Publications dans La mémoire de l'œil
Pelvis France
 

Les aléatoires mais constants arrivages de BD diverses sont pour les Aaapoumiens un délicat mélange de peine et de réjouissance. On pourrait y voir une subtile allégorie de la vie, une métaphore douce amère digne d'un long texte enflammé qui commencerait avec les lignes qui suivent. Ou on peut bifurquer et se concentrer sur les petits plaisirs. Ceux de la chair et du bon mot, notamment.

Elvifrance... Ha! Elvifrance! La joie de nous journées sans espoir. Le soleil de nos froides après-midi désertées par les clients.

Qui ne connait pas cette maison d'édition française, entièrement vouée à la gaudriole et au stupre italien en petit format de poche ? Dans les années 80, il est notoire qu'elle publiait jusqu'à 30 albums par mois. Invariablement érotiques et kitsch, les histoires zigzaguaient tout de même de thèmes en genres, proposant un panel très vaste d'ambiance.

Il y a toujours d'incroyables choses à se mettre sous la dent avec les productions Elvifrance. Les couvertures dans un premier temps, les histoires délicieusement abracadabrantesques dans un second. À ces sujets, nous ne sommes pas trop mal lotis. Les couvertures, par exemple, se baladent régulièrement sur la toile pour notre plus grande délectation. Du moins, elles restent ne serait-ce que vaguement à notre disposition grâce à quelques sites motivés.

Pourtant, ce qui fait la véritable beauté d'Elvifrance nous reste la plupart du temps caché. Ce qui nous impacte le plus, ce qui nous fait rire, nous marque, nous change, ce sont leurs slogans; ne le niez pas. Tous ces jeux de mots, cette gouaille et ces discours fendards à la limite de l'incohérence, personne n'en avait jusque la vraiment fait le catalogue. Personne ne les avait transmis. Personne ne les avait porté aux nues. Personne ne les avait partagé, raconté, chouchouté. Pourtant ils le méritent. Ils sont beau comme des camions, fin comme du beurre, elvifranchement marrants et peuvent maintenant se retrouver sur notre tumblr dédié !

 
Hommage à Newman
 

Il y a les œuvres mémorables, et les autres...

A la mort de Paul Newman, je fustriste, comme beaucoup. Mais plus encore par la filmographie sélectionnée parles chroniqueurs en charge de sa nécrologie. A quoi sert d’avoir été unbrillant acteur et un modèle d’engagement politique si c’est pour qu’onn’inscrive qu’en fin de colonne (lorsqu’ils ne sont pas carrément ignorés) lesmerveilleux Luke la main froide ou La chatte sur un toit brûlant, loinderrière les amusants mais beaucoup plus négligeables LArnaque ou la Couleur de l’argent.

Et ce n’est rien lorsque l’onpense que ces incultes scribouillards n’ont guère fait mention des Aventures  de BobHughes, curiosité de la bande dessinée pornographique dont il n’y auraitprobablement pas grand-chose à sauver si cette étoileau regard océan n’y apparaissait pas dans son plus beau costume. Heureusement, lesarchéologues nécrophages d’Aaapoum Bapoum sont là. Grâce à eux, il ne vous encoûtera que dix euros le rare ouvrage, désormais tout autantutilitaire que mausolée grotesque de l’une des grandes icônes du vingtièmesiècle.

Enfin, après avoir bien rigolépour peu de frais, voire une petite excitation si vraiment vous êtes un peupervers, vous pourrez poussez la promenade de quelques rues et vous arrêtez àla Filmothèque du Quartier latin pour voir l’un des rares films réalisés par Newman,De l’influence des rayons gamma sur lecomportement des marguerites. Une magnifique entreprise artistique etfamiliale dans laquelle le réalisateur décrit la misère sociale américaine touten scrutant amoureusement sa femme et sa fille. Le plus beau film vu depuisbien longtemps, et la preuve éclatante que l’étrange douceur de son regard bleun’était pas un artifice esthétique, mais le reflet sincère d’un esprit généreuxet sensible.

 
Les origines (mieux que celles de serval)
 

Pour Philig qui pense que l'on vieillit

Dupuy et Berberian sont les grands prix du Festival D'Angoulême pourcette année. Quand j'avais la vingtaine, j'étais fan. Désormais, un peumoins. Mais quoi qu'ils fassent, ils restent d'unecertaine manière à l'origine de ce blog. C'est en effet de l'un de leurslivres, Le Journal d'un Album, que m'en est venue l'idée. Toutd'abord, je dois confesser que cet ouvrage a une valeur particulière à mes yeux. Il s'y trouve la plus belle planche de bandedessinée, celle qui m'a le plus marqué de toutes mes lectures. Je nesaurais dire pourquoi je l'aime autant, tout en ayant conscience quecet amour est démesuré. Peut-être l'aurais-je découverte à un momentimportant de ma vie, ou qu'elle répond à la manière quej'ai de me souvenir des morts. Je ne saurais dire, c'est ainsi,totalement subjectif, personnel, et assumé. Et le AAABLOG dans tout ça ? J'y arrive.

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Le AAAblog est né de mon initiative.A cette époque, Vlad est passablement déprimé et je me retrouve, telBerberian face à Dupuy dans ledit journal, impuissant. Pour solution, je n'ai que cetteidée, reprendre notre vieille relation épistolaire, nourrie d'échangesle plus souvent idiots et de dessins, mais sous une nouvelle formepuisque l'ancienne était morte d'une telle manière qu'il me paraissaittout à fait impossible de la ressusciter. Je lance donc ce blog avecl' espoir que, comme Berberian lançant le projet du Journal d'un album pour sortir son vieuxcompère d'une vieille déprime, cette écriture aurait un effet salvateur sur le moral de mon camarade. A côté de notre travail principal se glisseraitune nouvelle activité qui, en apparence, lui serait reliée.

Vlad écrira le premier post, totalement idiot sur des seiches à la portugaise, puis créera, à ma grande surprise, une rubrique autobiographique intitulée la mémoire de l'oeil.Cette dernière manifestait, je crois, le désir ou le besoin de placerun peu de libération dans ce projet. J'étais content, jouaisle jeu de la confession, comme aujourd'hui. Vlad et moi cultivions unlong rapport à l'autobiographie, rien de grave ne pouvait arriver.

Onécrit à fond, on oublie pas tout mais presque et aujourd'hui, Vlad vabien, super bien (non grâce au blog, je vous rassure). Il me les briseà nouveau menu parce que je fais mal les étiquettes ou ne range pastout à fait correctement. Mais je ne regrette pas. Il faut savoir quece truc orange et gris me coûte 15 euros par mois et que je ne l'ai jamaisfacturé à l'entreprise, même du temps où nous n'étions pas associésavec le troisième larron. Je tiens au symbole. Donc pour Philig quivoudrait que l'on s'active, à raison : Il faudra attendre que l'onrécupère un peu de temps libre, ou un drame, à défaut. Amitié auxcliqueurs lecteurs, en moyenne 100 par jour depuis le début. Ce blog vient d'entamer sa troisième année d'existence, lalibrairie de la rue Serpente sa seconde, et tout va pour le mieux, AAApoum Bapoum est parti pour devenir le prochain empire Lagardère, à taille humaine.

 
We are such stuff as dreams are made of...
 

Par  Stéphane

Je ne sais pas pour vous, mais j’aimebeaucoup les citations. J’en ai une petite collection de préférées, souvent d’auteursde littérature, souvent d’images poétiques. Parmi celles que j’affectionne leplus, il en est une de Shakespeare, tirée de La tempête :

Je tiens énormément à ce morceau de texte pour deux bonnes raisons :

1) Je le trouve très beau,

2) Je me dis souvent que c’est en grande partie grâce à lui que j’ai décroché le Bac. En effet, je l'ai utilisé dans ma dissertation de philosophie, mon plus gros coéf. (5) et de loin ma meilleure note à l’exception de celle en sport.

J’ai fini avec 10,3 de moyenne, c’est dire l’importance de ce devoir. Pour les curieux le sujet était autour de la notion d’illusion, j’ai eu 12,  je l’ai cité en conclusion et en anglais, ça faisait classe. Depuis, je l’utilise parfois dans mes articles, et à chaque fois que je l’entends, je suis ému.

Franck Le Gall semble partager avec moi une immense passion pour Shakespeare, et beaucoup de tendresse pour ces mots précis. C’est sûrement pour cela qu’il les cite lors de la conclusion, belle et dramatique, du premier cycle de Théodore Poussin (une des trois plus belles œuvres de bande dessinée sur le voyage, l’initiation avec l’Homme de Java et Julien Boisvert). Une série comme il en excite peu, vraiment, avec de l’aventure, des pirates, de la poésie, de la tendresse, et plein de références amoureuses à Kipling, Baudelaire et Shakespeare.

Je la compte parmi mes œuvres fétiches. Or, depuis trois semaines, nous en avons une série complète au magasin : 12 volumes pour 60 euros,soit 5 euros la pièce. Elle n’est toujours pas partie, presque un camouflet pour le libraire que je suis. Nous verrons donc si la magie d’Internet et mon petit laïus nostalgique sauront y changer quelque chose. Car ça me déprime un peu de la voir sur l'étagère sans jamais susciter l'intérêt des clients.

 
Pif ! C'était mieux avant ?
 

Coco show

par Vlad

Je ne sais pas auprès de qui Stéphane a récupéré un petit lot de Pif, mais il se trouve qu'il s'agit de numéros que j'achetais à l'époque, à l'aube des années 80. C'était ma joie hebdomadaire. Comme j'étais abonné je pouvais l'exhiber à la récré un jour avant les copains. Il faut bien dire que Jean-Max a été abonné avant moi... Et Guillaume avait vu 5 fois Indiana Jones avant que j'y aille moi-même, mais ceci est une autre histoire.

Et bien à revoir certaines couvertures après une bonne vingtaine d'années il y a de quoi frémir... Mon dieu ! Quand on pense que Stéphane Collaro, l'homme par qui le mal est arrivé à la télé française, y faisait du lobbying éhonté, et que moi, pauvre petit Mowgli du cinquième arrondissement, j'ai été exposé à autant de matière radioactive !

Heureusement les bédés sont bien pour la plupart, à part les trucs pédagogiques historiques ou les merdouilles hagiographiques de sportifs... Alain Prost, Niki Lauda, qu'est-ce qu'on s'en fout ! Ah mais Yannick Noah c'est différent. Yannick Noah, lui il est bien.

Il y a tout de même quelque chose de gênant, mais qui peut se transformer en jeu pour spécialistes : les auteurs de nombreuses planches ne sont jamais crédités dans ce bel hebdomadaire.

Les Pif sont à vendre entre 1 et 3 € en fonction de l'état.

Vous pouvez admirer les formidables couvertures de Pif  (et les nombreuses têtes de Stéphane Collaro) sur le lien suivant.

 
Ce bon vieux centre Pompidou
 

Chasse à l'androïde

par Vlad

C'est les 30 ans du centre Georges Pompidou. En ce moment la façade est décorée de la fusée de Tintin, à l'occasion de l'expo Hergé (il paraît que c'est Bob de Moor qui a conçu l'engin, mais ça c'est une autre histoire). En voyant ce décollage, je me suis souvenu de mes jeux d'enfants en ces lieux culturels.

Pour moi le Centre c'était un vaisseau spatial qui allait décoller. La Terre allait être détruite et le Centre embarquait le maximum d'humains pour les conduire en sécurité sur une autre planète... ou pour errer à travers les systèmes comme dans Galactica. Le compte à rebours était enclenché. Manque de pot, à bord s'était infiltrés une poignée d'ennemis de la race humaine, des androïdes surpuissants. Evidemment, moi j'étais un agent chargé de les débusquer et de les éliminer. Je crois que j'avais lu le Valérian Métro Châtelet direction Cassiopée qui contient une belle séquence d'action à Beaubourg et sans doute avais-je vu la bande annonce de Blade Runner.

Donc dans les coursives du Musée d'art contemporain ça chauffait. Y'a plein de planques et de recoins dans ce vaisseau-ville. En plus ces salopards d'androïdes ils se faufilaient parmi la foule des vrais humains paniqués pour éviter les tirs de mon calibre made in spain. Les munitions étaient limitées et il  fallait que je me farcisse le dernier à la barre de fer. J'en ai bavé pour préserver un avenir à  l'humanité.

 
Goldorak est mon ange gardien.
 

Sans lui je serai autre chose, c’est sûr

Par Stéphane

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1 : Comme pour deux garçons sur trois de ma génération, il fut le héros et le  jouet ultime. J’en eu deux versions. Le classique avec la soucoupe en plastique qui tire des missiles gamma et des planitrons, et une peluche, bien plus grande que moi, remplie de fourrage. La paille, c’était pour moi «de l’intérieur de Goldorak». Je devais découvrir ce que la paille était réellement quelques années plus tard, et comprenais ainsi pourquoi cette conne de peluche ne tenait jamais debout malgrè sa rigidité apparente.

2. Des rares miracles intellectuels dont ma mère peut s’enorgueillir lorsque elle parle de son fils (car il faut reconnaître que par la suite ce sacripant eu une scolarité plutôt sans éclats positif, si vous voyez ce que je veux dire), c’est que j’appris à lire seul (les mots et l’heure), entre quatre et cinq ans, à l’aide du programme télé et de nombreuses questions. A cette époque ma mère ne veut pas que je regarde la télé, et préfère que je m’épanouisse dehors. Hors, le mercredi, 14H35, après Watoo Watoo, impossible pour moi de manquer ce rendez-vous. Comme elle ne peut rien m’interdire sinon je fais des comédies atroces, elle me ment. « Retourne jouer, ce n’est pas encore l’heure. Ce n’est pas encore l’heure. Ce n’est pas encore l’heure. Ce n’est pas l’heure…. Bah alors, où tu étais, je t’ai cherché partout dans la cour mais tu étais nulle part. C’est fini Goldorak ». Vous pouvez vous dire que je ne me suis pas laissé faire longtemps.

3. Le premier dessin, celui que j’ai vu ou du moins compris comme tel. Dans les poubelles de l’immeuble, un superbe Goldorak en crayon à papier, sur une feuille à grands carreaux, les deux poings tendus, s’éjectant de sa soucoupe, avec des vaisseaux ennemis en arrière plan. Magnifique. Ma mère ne voulait pas que je le garde, mais elle céda. Aujourd’hui je le revois, assez nettement, et comprends qu’il ne devait être que le décalque d'un enfant plus vieux que moi. Mais à l’époque, c’est de l’art, qui me permit de saisir le concept de réalisme. Fini les boules et les traits que je griffonnais partout, je commençais à scruter le monde avec attention, et vouloir le reproduire dans le détail.

4. Quelques années plus tard, je décalque beaucoup, sauf Goldorak, dont je n’ai aucune représentation en deux dimensions. Il est le premier personnage que j’apprends à dessiner depuis un objet en volume –mon jouet bien sûr. J’ai beaucoup progressé grâce à lui.

 5. Aujourd’hui, je ne dessine plus, ou très mal. Je sais, je sens, un blocage. Pfiouuu. Chaque fois que je passe devant mon Goldorak en plastique, unique jouet que je possède encore, offert par François de DBD à un anniversaire, je me dis que je vais réapprendre grâce à lui. Un jour je vais le mettre sur ma table base, prendre une feuille, et le redessiner comme je le fis des dizaines de fois.

 
L'édification de la jeunesse
 

L'éveil d'une conscience

par Vlad

En 1984, quand l'album n°14 de Gaston (La saga des gaffes) paru, j'avais 9 ans. Sur la moitié de page inférieure qui suivait le dernier gag s'étalait une publicité pour l'Unicef au profit de laquelle les éditions Dupuis avaient édité un tirage de tête. Le caractère exceptionnel de ce type d'intervention au sein d'une bédé cartonnée, décuplait  son impact. De plus il y avait deux dessins de Franquin qui encadraient le texte.

Celui de droite représentait un enfant pauvre portant  de l'eau, et celui de gauche (reproduit ci-contre) montrait Gaston ouvrant un robinet pour remplir une casserole. Et bien cette image et les propos concernés de Gaston surgissent en moi à chaque fois que je tourne un robinet d'une main en tenant une caresserole de l'autre ! A chaque fois et ce depuis donc 24 ans ! Et seulement avec les casseroles... avec les bouteilles, les verres et les seaux rien ne se passe.

C'est fou l'impact de certaines images. Je suis plutôt économe avec l'eau, et ça vient partiellement de cette lecture !

 
Comment j'ai compris la mort
 

De fil en aiguille, de Daredevil à l'enfance.

Par Stéphane

Comme beaucoup d'enfants, je restai longtemps intrigué par «la mort». Pourtant, il me fallut pas mal de temps avant d’en saisir, ou plutôt de définir, une image et un concept que pouvais m’approprier. Ce travail passa par deux œuvres, en partie.

La première c’est Blade Runner, le film, dont je me souviens n’avoir rien compris ou presque en dehors du sentiment à la fois vague et puissant de ce que peut être le terme d’une vie. En conclusion, Roy le robot s’éteint la caméra en gros plan son visage, alors que la pluie bat son plein et masque possiblement les larmes qui se déversent de son œil, pourtant mécanique, à l’approche de sa fin.

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La seconde image, c’est la couverture du Strange 181 signée Frank Miller et datant de janvier 1985. Elle marqua mon esprit d'enfant pour ce qui est de l’autre versant de la mort, c'est-à-dire du point de vue de ceux qui restent et sont en deuil. On y voit Daredevil, visage nu, enserrant de ses bras la croix de marbre qui surplombe la tombe de sa défunte aimée. Au geste, urgence de sentir la chaleur humaine, s’oppose la pierre, dont la froideur est soulignée par la neige qui tombe à gros flocons sur cette scène désespérée.

Aujourd’hui encore, lorsque j’utilise le mot dans une conversation ou dans une critique, c’est invariablement ces deux images qui remontent à mon esprit comme pour illustrer ma pensée, ou mon sentiment.