Publications dans BD européenne
L'Emile Ajar du pauvre
 

Où comment se tirer une balle dans le pied

Par Stéphane

Puisque c’est officiel, je peux maintenant vous raconter une petite histoire qui ne gâchera rien. Comment Lewis a signé chez Albin, récit rapporté à l’époque par un auteur Albin Michel (là je dis pas car il avait bu) à un journaliste de Télérama, rapporté à Aaapoum aussitôt. (Toujours prendre des pincettes dans ce genre de récits)

Alors que le Blog Frantico cartonne sur le net, que tout les lecteurs se doutent plus ou moins que Lewis est derrière (je me souviens avoir été convaincu le jour où il écrivit en toute lettre le nom Joann Sfar, impossible de ne pas reconnaître sa calligraphie), Albin contacte l’auteur pour le faire signer. C’est effectivement un homme correspondant au profil qui se présente,et engage les négociations. Les réunions se répètent, tant et si bien que le directeur de la maison d’édition fini convaincu qu’il va recruter un jeune premier. Puis arrive le jour de la signature, où Frantico arrive accompagné d’un homme caché d’une casquette. C’est lui qui signera, ainsi qu’un contrat assurant la discrétion de l’opération.

Tu parles Charles, la semaine d'après, toute la profession était au courant. Alors lorsque l’on demande pourquoi la bande dessinée n’arrive pas à égaler en aura d’autres formes d’Art, moi je réponds à cause des gens qui y travaillent. Y’a aucun doute là-dessus (c'est d'autant plus triste que pour L.T, fatigué à cette époque là si l'on en croit ses remarques sur son désir de retraite,  le projet Frantico semblait une démarche sincère pour relancer sa carrière artistique à l'abri de la notoriété) .

 
Biographie à l'emporte-pièce
 

Jean-Marie Bigard et Che Guevara, même combat.

Par Stéphane

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Saviez-vous qu'Ernesto Guevara fut nommé Ministre de l’économie de Cuba à cause d’un malentendu. En effet, à la question « Qui est économiste ? » il entendit « Qui est communiste ?». Et du coup répliqua promptement d’un grand geste.

Si comme moi, vous ne le saviez pas (je l’ai appris ce matin en regardant une interview de Roland Castro), vous ne l’auriez de toutes les manières pas découvert à la lecture de la très merdique biographie parue chez Casterman ce mois-ci. Un livre aux ambitions esthétiques inexistantes, et à l’intérêt tout aussi défaillant. Libertad !se présente comme un beau pavé de vide destinée à lancer une collection sur les grands révolutionnaires de l’Histoire (attention JFK et Marilyn arrivent bientôt), un peu comme sont faits les livres sur Bigard et Mimie Mathy (toujours chez Caster d'ailleurs, et à ce sujet lire ce court article paru ici.

Oh mon dieu ce qu'on essaie de nous refourguer !).

Evidemment dans les bureaux, personne n’a dû se demander à quoi pouvait servir le portrait d’une grande figure historique et politique, très fortement portée par l’image en plus, si ce n’est ni pour prendre position, ni pour enrichir l’iconographie abondante sur l’homme. 

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Un camouflet honteux lorsque l’on sait ce que Breccia et Oesterheld endurèrent en écrivant la leur (lire ici et ce que coûte l'engagement artistique en bande dessiné, c'est loin d'être l’exécrable fraude commerciale que l'on essaie de nous vendre aujourd'hui).

Je vais donc me charger de descendre cette abomination artistique et humaine dans une de mes prochaines critiques Chronic’art.

Et j'espère qu'on ne criera pas cette fois ci que je suis trop méchant. Il y a avilissement de la bande dessinée ici, non ?

 
Delcourt : le deuil du noir
 

"Ceux qui sont dans le vent auront un destin de feuilles mortes"

par Vlad

Je n'ai jamais bien compris l'aura de prestige dont jouissaient les éditions Delcourt auprès d'une certaine frange pourtant exigeante du lectorat. En effet pour une série comme De cape et de crocs ou Le pouvoir des innocents, combien de produits strictement commerciaux, formatés selon les critères de divertissement les plus prévisibles.


J'ai toujours soupçonné cette respectabilité d'être due à la sobre élégance des maquettes et particulièrement des dos noirs. Formule inchangée depuis plus de dix ans. Alors que ses confrères, Soleil et Humanos en tête, s'affrontaient à coup de maquettistes débridés et interchangeables, maniant la transparence et la sur typographie comme d'autres la chantilly, Monsieur Delcourt  maintenait son port altier et sobre pour se distinguer des maquignons. Imagine-t-on la Pléïade de Gallimard se mettre au goût du jour à chaque décennie ?
Heureusement cette période de tromperie est révolue ! L'usurpation va être démasquée !


Les dos noirs appartiennent désormais au passé.


Cette nouvelle bien tangible sur le dernier De cape ou sur la suite d'Okko désespèrent nos collectionneurs. Et bien moi je m'en réjouis ! Désormais la forme du contenant correspondra un peu plus au contenu.


La vérité est toujours révolutionnaire.

 
NOTES POUR UNE HISTOIRE DE GUERRE de GIPI
 

"La ville fut florissante

Puis en ruine

Enfin

Et c'était incroyable

elle fut florissante de nouveau"

Un pays en guerre et troisadolescents perdus dans son champ de bataille. Une vie âpre à laquelle cesderniers font face, chacun à leur manière mais unis. P’tit Calibre le dur àcuire, Christian, obnubilé par ses envies de moto et Julien, “fils à papa”, seuldes trois qui possède encore une famille bien qu’il préfère coller aux basquesde ses copains. Refusant de plier devant la misère, un avenir ou unemploi de mange-pierre, le trio se trouve appâté par un profiteur de guerrequi se propose de « les employer à leur juste valeur ». L’argentafflue et les rêves s’approchent aux portes de la réalité…mais cela peut-ildurer ?

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Appliquant à la lettre la distanciationde Berthold Brecht, Gipi invente une Italiefantastique qui pourrait parfaitement servir de toile de fond à l’une des piècesdu dramaturge allemand (je pense ici beaucoup à L’Irrésistible ascension d’Arturo Ui). La société n’y est plus toutà fait celle que l’on connaît, et pourtant chaque objet y évoque un élémentfamilier. Pays malade, rongé par la corruption et la guerre, le monde selon Gipiest une terre sans promesse pour la jeunesse désoeuvrée. Vraiment, nul besoinde pancarte pour déchiffrer la parabole. Car si la filiation avec une semi-dictaturemoderne n’émerge toujours pas à l’esprit, certains anciens camarades de combat duPrésident Berlusconi traverseront l’arrière-plan pour lever toute ambiguïté (unpeu à la manière des pancartes en fin d’acte chez Brecht, qui viennent retisserles liens entre la pièce et le monde). Et cerise sur le gâteau qui propulsele livre au rang de chef d’oeuvre, même désemparé, Notes pour une histoire de guerre ne renonce à aucun moment à transmettrel’espoir et l’envie de résister.

 
Les caramels rouges
 

Une madeleine de Vlad...

1962-1966 : Pendant qu'outre-manche les Kinks et Syd Barrett préparent la "british invasion", tout emplis de la nostalgie de leur jeux d'enfance sur la pelouse des dimanches, Billy The Kid, le despote enfant et affranchi règne sur deux albums de Lucky Luke et sur le monde des adultes.

Son mets de prédilection : des caramels rouges et ronds...

Pour moi, ces billes c'était l'Ambroisie. Le caramel des humains n'avait pas cette couleur, ni cette forme. Si leur aspect était exceptionnel, quel devait être leur goût ! J'ai relu et relu ces pages avec excès et gourmandise, puis je les ai oubliées... Elles resurgissent quand je vois des caramels, ou à la simple évocation du mot... Mais jamais ne n'ai retrouvé leur saveur.

Lire ou relire Billy The Kid et L'Escorte, albums 20 et 28 de Lucky Luke chez Dupuis.

 
Trondheim à l'Institut Finlandais
 

Par Stéphane

Animant hier soir à l’Institut Finlandais une conférence sur Célébritiz, album de Lewis Trondheim et Ville Ranta aux éditions Dargaud, je rencontrais pour la première fois l’auteur des célèbres carottes. Des années durant j’ai imaginé ce moment que je savais inévitable, gravitant de plus en plus haut dans le monde interlope de l’édition BD. J’allais être face à un homme que l’on décrit comme imbu, prétentieux, ou pire…méprisant. Qu’allais je faire, moi qui avait longtemps cultivé pour son travail une vraie passion, allant jusqu’à l’intégrer comme objet de recherche universitaire dans ma jeunesse (Qui osera dire que les études supérieures ne servent à rien ?). A force de cogiter, j’en étais venu à éprouver une forme d’anesthésie émotionnelle totale. Et c’est presque blasé que j’arrivais ce soir pour animer la conférence. « Avec Lewis, il faut s’attendre à tout ! Soit il fait l’idiot et parasite tout, soit il coopère et se comporte plutôt calmement » me rappela l’éditeur. Un geste gentil, mais à vrai dire à ce stade je m’en fichais, j’étais détaché.

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Quelle erreur de jugement je n’avais pas fait là. Non seulement je redécouvrais un artiste que les quolibets avaient esquinté dans mon cerveau de crétin influençable, mais plus encore un humain complexe, assez plaisant. Lewis répondait aux questions avec beaucoup de tact et d’à propos, détaillant sa petite mécanique créatrice humblement, expliquant par exemple qu’il ne relisait que très rarement ses livres une fois publiés, préférant passer à autre chose une fois ce qu’il avait à dire achevé. Il expliqua aussi ses errances de scénariste, laissant son écriture dériver pour le plaisir de faire réapparaître un personnage, alors que ce n’étais pas prévu, juste parce qu’il est surpris par le dessin que son collaborateur a produit depuis ses indications…. Bref, un agréable moment, riche et didactique, avec un homme qui visiblement renonce à toute reconnaissance sociale pour mieux se concentrer sur ses besoins d’expression.

PS : Et l’album me direz vous… et bien pas terrible. L’esthétique audacieuse de Ville Ranta -entre école de la ligne crade et minimalisme-, et les retrouvailles avec certains thèmes absents depuis belle lurette des livres de Trondheim (la double personnalité, l’homme comme fraude ou usurpateur, l’engagement politico social), ne font pourtant pas décoller cette chronique absurde à laquelle il manque ce soupçon de pertinence et d’audace qui fait la différence, et que l’on trouve notamment dans la série Lapinot auxquels pourrait presque appartenir Célébritiz.

Toute la soirée j'eut le sentiment d'être "the ennemi", comme le disent si bien les rockstars en parlant des journalistes dans le film Presque Célèbre de Caméron Crow

 
The Blacksad's Blackmail
 

Le chantage du Blacksad

par Stéphane

La liberté de la presse, encore un truc que le monde de la Bd a bien du mal à comprendre.

Dernière élégance en date, un clash entre le magazine spécialisé Bulldozer d'un coté, Dargaud et sa série polar Blacksad de l'autre, à cause d'une critique à laquelle j'ai collaboré (chose rare, on l'a écrite à plusieurs).

Rapide rappel des faits : Bulldozer en janvier chronique Blacksad tome 3. Comme d'habitude, on trouve le scénario pourri, entre caricature de polar non voulue et grandiloquence politique à la réflexion d'un enfant de sixième. Bref, on le dit, l'argumente. Évidemment chez Dargaud, qui m'a par le passé déjà mis la tête dans le pâté en réponse à des chroniques peu flatteuses, ça souffle direct dans les bronches de la direction.

Les dessous de l'enquête de Blacksad seraient-ils moins glamour que ce que l'on souhaiterait vous faire croire?

Les dessous de l'enquête de Blacksad seraient-ils moins glamour que ce que l'on souhaiterait vous faire croire?

Et Frédéric Bosser, rédacteur en chef du magazine, mais aussi directeur d’une galerie de bande dessinée, de me rapporter en off qu’il se fait torpiller des deux cotés. François Lebescond, homme à responsabilité chez Dargaud, lui aurait annoncé que ce n’est pas bien de dire du mal de Blacksad, et qu’en réprimande Guarnido avait décidé qu'il pouvait faire une croix sur l'idée d'exposer un jour le dessinateur dans sa galerie.

Un bien dégueulasse chantage, puisqu’il n’y a aucune raison de lier les activités d’un journal et d’une galerie entre elles, sauf si l’on souhaite, à l’aide de tous les moyens à sa disposition même des pires, fermer la gueule des personnes osant faire un travail de critique.