autant de terribles chefs d’œuvre au traitement adulte, et auxquels s’ajoute la reprise du célèbre Daredevil. Une série à laquelle Vlad et moi avons converti nombre de nos clients, jusqu’au Saint patron Jacky qui, samedi dernier, s’eclipsait une petite heure de la boutique en emportant le nouveau recueil que je venais fraichement de m’acheter. Si vous trouvez qu’il y a un champ lexical du religieux particulièrement développé dans les lignes que vous venez de parcourir, c’est normal. Daredevil et le Christ ont un tas de choses en commun. Bon sujet, non, pour un lundi de paques?

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Pour mesurer le travail de Bendis sur cette série, il faut remonter un peu dans le temps. En 1980, le "diable rouge de Hell’s Kitchen", comme le nomment ses ennemis, prend sous la plume de Frank Miller une toute nouvelle dimension : création d’un lien entre port du masque et idéologie –ici religieuse-, et d’un autre entre port du costume et déviance psychotique. Je n’en dirais pas plus à ceux qui ne l’ont pas lu, mais lorsqu’il abandonne la série, DD, comme le nomment les intimes, a des allures d’icône au sens pieux du terme, oscillant entre martyr condamné au deuil et justicier menacé par la déchéance du faux pas amoral. Une vision qui perdure jusqu’aujourd’hui et que l’adaptation cinématographique, médiocre, retranscrivait bien.

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Pour le plus grand plaisir des lecteurs avides de scénarii ambitieux et matures, Bendis approfondit le traitement pour la première fois en presque vingt ans. Il s’agit maintenant de confronter l’avocat justicier à de nouveaux démons en conservant cet équilibre précaire – la fine ligne rouge à ne pas fanchir- en toile de fond. Et de tester les limites, quitte à provoquer la rupture. Plus sombre et ambiguë que jamais, porté par le dessin au photoréalisme urbain et crade de Maleev, la série peut sans embarras prétendre au titre du meilleur comic mainstream en court de parution. Ça tombe bien, ce dixième volume sorti jeudi dernier (sixième en vrai car le cycle de Bendis commence au tome 4) marquait aux USA les 40 ans du héros.

 
Vers une disparition de la couleur directe ?
 

De l'Helldorado à Minority Report

par Vlad

En relisant le premier volume de Helldorado, un scénario de Morvan et d'un certain Dragan, magnifiquement mis en images par Noé (un transfuge de la bédé de sexe), m'est venue l'ébauche d'une réflexion. Elle ne concerne pas l'intrigue, historique fantaisie dont j'attendrai le prochain volume pour me faire une idée plus précise, mais bien la forme. Ces planches magnifiques ont manifestement été réalisées sur ordinateur par un as de la palette graphique, maniant le stylet optique et le logiciel Painter à la perfection. La première implication de ce constat, c'est que les planches originales n'existent pas dans le monde physique, ce qui pourrait désespérer les galeristes du futur : mais ce n'est pas ce qui m'intéresse aujourd'hui. Ce qui m'a frappé, c'est que, là, sous mes yeux la fin d'une opposition séculaire s'est trouvée matérialisée. La peinture et le dessin, c'est désormais la même chose.

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Dans l'enseignement traditionnel des arts, avant que les surréalistes ne crachent partout et que des chevelus se mettent à faire des installations, on distinguait le dessin et la peinture. Le premier, incarnation virile et affirmée de la structure primordiale s'opposait à la seconde, ce fard typiquement féminin, aux attraits vaporeux et duplices. Ce qui faisait vraiment la différence entre les génies et les tâcherons c'était le dessin. Puis il y a eu la bédé franco-belge, avec l'esquisse et l'encrage pour l'homme et le coloriage des bleus pour sa femme. En ce sens la bédé revendiquait bien haut son héritage classique.  Dans les seventies, 1976 pour être précis, Moebius a osé Arzach, et la couleur directe, c'est-à-dire que ce gars a osé  barbouiller son beau dessin qui était en dessous, sans travailler sur une copie où les noirs sont imprimés dans une couleur plus légère, «un bleu» comme on dit dans le métier des artisans d’antan. La couleur directe cette invention queer (Moebius, Bowie, même combat) était signe de prestige, de maîtrise et de prise de risque.

Avec Painter et des gens de la trempe de Noé, la couleur directe va disparaître. D’abord physiquement, évidemment, puisqu’il n’y a plus de support matériel. Ensuite la notion va s’étioler puisque son enjeu, la prise de risque, n’existe plus. En effet les logiciels modernes permettent de créer un nombre infini de copies et surtout ils permettent à travers ce qu’on appelle « l’historique » de revenir à des étapes précédentes de l’œuvre, stockées dans la mémoire de l’ordinateur (là la majorité de nos lecteurs se dit « olala il nous gonfle, on sait tout ça ! », mais j’essaie de m’adresser à tous, même à ma grand-mère ). Autant dire que la notion de risque est dès lors annihilée.

Enfin et ça c’est plus nouveau, les étapes du processus créatif d’une image sont fusionnées, rendues indissociables. Il n’y a plus la primauté du dessin. Ce qui est troublant c’est que le geste et l’instrument qui sert à peindre et à dessiner est désormais, le même. C’est le même stylet sur la même palette qui va nous produire de l’huile, de la gouache, de l’aquarelle, tout aussi bien que de la craie comté, du fusain et de l’encre de chine… Le pinceau et la plume fusionnés ! Et pour pronostiquer un peu plus loin à la Minority Report (ça, Mammy, c’est un film de Spielberg qui se passe dans le futur), bientôt tout ça jaillira directement des doigts de nos créateurs sur un écran immatériel. La disparition de gestes distincts, la disparition de notions distinctes… Qui peut nous dire quelles conséquences cela aura sur nos cerveaux ?

PS : Mammy me demande ce que queer veut dire.

 
De la tristesse des milieux carcéraux dans le monde
 

Y a pas de ça chez nous monsieur, ah ça non…

Par Stéphane


Post conjoncturel, c'est-à-dire motivé par une suite d’événements vécus en moins d’un jour, je raconte.

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Dimanche 26 mars au soir, je mange chez moman. Fin de repas devant télé et Marcolivierfogiel, avec comme invité un ancien détenu de la prison américaine de Guantanamo. Il est français, mais comment diable s’est-il retrouvé capturé là-bas ? C’est la question sous-entendue sous le reportage, évidemment. Moi aussi ça m’intéresse.

Sauf qu’avant de se lancer dans une grande litanie autant insurgée que prévisible sur la tyrannie «du gouvernement américain qui emprisonne sans vergogne ni respect des droits de l’Homme…», l’émission commence par un court programme d’introduction, véritable panorama des pires conditions de détention à travers le monde.

Ouille, ça commence mal. Déjà, le narrateur présente Guantanamo avec des trémolos dans la voix pendant que défilent des images… d’Abu Ghurayb. Belle purée mais passons. Ensuite ça embraye sur la Chine, l’Amérique du sud, le Moyen-Orient et patati et patata, «c’est abominable, mais comment des gouvernements peuvent-ils laisser de telles horreurs se produirent…. My God, mais quelle indignation». Et bien sûr…aucun mot sur la France. Typique, ce regard sur l’étranger pour mieux se sentir fier de notre état de droit et de notre beau modèle républicain. Un pur fantasme ceci dit en passant.

Car comme me le rappelait mon pote Jules le lendemain pour en rajouter une couche, "ce n’est pas comme si la France venait de se faire épingler méchamment par le Commissaire aux droits de l’Homme du conseil de l’Europe,qui nous rappele que notre système pénitencier est l’un des plus insalubres d’Europe". Et pas qu’un peu, à lire les articles ici, ici, et surtout , que Jules m'envoya à ma demande depuis son Angleterre. Clairement, on est bien mal placé pour faire la morale à qui que ce soit.

Et la BD dans tout ça, attendez, j’y viens dans la suite avec une très belle surprise. Parole.


Ce même dimanche, dans l'après midi, j'avais lu les épreuves de L’Homme qui s’évada, une nouvelle bande dessinéeà paraître au mois de juin chez Actes Sud. Dans le livre, sont rassemblées en un recit les adaptations de Au bagne et de L’Homme qui s’évada, deux reportages du journaliste et écrivain Albert Londres, datant des années 1920. Pour résumer, le premier livre traitait des conditions de détention dans les bagnes français de Cayenne, le second narrait les retrouvailles avec Eugène Dieudonné. Ancien prisonnier rencontré lors de la visite du bagne. Accusé à tord puis déporté, ce dernier réussit à s’évader après quelques années de détention cruelles pour trouver refuge au Brésil. Londres l’y rejoignait pour le reconduire, gracié, sur sa terre natale, et écrire ce livre.

L’adaptation, sous la forme d'une bande dessinée unique, des reportages de Londres, en plus d’être un formidable récit d’aventure centré autour de la figure du martyr Dieudonné, est un bon moyen de reprendre pied avec le vrai visage de notre pays, dans son Histoire, mais aussi dans les multiples échos qu'elle renvoie à notre actualité. Voici en avant-première quelques planches non finalisées, avant couleurs, de ce livre à consulter dès sa sortie. Cliquez dessus pour les voir en plus grand