Publications dans BD européenne
Sauterie des 60 ans du Lombard
 

Séance de dédicaces avinées par les auteurs du Lombard, au milieu d’une sobre soirée Bruxelloise -600 personnes- organisée à l’occasion du soixantième anniversaire de la dite maison d'édition. Alcool, ballon rond et musique MTV-like ne font pas forcément pas bon ménage, mais la plupart de ces artistes sont des vieux de la vieille, et leur performance est souvent intéressante. Dommage, sur la vidéo, j'ai raté les meilleurs, Dany, Derib et Rosinski en particulier... Je devais trop picoler quand le show a démarré. Heureusement, on peut apercevoir par moment leur dessin.Enfin, je me dis que de tous ces artistes de l'enfance, celui que j'aurai vraiment aimé rencontrer était Franz, découvert sur le -trop- tard à Aaapoum Bapoum.

 
La bande dessinée entre au musée
 

"N'importe quel imbécile peut peindre un tableau, Mais il faut être malin pour le vendre"  dixit le satirique Samuel Butler

Par Stéphane

Je reviensd’un séjour à Cherbourg où se déroulait l’exposition La boite à dessins,rétrospective de la carrière d’André Juillard organisé par le Musée des Beaux-artsde la ville. Pourquoi parler de ça ? Simplement car, si letravail de Juillard me laisse d’une manière générale froid (quoique admiratifde sa technique), l’exposition est sublime, malgré de faibles moyens (40.000euros), et j’y ai appris plusieurs choses qui laissent à réfléchir.

1° : Une exposition comme celle-ci, ou celles d’avant dédiées à Bilal puis Schuiten,est dure à monter. Bien que la région soit à l’origine d’une telle démarche, l’Etats’investit peu, il préfère l’art contemporain.

2° :Hors une exposition autour de la bande dessinée attire quatre fois plus devisiteurs qu’une exposition de Beaux-arts traditionnelle. 10 à 12 milles visiteurs sontattendus pour celle-ci, et à chaque nouvelle tentative le score augmente.

3° : Cesexpositions sont d’autant plus intéressantes qu’elles attirent un public qui nemet d’ordinaire jamais les pieds dans un musée, et profite de l’occasion pourparcourir l’exposition permanente, découvre Chardin et Millet (autredécouverte, Cherbourg possède la seconde plus grande collection de Millet aumonde). La bande dessinée, selon ces expériences et confirmé par laconservatrice, la géniale Emilie Perrier, est le parfait appât pour initier lesplus réfractaires à la culture des beaux arts.

Bref,autant je suis contre l’introduction d’UFR bande dessinée dans les universités,lieux que je considère valable uniquement dans le cadre d’un developpement desavoir à vocation profesionnelle, autant des expositions temporaires -voirepermanentes- de bande dessinée dans le milieu des beaux arts, me semble être uneinitiative des plus enthousiasmantes.

PS: Le musée devrait très prochainement annoncer une exposition autour de Guillaume Sorel. Et il se pourrait que des tableaux d'Arnold Böcklin, comme ceux d'autres artistes à l'origine de ses inspirations, viennent enrichir le dispositif. Ce serait une première, une exposition, dans un musée d'Etat, confrontant artiste de bande dessinée et artiste de Beaux-arts.

 
Deux types très différents de collectionneur de dédicaces
 

Cette différence ne relève pas que de la culture et de la nationalité.

Par Stéphane

Première anecdote, découverte sur boingboing.com: En 1999, Jeremy Adolphson est un étasunien de 17 ans qui aime la bande dessinée, ou le comic comme on dit là-bas ; et  il a des idées - ou du moins une : envoyer des cartes postales aux artistes qu'il adore accompagnées d'une enveloppe timbrée pour qu'il la lui renvoie avec un zoli dessin dessus. Du coup, aujourd'hui il a une grosse collection de dédicace, soit 42 "galeries "qu' il expose sur le Web, et un jour, il la vendra aux enchères quand elle vaudra chère - sinon c'est ses enfants quand il mourra. En attendant c'est sympa à voir.

L'autre petite histoire de dédicace est plus "maison".

La semaine dernière, un de nos anciens clients pas trop fou mais un peu quand même vient me voir et me dit, "là, j'suis  dans la merde, je dois 150 euros à la poste et mon compte est bloqué, alors j'vends des bd et des dessins". Il revient des quais et de Rackam, mais n'a réussi à attendrir personne avec ses merdouilles. Je lui reprends les deux trois trucs les plus corrects, lui est content. Puis il me montre un original de Bilal : 1981, joli noir et blanc détaillé comme il n'en fait plus depuis belle lurette, mais abîmé d'une immense tâche de café sur la majeure partie gauche. Je lui dit que j'en veux pas, mais que là, vraiment il a été con. D'ailleurs, personne avant moi n'en a voulu non plus. Bref, au bout d'un quart d'heure de négociation, il gagne avec cette magnifique phrase, "de toutes façons je n'en veux plus car pour moi il symbolise mes années de drogue". Je lui achète avec 15 euros de ma poche.

Pour ceux qui serait déjà outré par ce gâchis, car un dessin de Bilal ça vaut bonbon, il faut savoir qu'ensuite il fut pas mal froissé par mon désordre, ce qui ne manqua pas de faire rire jaune Vlad, lui qui pensait le restaurer assez facilement. Au final, je ne sais pas ce qu'il faut retenir de cette histoire, mais je suis certain que les plus collectionneurs de nos clients vont m'en reparler.

 
Nouvelle tendance
 

L'influence du gothique et de Da Vinci code...

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En cherchant à démarquer leurs produits de ceux des autres, les éditeurs viennent de mettre au point une nouvelle stratégie : elle consiste à attirer l'attention du chaland affolé par tant de nouveautés en inscrivant les titres à l'aide une typographie illisible. Dans le registre je vous livre deux exemples que vous pourrez vous amuser à déchiffrer...

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Indice : le premier est chez Emmanuel Proust et le second chez Dupuis.

 
Plein les yeux de Keko
 

Pour un été espagnol

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Il y a quelques semaines les étals étaient encore submergés par les nouveautés... Dans un mois ça recommencera, encore pire qu'avant. Les lecteurs ne sauront pas où donner de la tête, et les libraires ne sauront pas quoi conseiller, occupés qu'ils seront à trouver de l'espace entre les piles de nouveautés pour mettre de nouvelles piles et à préparer des cartons avec les nouveautés de la veille pour les renvoyer à l'éditeur. Sauf que là, en ce début de mois d'août, il n'y a pas grand chose de neuf à se mettre sous les yeux, en tous cas en bande dessinée européenne. C'est l'occasion pour revenir sur un titre sorti en mai et dont je ne vois pas la pile baisser chez mes voisins d'Album Saint Germain. C'est dommage car c'est un bon album. Il s'agit de Plein les yeux de Keko publié aux Editions de l’An 2.

Il faut dire que sa couverture française est dissuasive et ne reflète en rien la richesse de ce cauchemar graphique, sorti de la plume d’un quasi inconnu avec un nom ridicule. Un cousin espagnol de Mezzo et de Charles Burns qui révèle la contamination culturelle de la société par les images. Omniprésentes, elles façonnent et modifient l’individu, sont à la fois la sclérose en plaques et l’exhausteur de goût de l’environnement. Et l’intrigue policière modeste de Keko, au final, s’attache à explorer nulle autre chose que cette maladie. 

Dans un commissariat, un homme est interrogé sur ce qu’il a fait la veille. Un dispositif narratif de récit dans le récit assez classique, mais dont la bichromie somptueuse de noir et de rouge magnifie la folie intérieure du protagoniste. Un mal qui explose dès l’ouverture, et enclenche une longue odyssée hallucinée de références visuelles, parfaitement justifiée par l’histoire : le personnage principal est un documentaliste attaché à collecter des « ressources graphiques » sur les fifties : affiches, photos, publicités, films…

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Dès lors le parcours de ce pauvre suspect, peuplé de fantômes graphiques, peut se lire comme la mise en abyme de la condition du créateur : errant dans un monde de références il cherche son chemin, en les fuyant, en les agglomérant, en les détournant ou en les assimilant… Les visions allégoriques qui s’imposent au personnage sont elles-mêmes métaphore du regard artistique, celui qui surprend le derrière des apparences et le retransmet par la déformation ou l’amplification.

Depuis son Espagne natale, Keko, à l’image de ce Don Quichotte vêtu en Lone ranger masqué dans lequel se projette le personnage à la fin de l’album, s’est exilé par l’esprit dans l’imaginaire rétro de l’Amérique des années cinquante, avec ses rêves familiaux de consommation et son cauchemar maccarthyste. Un paysage intérieur confusément familier, mais dont Keko se fait le guide érudit, avec cette fascination distanciée, mélange d’amour et de peur qui est le propre de ceux qui ont découvert une terre d’accueil, fusse-t-elle imaginaire. En puisant dans un héritage visuel délibérément étranger et désuet, l’auteur batit sa singularité. Car si cet étalage iconographique identifie clairement Plein les yeux comme un brillant exercice de style, qui s’attache davantage à parler du médium, de ses créateurs et de ses lecteurs qu’à raconter une histoire, sa plus grande élégance est d’avoir choisit de le faire en utilisant un champ de références extérieur à la bande dessinée.

le site de l'éditeur français : www.editionsdelan2.com

le site de l'éditeur espagnol : www.edicionsdeponent.com

 
Cadeaux Bonux
 

Il court il court, le furet...

Aujourd'hui sort la bande dessinée L'Homme qui s'évada aux éditions Actes Sud, adaptation des reportages Au bagne et L'homme qui s'évada d'Albert Londres réalisée par Laurent Maffre. Un des meilleurs livres du mois. Pour accompagner la sortie, vous trouverez sur le compte Flickr du magasin le dessin de couverture en format large. Il est à tomber par terre et en jette un max en papier peint de bureau. Ensuite, et en exclusivité pour notre blog, le jeu de l'oie de la liberté. Un complément dessiné pour l'occasion, qui fera peut-être un jour un somptueux ex-libris collector, mais qui aujourd'hui n'est disponible nul part ailleurs qu'ici... Deux exclusivités, des livres et des dessins de grande qualité, un jeu mortel. Le Aaablog, c'est plus ce que c'était, mais c'est presque mieux... bon, pour accompagner l'événement, la critique de mon ami Julien Welter dans la suite, qui paraîtra dans Score (Je tiens à dire qu'il lit très peu de bande dessinée même s'il adore ça. Donc son point de vue de profane en dit long sur l'accessibilité du livre).

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Avant tout, il y a l’œuvre d’Albert Londres. Son récit du drame vécu par Eugène Dieudonné accusé par des autorités en manque de suspect d’être un complice du gangster-marxiste Bonnot. Gracié par un Président Poincarré peu convaincu de sa culpabilité, il évitera rapidement la guillotine. L’histoire aurait pourrait s’arrêter là, à cette simple erreur judiciaire. Sauf que la bonté présidentielle l’envoie à Cayenne, au bagne. C’est donc peu après ce prologue que le livre s’enclenche en deux temps. La visite de Londres dans cette prison et la constatation effarante que l’humanité a déserté les lieux ; puis l’évasion de l’innocent voulant à tout pris reprendre sa liberté. Une construction simple dotée d’un titre évacuant toute tentation de suspense. Parce que l’enjeu est ailleurs, dans la description. Et à cet exercice, le trait de Laurent Maffre prend toute son importance. Sa façon de croquer les gueules sales, les figures haineuses et les faces de salauds qui composent cette fange ignoble et repoussante. Réinterprétant les cases, travaillant les tatouages corporels évoquant les tourments des bagnards, s’acharnant par le détail à donner une idée de l’enfer, il arrive avec cette œuvre au même niveau de puissance que le PAPILLON de Schaffner. Peu importe alors que l’originalité de son dessin ne frappe pas immédiatement. L’esprit critique qu’il contient se diffuse lentement à chaque coup d’œil jeté.

J.W

L’Homme qui s’évada, de Laurent Maffre, Actes Sud BD, 22€.

 
Jules de Emile Bravo
 

Le classique a encore de beaux jours devant lui.

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Si la parenté ne saute pas à l’œil, depuis le décès de Chaland, seuls Emile Bravo et Franck Le Gall peuvent prétendre épouser le classicisme franco-belge des maîtres tout en le travaillant au corps pour se l’approprier et lui donner de beaux éclats de modernité. Une forme de rigueur et de subtilité rare les unit dans l’innovation pour mieux les distinguer dans l’exploitation. C’est ainsi que depuis Les jalousies l’année dernière, il n’y aque ce nouvel et cinquième épisode de Jules pour réveiller les sensations herméneutiques de l’enfance sans imposer la stagnation qui éprend à la lecture des nombreuses photocopies de Spirou qui encombrent les étals -certes respectueux des codes et des formes dont mais l’absence d’innovation a toujours rendu les projets routiniers et vains. C’est donc avec un plaisir certains que le fan que je suis découvre aujourd’hui un rapprochement dans les thèmes. Avec ce nouvel opus, Théodore Poussin et Jules partagent désormais la même route et la même galère, celles du pèlerinage sur les eaux à la recherche de réponses sur l’identité du papa. Seulement même dans le traitement des fondamentaux freudiens, les deux hommes ont leurs manières.

Celle de Bravo est d’épouser le rythme des premiers Tintin de Hergé. L’aventure y est constituée d’une dizaine de plus courtes, saynètes de peu de pages qui transportent l’album de richesse et de cadence. Le cauchemar d’ouverture assène d’ailleurs immédiatement la maestria narrative, et par réverbération le plus juste des messages d’avertissement aux mauvaises tendances modernes : nul besoin d’envahir les quarante-huit pages d’un volume pour vaguement mettre en place une intrigue,lorsque deux suffisent à raconter une histoire géniale. Suivent ensuite une scène de chasse hilarante, une séance cinéma catastrophe, une rencontre du troisième type, et une croisière qui s’amuse pas tant que ça. Presque dix albums d'une série de Corbeyran réunis en un seul, en mieux, et pour un prix défiant toute concurrence. allez range ton Stryge.